Maître Maria Vérone, « un destin féministe »

Publié le 25/02/2025

Née le 20 juin 1874 à Paris, Maria Vérone est la fille d’un chef comptable et d’une fleuriste. Homme de gauche, socialiste, son père l’initie aux milieux politiques dès l’adolescence. À 15 ans, elle est désignée secrétaire du Congrès de la Libre-Pensée française. D’abord institutrice, elle est aussi journaliste et avocate. C’est l’une des premières femmes inscrites au barreau de Paris. Son engagement pour les droits des femmes en fait l’une des pionnières du féminisme français.

Madame Quand-même, dessin de Barrère sur carte postale, 1920

Bibliothèque historique de la Ville de Paris

Maria Vérone, un destin féministe est le titre du livre écrit par Jean-Louis Le Breton, son arrière-petit-fils, paru en 2021 aux éditions Panache. Il écrit dans sa préface : « Maria Vérone fut institutrice, chanteuse, publiciste, conférencière, avocate, militante féministe et exerça souvent plusieurs de ces activités en même temps. » Plus loin, il exprime sa colère après avoir retracé son histoire : « Colère parce que l’Histoire l’a occultée, oubliée, comme ce fut le cas des femmes en général dès lors qu’elles intégraient des domaines réservés aux hommes. Colère lorsqu’elle fut dénigrée et moquée par ses rivales ou sa cadette Louise Weiss. Colère contre moi-même pour n’avoir découvert que sur le tard cette aïeule combative si en avance sur son temps. »

« La femme forte est appelée à transformer la société »

Maria Vérone a grandi dans un milieu politisé. Son premier métier fut institutrice mais elle dut y renoncer – ou plutôt elle fut poussée vers la sortie – du fait de ses engagements. En 1900, le métier d’avocat est rendu accessible aux femmes. Elle s’inscrit à la faculté de droit en 1904. Durant ses études, elle devient aussi journaliste, « un vecteur idéal pour propager ses idées et une source de revenus ». Elle rejoint le journal La Fronde, créé par Marguerite Durand, en 1897, et entièrement réalisé par des femmes. Maria Vérone signe notamment des chroniques judiciaires sous le nom de « Thémis », la déesse de la justice. « Maria Vérone n’était pas croyante, mais sans doute a-t-elle vu là le symbole de ce qu’elle a toujours recherché : les mêmes droits et l’égalité pour tous », écrit Jean-Louis Le Breton*. Bien d’autres journaux lui ouvrent leurs pages. « Dans Le Droit des Femmes et dans L’Œuvre elle développe ses luttes féministes jusqu’à la fin de sa vie. » Dans La Fronde, elle répond à une lectrice en 1903 : « La femme forte est appelée à transformer la société, elle seule parviendra à donner l’élan aux timides, encore imbues des préjugés séculaires que l’homme espère, en vain, maintenir à son profit. »

Jean-Louis Le Breton écrit : « Si les premières causes défendues par Maria Vérone sont l’anticléricalisme et la Révolution sociale, le féminisme va bientôt devenir l’objet de toutes ses préoccupations. Marie Bonnevial, qu’elle a rencontrée aux réunions de la libre-pensée, l’invite à rejoindre la Ligue Française pour le Droit des Femmes (LFDF). » À l’époque, toujours mariée, Maria Vérone rencontre Georges Lhermitte, avocat et journaliste pour L’Aurore. Tous deux militants pour la Ligue internationale pour la défense du soldat, ils réalisent une grande tournée dans l’Est de la France à la fin de l’année 1904. « On peut supposer que ces quinze jours ont renforcé l’intimité de leur relation. Il est clair qu’ils partagent de nombreuses idées et passions communes : l’intérêt pour le droit, le journalisme, l’engagement militant. Ils font cause commune sur bien des sujets dont l’antimilitarisme et le droit des femmes. » Elle divorce de Maurice Giès après sept ans de mariage, en 1907. La même année, elle est inscrite au barreau de Paris et devient une pionnière de la profession. L’année suivante, elle épouse Georges Lhermitte, avec pour témoin Marie Bonnevial et Avril de Sainte-Croix.

« Madame la défenderesse… »

Pour son premier procès, Maître Vérone plaide devant le Conseil de guerre, le 3 décembre 1907, et défend deux réservistes poursuivis pour insoumission. Pour la première fois, le procureur s’adresse à l’avocate en ces termes : « Madame la défenderesse… » Le 31 décembre, « les choses vraiment sérieuses débutent » : Maître Vérone est la première femme avocate à plaider devant une cour d’assises à Paris (la première en France est Marguerite Dilhan, inscrite au barreau de Toulouse depuis juillet 1903). « Dix-sept antimilitaristes, dont une jeune fille, sont poursuivis pour avoir signé un manifeste qui leur vaut de sérieux ennuis », résume Jean-Louis Le Breton. Plusieurs avocats assurent leur défense : Gustave Hervé, Hamard, Boucheron, Camille Dreyfus, Vincent de Moro-Giafferi, René Laffont, Hector Bezançon, Urbain Gohier, Jean Brack et Maria Vérone. « Celle-ci plaide pour Henriette Roussel, « cela nous vaut une belle déclaration féministe », note L’Humanité. Elle développe l’idée que les femmes ont le devoir d’être antimilitaristes, de détester la guerre et même la patrie, « marâtre qui les exclut de tous leurs droits ». » La jeune femme est acquittée, les autres sont condamnés avec des circonstances atténuantes de dix mois à cinq ans de prison et à 100 francs d’amende. « Ce fut un triomphe », dira son ami Maître Moro-Giafferri au sujet de la plaidoirie de sa consœur.

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, elle plaide devant toutes les juridictions. « Tout au long de sa carrière, Maria Vérone défend de nombreuses femmes et beaucoup d’enfants : victimes de maris violents, avortées ou avorteuses, jeunes tombées dans la prostitution, petits voleurs de rue affamés. Ces cas concrets de la misère sociale vont la renforcer dans ses convictions et la pousser à agir comme avocate et comme féministe. » Opposée à l’avortement, elle défend celles qui sont contraintes d’y recourir, pointant la responsabilité des hommes, jamais inquiétés. Elle combat la prostitution mais défend les prostituées, pointant les clients, qu’on ne voit jamais à la barre. « Elle plaide sans papiers, sans notes, pour être plus naturelle, plus convaincante. C’est ce qui fait son succès. Pas de fioritures, pas d’effets de manche, mais une argumentation solide, raisonnée, basée sur le bon sens. »

Tout au long de sa vie, Maria Vérone ne lâche rien de ses combats. Même durant la Première Guerre mondiale, alors qu’elle défend des thèses pacifistes et universalistes. « L’antimilitariste est transformée en soldate-cantinière […]. Dès lors que la patrie est attaquée, la voilà qui se met au service de la France sans hésiter. Elle le fait à sa façon : concrète, pratique, efficace. »

La guerre terminée, elle poursuit son œuvre au sein de la LFDF et en devient présidente à la suite du décès de Marie Bonnevial. Parmi les sujets qui la préoccupent : le sort des femmes après la démobilisation, la pension des veuves de guerre, le coût de la vie, le droit au travail, l’égalité des salaires, l’infériorité civile de la femme mariée, sa nationalité si elle épouse un étranger, la recherche de paternité, etc.Surtout, elle défend depuis toujours le droit de vote des femmes : « Dès sa nomination comme avocate, Maria Vérone s’est battue avec ses nouvelles armes pour ce droit fondamental qu’on refuse depuis toujours aux femmes : le suffrage universel. »

La lutte pour le droit de vote

Le 8 avril 1908, Maria Vérone accompagne Jeanne Laloë à la mairie du IXe arrondissement pour demander un préau afin de tenir une réunion électorale. Elle est la première candidate femme aux élections municipales de Paris. Renvoyées devant la préfecture, elles reçoivent du secrétaire général un refus argumenté : « Pour avoir un préau, il faut être candidat ; pour être candidat, il faut être éligible ; pour être éligible, il faut être électeur ; pour être électeur, il faut être du sexe masculin… » Ce à quoi Maître Vérone répond : « Et pour être de sexe masculin ? » Pour ce dossier, elle s’appuie sur la loi de 1884 qui « n’interdit pas aux femmes de se faire inscrire sur les listes électorales même si elle ne leur donne pas explicitement ce droit » et réussit à obtenir un préau. Ce soir-là, des milliers de personnes sont présentes. Malgré « des vociférations, des hurlements et des cris d’animaux », Maria Vérone prend la parole : « Le tapage suscité par quelques très jeunes gens – que leur âge excuse en partie – prouve que l’on redoute le féminisme. On nous laisserait parler, si l’on était sûr que nous allions prononcer des paroles insensées. Mais on sait que nous avons pour nous la raison et il est difficile de lutter longtemps contre elle. »

Brangé, Public domain, via Wikimedia Commons

Contrairement aux suffragettes anglaises, Maria Vérone se dit d’abord « ennemie de la violence ». Elle suit la ligne des féministes françaises, issues de la bourgeoisie : la négociation plutôt que l’affrontement. « Son statut d’avocate en fait une femme reconnue par l’élite intellectuelle », c’est même une people suivie de près par la presse. Elle s’interroge après la Première Guerre mondiale, quand elle voit le droit de vote acquis en 1919 outre-Manche. En France, la chambre des députés propose plusieurs projets de loi, mais le Sénat repousse sept fois le vote de 1919 à 1935. En juillet 1936, une nouvelle proposition de loi est adoptée à la Chambre par 395 voix. « C’est fort bien, mais maintenant, que va faire le Sénat ? Rien, très certainement », écrit-elle en septembre dans Le Droit des Femmes. Effectivement, le Sénat repousse toujours. De son vivant, Maria Vérone ne verra jamais la femme française voter.

« L’avocate des femmes et des enfants »

Comme l’écrit son arrière-petit-fils, Maria Vérone ne voulait pas du rôle de « l’avocate des femmes et des enfants », mais c’est devenu sa spécialité par la force des choses. En 1911, elle milite pour la création de tribunaux spéciaux pour enfants. La loi est promulguée le 21 juillet 1912. Les rapporteurs s’étant appuyés sur les conférences de Maria Vérone sur le sujet, elle a donc « contribué activement à son élaboration ». « Elle privilégie la liberté surveillée, choisit la pluralité des juges (un juge professionnel et deux juges assesseurs) et limite la publicité des audiences. » Après quelques années, les « abus de la liberté surveillée » inquiètent. Maria Véron réclame plus d’inspecteurs de l’Assistance publique et d’ouvrir cette profession aux femmes, ce qui n’est pas le cas en 1935. Elle publie en 1920, chez Larousse, La Femme et la loi « dans lequel elle passe en revue le droit civil, la législation du travail, les institutions de prévoyance et le droit pénal, le tout sous l’angle des femmes. Elle y aborde toutes les questions qui les concernent : célibat, mariage, naturalisation, émancipation, divorce, enfants naturels, recherche de paternité, adoption, réglementation du travail féminin dans les usines, les ateliers, les boutiques ou à domicile, les retraites, les prud’hommes, les syndicats, l’infanticide, l’avortement, l’adultère, la prostitution. »

Un engagement pour sa profession, et au-delà

En 1931, Maria Vérone a presque 25 ans de carrière derrière elle. Elle décide qu’il est temps de se présenter au conseil du barreau de Paris. Au premier tour, elle recueille 186 voix, puis 217 au second tour : « un succès d’estime ». Elle retente en 1934 et obtient le score « grotesque » de 146 voix. Il faut attendre 1998 pour qu’une femme, Dominique de La Garanderie, soit élue au bâtonnat de Paris. Elle crée tout de même l’Union des avocates en 1933.

Maria Vérone s’intéresse à de nombreux sujets, donne des conférences mais s’investit aussi dans des associations parfois éclectiques, comme en juillet 1931, lorsqu’elle est vice-présidente de l’Association d’études sexologiques du docteur Toulouse, qui étudie la sexualité sous des aspects scientifiques et sociaux. « Elle tiendra sa dernière conférence publique le 9 décembre 1937 à Montrouge, avec pour thème : le droit des femmes. Pendant quarante-cinq ans, elle aura usé les estrades et donné de la voix pour faire connaître et défendre ses idées. » Elle constitue la même année l’Association de défense de la ménagère.

L’Intransigeant, 25 mai 1938

Bibliothèque Nationale de France

Maria Vérone reçoit les honneurs peu avant sa mort. Elle est faite chevalier de la Légion d’honneur en 1936. Malade, elle subit plusieurs opérations mais rien n’y fait. Maria Vérone décède à son domicile le 23 mai 1938, laissant son mari et ses deux enfants, Antoinette et Georges. « Ses obsèques sont célébrées dans l’intimité. Elle est inhumée au cimetière de Saint-Ouen, où l’on peut toujours voir sa tombe. » 80 articles de presse lui sont consacrés et « les hommages sont unanimes ».

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