Seine-Saint-Denis (93)

Maison de la justice et du droit de Pantin : au plus près des justiciables

Publié le 18/07/2023

Maison de justice et du droit de PantinÀ Pantin, la Maison de la justice et du droit (MJD) fêtera ses 20 ans dans quelques mois. 20 ans d’aide destinée aux citoyens qui ont besoin d’y voir plus clair juridiquement. Droit de la famille, du travail, des étrangers, du logement, les préoccupations du quotidien sont au cœur des missions de la MJD. Reportage.

En novembre 2023, la Maison de la justice et du droit de Pantin, créée par une convention entre le maire de Pantin, le président du tribunal, le procureur de la République, le préfet de la Seine-Saint-Denis et le bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Seine-Saint-Denis, fêtera ses 20 ans. Quand on pousse la porte de ce petit bâtiment blanc, Vincent Flochon, son greffier, en est la figure incontournable. En chemise, un peu sous l’eau mais souriant, il répond aux interrogations des uns et des autres. Régulièrement, ses collègues débarquent dans son bureau. Une question sur une démarche à suivre ? Une information à préciser sur un interlocuteur ? Vincent Flochon, qui y est arrivé depuis 2012, connaît toutes les ficelles et les ramifications de la MJD. Les premiers instants de l’accueil sont d’ailleurs déterminants : ils permettent d’orienter les citoyens vers le bon service et les bonnes démarches à suivre. Car ici, insiste bien Vincent Flochon, « on ne fait que de l’information juridique et non du conseil juridique. Nous faisons une évaluation de la situation et donnons des informations sur le panel des procédures qui existent » !

Au sein de la MJD, de nombreuses permanences permettent d’aborder les matières qui suscitent le plus fréquemment des demandes de rendez-vous : permanence de la déléguée du Défenseur des droits, médiation pénale familiale, permanence de l’ordre des avocats, du droit du travail ou encore droits des étrangers, du service pénitentiaire d’insertion et de probation, d’alternative aux poursuites… Les permanences rendent possibles un accompagnement juridique dans l’ensemble des méandres du quotidien.

« Une explosion des demandes »

En 20 ans, les choses ont bien changé. « Je constate qu’il y a de plus en plus de demandes, assure Vincent Flochon, avec des matières qui explosent ». Ce travail de terrain porte ses fruits – la MJD est maintenant clairement identifiable par les justiciables – mais elle draine énormément de monde : les chiffres sont en forte augmentation : en 2020, la MJD a reçu 5 537 demandes (tout inclus, demandes de renseignements, rendez-vous ou convocations…) contre 11 369 en 2022. Pour les primo rendez-vous, les femmes étaient largement majoritaires (4 433 femmes étaient demandeuses, vs 2 997 hommes), sans doute par la présence de nombreuses familles monoparentales, majoritairement féminines.

Effet pervers de la dématérialisation, qui avait pour ambition de faciliter l’accès à la justice, « la MJD reste l’un des rares services publics où l’on peut venir en physique », précise Vincent Flochon, d’où son succès. Face à lui, des gens souvent dans le désarroi. « La dématérialisation peut avoir des avantages, mais pas pour notre public cible », précise-t-il. En Seine-Saint-Denis, le public peut ne pas être francophone, les difficultés socio-économiques ne sont pas rares et parfois, la fracture numérique – tous n’ont pas d’adresse mail – met les demandeurs en difficulté. Aurélie Mayeux, déléguée du Défenseur des droits, confirme le besoin de contact humain des demandeurs. « J’ai été très surprise : je pensais que la plupart des personnes, en me voyant comme première représentante de l’État, allaient se servir de moi comme d’un déversoir, mais non, ils sont heureux d’avoir quelqu’un qui les écoute »…

Les matières les plus demandées : droit de la famille, droit au logement et droit des étrangers

Les matières les plus sollicitées sont le droit de la famille (1 206 demandes), le droit au logement (1 069) et le droit des étrangers (1 052), contre 9 demandes seulement en droit fiscal ! « Cela est représentatif des problématiques du département », analyse Vincent Flochon. Les demandes droit au logement explosent, à cause de « l’augmentation des logements insalubres. Pour le droit des étrangers, les dossiers portent sur des « naturalisations, des titres de séjour, parfois une obligation de quitter le territoire français (OQTF) tandis que le droit de la consommation inclut les contraventions ou le surendettement. L’aide aux victimes recouvre les infractions pénales comme les agressions, les violences conjugales, les accidents de la circulation… », détaille le greffier.

À la permanence droit du handicap, assurée par Juliette Dauphin, présidente de l’association « Autisme et Cetera », une dame vient de sortir du bureau. « On avance ! », se réjouissent les deux femmes. En question, une demande de carte de stationnement qui lui a été refusée. Elles ont donc effectué un recours ensemble. « Cette femme peut marcher 200 mètres, mais elle est très vite désorientée. Un jour on va la perdre, cette dame. Pour des questions de confort et de sécurité, elle devrait avoir une carte de stationnement », estime Juliette Dauphin. Les cheveux courts, l’humour comme meilleure arme face aux difficultés, elle explique aider essentiellement à remplir les dossiers MDPH (maison départementale des personnes handicapées). « Face aux 22 pages de dossiers à remplir, les gens sont perdus, reconnaît-elle. Parfois ils ont du mal à expliquer leur handicap. L’essentiel est d’être détenteur du certificat médical ». Entre 70 à 80 % des dossiers qui passent dans son bureau, recours inclus, finissent par aboutir : il peut s’agir d’une allocation adulte handicapé, d’une demande de place dans un établissement d’aide par le travail (ESAT), d’une carte de priorité ou de stationnement. Ce qu’elle trouve efficace à la MJD, où elle tient trois permanences par mois, c’est la coordination avec les autres services. « Quand on suit le même dossier, mais à des niveaux différents, on se demande des nouvelles : « T’as avancé, toi ? T’as vu, pour moi ça a marché » », plaisante-t-elle.

À l’étage, on trouve le bureau d’Aurélie Mayeux, juriste, ancienne responsable plaidoyer chez Aide et déléguée bénévole du Défenseur des droits. « Ici, j’ai quatre missions : la lutte contre la discrimination, la médiation auprès des services publics, la protection des enfants et des lanceurs d’alerte ». Mais 90 à 95 % de ses dossiers correspondent à la médiation aux services publics, surtout « des gens qui subissent la dématérialisation des services publics ». Aurélie Mayeux n’intervient qu’une fois les démarches lancées, pour aider celles et ceux qui n’ont pas « de réponse administrative dans un délai raisonnable. Je pense à un Monsieur qui a reçu une réponse positive pour un titre de séjour en août 2022 mais ne l’a toujours pas en juin 2023. Sachant qu’il est valable jusqu’en 2026, j’estime que le délai raisonnable n’a pas été respecté » ! Elle peut effectuer des demandes « en droit des étrangers comme des difficultés de protection sociale, la mise en place d’un délai de paiement pour les impôts, s’occuper d’un agent qui se sent lésé dans un processus de recrutement ou un recours à la MDPH », explique-t-elle. En plus de l’aspect purement administratif, il existe une dimension psychologique à son quotidien : « Je dois aussi les rassurer, leur dire qu’ils ont fait les choses correctement. J’essaie de prendre en compte la souffrance des gens et la laisser s’exprimer ». Car avoir un souci avec l’administration, « cela a des conséquences sur les relations avec toute l’administration. Si l’on perd confiance en l’une, on peut perdre confiance en toutes ».

En sortant, nous croisons la silhouette de la juriste du conseil départemental de l’Accès au droit (CDAD) depuis 22 ans, Jessica Muntoni. Souriante et en jean basket affirme : « Je ne ressemble pas à l’imaginaire que les gens peuvent avoir des juristes », concède-t-elle. Jessica Muntoni est particulièrement engagée en faveur de la défense des droits des femmes, même si ses piliers sont plus larges, « famille, du travail et du logement », surtout. Le premier rendez-vous constitue en un « débroussaillage » et permet de faire comprendre aux gens « que dans bien des cas, comme un litige avec Orange, pas besoin d’avocat ». Toujours en alerte, elle décrypte les informations reçues à l’occasion d’informations sur un divorce. « Parfois apparaissent de problématiques de violences conjugales ou de relations sexuelles forcées. Dans ce cas, je prends rendez-vous avec SOS Victimes ou le CDIFF (centre d’information sur les droits des femmes et des familles) ». Le Covid est passé par là, entraînant des abus sur le chômage partiel et l’inflation a fait exploser les problèmes de logement. Dans ces conditions, Jessica Muntoni se sent plus que jamais utile, notamment face à « l’avidité des sociétés de recouvrement qui menacent et mettent la pression sans titre exécutoire ». Le quotidien n’est pas simple, certains dossiers la touchent particulièrement, mais elle se satisfait : « Nous avons un vrai impact sur la vie quotidienne des gens. Avec cette petite structure moins formelle qu’un tribunal, nous proposons un vrai accueil de proximité, rassurant ».

Les limites d’une MJD

Malheureusement, les moyens de la MJD ne sont pas infinis. Les murs sont trop fins, ne viennent des interprètes qu’en cas de procédure judiciaire. Parfois, ce sont les membres de la famille qui aident à la traduction. Un seul bouton de sécurité est relié aux services de police, même si l’immense majorité des demandeurs est calme. Vincent Flochon aimerait un agent d’accompagnement administratif, qui serait présent lors des rendez-vous avec les avocats ou les juristes car certaines personnes restent perdues, malgré la simplification des formulaires. Pour les dossiers d’aide juridictionnelle, la dématérialisation est efficace, mais encore faut-il avoir accès au numérique.

En cas d’urgence, la MJD doit réagir très vite. « Pour les victimes, il s’agit d’une réorientation vers le bureau d’aide aux victimes du tribunal où des juristes de SOS Victimes 93 reçoivent sans rendez-vous ou vers la permanence victimes de l’ordre des avocats, explique Vincent Flochon. En cas d’expulsion locative, on peut leur donner le contact d’associations et de leur siège, comme l’ADIL 93 (Association départementale d’information sur le logement), dotée d’un service de juristes spécialisés en droit du logement ». Côté utilisateurs, certains « engorgent » la MJD pour « avoir un deuxième avis alors qu’ils sont déjà en procédure et ont déjà un conseil » ou bloquent un créneau alors qu’ils auraient les moyens d’un conseil. Mais la MJD a pour mission de ne refuser personne. Pour la plupart, c’est un phare dans la nuit. « Beaucoup de gens sont sur le point de baisser les bras. Mais ils nous disent : « Vous m’avez donné l’espoir. Il y a des possibilités, des voies de recours ». Ça leur redonne espoir. Et à nous aussi », glisse Jessica Muntoni.

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