« Mur des cons » : une cinglante condamnation

Publié le 12/03/2019

Par un jugement du 31 janvier dernier, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature à l’époque de la révélation du « Mur des cons » en 2013, à 500 euros d’amende pour injure publique au bénéfice d’un plaignant.

« Mur des cons » : une cinglante condamnation
Photo : ©P. Cluzeau

Le moins que l’on puisse dire c’est que la condamnation de Françoise Martres dans l’affaire du « Mur des cons » a surpris tous ceux qui ont assisté au procès début décembre. Non que la condamnation n’ait pas été justifiée aux yeux des observateurs. Si le sort des personnalités politiques accrochées sur le mur n’émouvait pas forcément, en revanche, la présence de deux pères de victimes était unanimement considérée comme choquante. Lors du procès, Françoise Martres leur a d’ailleurs présenté ses excuses. Seulement voilà, techniquement, le dossier s’annonçait compliqué dès lors qu’il s’agissait de démontrer l’existence d’une injure publique alors que le fameux « mur » était installé dans un local syndical, et qu’il avait été filmé à l’insu du syndicat. Le parquet ne voyait pas matière à poursuites et avait requis le non-lieu, même les avocats des parties civiles confiaient leurs doutes en raison de la complexité de la démonstration à rapporter quant à l’existence d’une injure publique en l’espèce.

Il pleut à grêlons sur la justice

L’enjeu du procès pour le Syndicat de la magistrature, au-delà de la défense de Françoise Martres, consistait à préserver la liberté d’expression des magistrats. De fait, la prévenue ainsi que plusieurs témoins de la défense se sont employés à expliquer que l’on pouvait très bien avoir des opinions en tant que citoyen et les exprimer, fut-ce de manière discutable, et redevenir impartial dans l’exercice de son métier de juge. En pratique, Françoise Martres avait expliqué que ce « mur » n’était pas une décision syndicale, mais une série d’initiatives individuelles liées à un contexte politique très particulier, celui des années Sarkozy. C’était un exutoire, dans une période où la magistrature s’estimait attaquée. On se souvient notamment de la phrase de Nicolas Sarkozy qui avait qualifié les juges de « petits pois » ou encore de ces nombreuses mises en cause de la justice à l’occasion de faits divers. « C’était un chaudron de sorcières », est venu expliquer à la barre l’ancien président de la Ligue des droits de l’Homme, Pierre Tartakowski. Selon son récit, dans les années 2000, la droite « mitraille le pacte républicain de propositions transgressives » dans un élan de « néoscuritarisme ». « Il pleut à grêlons sur la justice », ajoute-t-il. Également cité par la défense, le psychanalyste, Christophe Dejours, a expliqué qu’on était au-delà du simple exutoire. Il a comparé ce mur à certains rituels constatés dans le bâtiment ou la santé qui consistent à se mettre en danger collectivement dans l’objectif de conjurer l’angoisse suscitée par un métier dangereux ou exposant à de lourdes responsabilités. William Goldnadel, qui défendait notamment Robert Ménard, a rétorqué que cela posait quand même un sérieux problème en termes d’impartialité objective : comment peut-on être serein quand on est affiché sur ce « mur » et que l’on risque ensuite de se retrouver jugé par un membre du syndicat, s’est-il interrogé. Syndicat dont il a rappelé que l’un des textes mythiques, la harangue de Baudot prononcée en 1974, dit ceci : « Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d’un côté ». Et l’avocat d’asséner : « Ces gens sont partiaux, le camp du mal ne mérite pas d’être bien traité, y compris judiciairement ». Juridiquement, la défense a expliqué que le local pouvait recevoir des visiteurs, mais qu’il n’était pas public et qu’on ne pouvait considérer que ce « mur » était un affichage. Quant aux formules utilisées, depuis l’intitulé : « Mur des cons », jusqu’aux consignes d’utilisation « Avant d’ajouter un con, vérifiez qu’il n’y est pas déjà » ou encore « Amuse-toi à coller une petite flamme sur le front des cons fascistes » (NDLR : la flamme en question est le logo du Rassemblement national), elles ne sont pas forcément injurieuses et en tout cas bien moins violentes que les attaques subies à l’époque par les magistrats, ont expliqué les témoins de la défense. De l’ensemble des témoignages, il ressortait donc au final que le « Mur des cons » n’était rien de plus qu’une blague potache, pratiquée en privé, et sans incidence aucune sur l’impartialité des membres du syndicat dans l’exercice de leurs fonctions. C’est donc presque naturellement que le quatrième jour, le procureur a requis la relaxe. Décidé à défendre le droit, rien que le droit, il a expliqué qu’il s’interdisait d’émettre toute opinion personnelle. Or sur le terrain du droit, les faits n’étaient pas constitués à son avis. Impossible de qualifier d’affichage public un mur non destiné à être rendu public dans un local non public dont la seule présence d’un journaliste ne suffisait pas à modifier la destination. Non seulement il a requis la relaxe, mais il a mis en garde le tribunal sur le fait que toute autre décision aurait des conséquences funestes sur la liberté d’expression. Des 12 personnes qui se sont constituées partie civile, dont une majorité de politiques, aucune n’est venue à l’audience, à l’exception de l’humoriste Dieudonné, le premier jour, et du général Philippe Schmitt, qui a assisté à tout le procès. Sa fille, Anne-Lorraine, a été tuée en 2007 dans le RER D par un récidiviste. C’est pour avoir réclamé des lois plus fermes à l’époque qu’il s’est retrouvé sur le « Mur des cons ». Pendant le réquisitoire, lorsqu’il a compris que le parquet allait requérir la relaxe, sans un mot de condamnation, fut-ce symbolique, il a quitté bruyamment la salle. Entre la blague de potache et la fragilité des charges sur le terrain du droit, la relaxe semblait assurée.

Le « Mur des cons » est une composition collective

Seulement voilà, contre toute attente, le tribunal correctionnel de Paris n’a pas du tout suivi la pente à laquelle le conduisait le procès. Ni les difficultés de qualification des faits invoquées, ni les explications factuelles ne l’ont convaincu de prononcer une relaxe. Certes, sur les 12 parties civiles, parmi lesquelles Christian Jacob, Éric Woerth ou encore Patrick Balkany et Robert Ménard, la seule condamnation intervient au bénéfice du général Philippe Schmitt. Mais la motivation, d’une sévérité exemplaire, y compris dans les jugements de relaxe, témoigne d’une volonté de condamnation indiscutable.

Concernant le panneau lui-même, le tribunal note qu’il est « Particulièrement visible de par sa taille et de par son emplacement dans la salle principale ». La défense assure que ce n’est pas une démarche syndicale résultant d’une prise de décision collective officielle ? Le tribunal rétorque « Cet affichage n’est donc pas le résultat d’une série d’initiatives individuelles successives et indépendantes les unes des autres. Il est au contraire une composition collective obéissant à des règles définies par les membres du syndicat et n’ayant jamais fait l’objet d’une remise en cause de leur part ». Mais qu’importe au fond dès lors qu’il se trouvait dans un local privé. Pas du tout, estiment les juges qui le considèrent comme public par destination dès lors que des personnes extérieures au syndicat ont été autorisées à y pénétrer. De même, le fait de mettre ce mur sous les yeux de personnes étrangères et de le commenter en présence de trois journalistes révèle la volonté de la présidente de le rendre public. Rappelons à ce stade qu’il a été filmé en caméra cachée. C’est parce que le journaliste a interpellé la présidente que celle-ci est venue expliquer de quoi il s’agissait. Le tribunal développe donc ici une analyse particulièrement sévère de la scène.

Épinglé et réifié sur un mur…

Il avait été soutenu également à l’audience que le terme « con » n’était pas forcément injurieux. Là encore, le tribunal balaie l’argument : « Cet adjectif empreint d’une indéniable vulgarité désigne celui que l’on ridiculise, que l’on méprise ». Et le tribunal ajoute « Le fait d’être épinglé et réifié sur un mur coiffé de l’épithète con s’analyse en une attaque personnelle visant à dégrader et offenser la personne choisie pour cible ». Restait un argument pour la défense : la liberté d’expression dans le cadre du débat politique. Après tout, puisque Nicolas Sarkozy traitait les magistrats de petits pois, il fallait bien que lui et les membres de la majorité acceptent qu’on leur réponde vertement. Le tribunal admet que le débat politique suppose en effet une très large liberté d’expression. Seulement voilà, en l’espèce ce n’était pas des prises de position qui étaient épinglées mais des photographies des personnes. Le jugement s’achève par une leçon cinglante. Certes, les juges ont comme tout citoyen le droit à la liberté d’expression, mais pas celui de tenir « des propos dépassant le libre droit de critique, ni de proférer des injures ou formuler des attaques gratuites ». Et de conclure « la conception, la réalisation, la publication et la diffusion du « Mur des cons » était donc inconcevable de la part de magistrats compte tenu de la mission et du rôle particulier de l’autorité judiciaire dans une société démocratique ».

Françoise Martres a été relaxée dans toutes les affaires concernant des politiques. S’agissant d’Éric Woerth par exemple, le tribunal s’avoue dans l’incapacité de déterminer si celui-ci était mis en cause à titre personnel ou en raison de ses fonctions de député. Étant lié, en matière de délit de presse, par la qualification initiale, le tribunal n’a pu la condamner. Concernant le général Philippe Schmitt, Françoise Martres est condamnée à 500 euros d’amende pour injure publique. Elle devra par ailleurs lui verser 5 000 euros de dommages et intérêts et 10 000 euros de frais de justice.

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