Évolution du statut du parquet : d’inquiétantes nouvelles transalpines

Publié le 18/02/2025 à 9h00

Alors que l’Italie songe à séparer définitivement le siège et le parquet, Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats (USM), s’inquiète que la réforme du statut du parquet en France n’avance toujours pas. 

Évolution du statut du parquet : d’inquiétantes nouvelles transalpines 
Photo : ©P. Cluzeau

À l’occasion des audiences solennelles de rentrée de la Cour de cassation de janvier 2024 et 2025 le procureur général, Rémy Heitz, plaidait résolument pour la réforme constitutionnelle plusieurs fois reportée du statut du parquet, dans le contexte de la multiplication, à travers le monde, des régimes dits « illibéraux ».

Il s’agirait, comme pour les magistrats du siège, de rendre conforme – et non simple – l’avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) au ministre en matière de nomination des procureurs et procureurs généraux et de doter la formation disciplinaire du parquet d’un réel pouvoir décisionnaire, plutôt qu’un avis simple au garde.

Gérald Darmanin favorable à la réforme mais…

Il s’agit d’une réforme « a minima » : le garde des Sceaux conservant le pouvoir de présentation au CSM des procureurs et procureurs généraux, et les magistrats étant en minorité au sein du CSM en matière de nominations. Par ailleurs, le garde des Sceaux conserverait son pouvoir de décliner une politique pénale nationale aux parquets et, ainsi, fixer des priorités.

Cette réforme, votée en termes identiques en 2016 par les deux assemblées, n’a jamais été déférée au Congrès. Récemment, le garde des Sceaux Gérald Darmanin, s’adressant aux procureurs et procureurs généraux, indiquait y être favorable tout en rappelant la situation parlementaire actuelle, peu propice à une réforme constitutionnelle.

Chez nos proches cousins italiens, la situation est bien plus inquiétante et s’oriente vers une scission irréversible du siège et du parquet et, sans doute, une évolution de son statut au sein de l’appareil d’État.

Un projet de loi constitutionnelle visant à la stricte séparation des carrières entre siège et parquet est actuellement pendant devant les assemblées. Cette réforme succède à une précédente qui limitait déjà grandement les possibilités de passages entre le siège et le ministère public. Elle vise notamment à scinder le CSM siège et le CSM parquet et à créer une Haute Cour de discipline, au sein de laquelle les magistrats seraient largement minoritaires, contrairement aux standards européens (Avis n°24 (2021) du conseil consultatif des juges européens du Conseil de l’Europe sur « l’Évolution des conseils de justice et leur rôle dans des systèmes judiciaires indépendants et impartiaux »).

Les magistrats italiens sont inquiets

Le Conseil Supérieur de la Magistrature italien a émis un avis défavorable quant à une telle réforme.

Les collègues transalpins y voient, au-delà d’une simple réforme technique, le moyen de contrôler l’indépendance du ministère public, dans un mouvement plus large de redéfinition des pouvoirs au sein de l’État.

La première ministre a indiqué qu’il appartenait à la représentation nationale de changer les lois, notamment constitutionnelles, concernant la magistrature.

Les audiences solennelles de rentrée ont été pour nos collègues italiens et pour l’Association Nationale des Magistrats (Note de l’auteur : il n’y a pas de syndicats de magistrats en Italie) l’occasion de protester contre cette réforme, laquelle se garde d’aborder le problème endémique des moyens de l’institution judiciaire.

Les collègues se sont présentés aux audiences solennelles avec une cocarde tricolore épinglée au revers de leur robe et un exemplaire de la constitution à la main. Ils ont massivement quitté la salle lors de l’intervention des autorités administratives. Ainsi, à Naples, principale juridiction italienne, l’exécutif y était représenté par le ministre de la Justice, ancien magistrat du parquet. Le procureur de Naples a pourtant quitté l’audience, indiquant « ne pas voir la nécessité d’y participer » contrairement au barreau, plutôt favorable à cette réforme, estimant le parquet trop puissant.

Un mouvement de grève des magistrats italiens est prévu le 27 février prochain.

Et si demain…

Et si demain cela se passait en France, « république sœur » de l’Italie, que feriez-vous ?

Soutiendriez-vous cette réforme estimant que le nécessaire « choc d’autorité », allié au « bon sens », justifient une reprise en main, et pourquoi pas une forme de fonctionnarisation d’un ministère public en charge de décliner strictement une politique publique judiciaire ?

Soutiendriez-vous cette évolution, estimant que le ministère public, même membre à part entière de l’autorité judiciaire en sa qualité de magistrat, a trop de pouvoirs pour gérer la délinquance, du quotidien comme la criminalité organisée ?

Soutiendriez- vous, comme le pense l’Union Syndicale des Magistrats, qu’un ministère public composé de magistrats, indépendants du pouvoir politique dans leur activité juridictionnelle, ayant la possibilité dans une longue carrière de s’ouvrir aux contraintes et logiques du siège en changeant de fonctions, est à la fois une richesse et une garantie démocratique ?

Au final que les magistrats soient représentés par des syndicats, dépeints par certains comme nécessairement politiques et partiaux et qu’il faudrait dès lors interdire, ou par des associations strictement professionnelles, le problème reste entier : qui est gêné par l’indépendance de l’autorité judiciaire, troisième pouvoir de la théorie des pouvoirs de Montesquieu ?

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