Noémie Saidi-Cottier : « Quand j’ouvre un dossier, je n’ai pas l’impression de bosser, c’est comme ouvrir un roman » !
Sur l’écran, un gorille en gros plan dans le blizzard vous fixe de son œil noir, le sourcil froncé. On se demande, un instant, si internet ne nous a pas joué un tour. Non, nous sommes bien sur la page d’accueil du site de Noémie Saidi-Cottier, avocate au barreau de Paris. Ce primate, dit-elle, a « le côté hyperrassurant de la défense ». Elle explicite : « Je lui trouve une force tranquille. Il est enveloppant, va faire corps avec vous quoi qu’il arrive. Quand vous allez voir un avocat, vous n’êtes plus tout seul. Les coups, on va les prendre à deux »…
Petite, souriante, gabarit poids plume, Noémie Said-Cottier est à peu près l’opposé du gorille de sa page d’accueil. Elle a l’élégance sobre, porte des sacs à main de dame avec une allure d’étudiante. Elle parle vite, avale la fin d’une anecdote avant d’en commencer une autre, en général l’histoire d’un mec qu’elle défend ou un souvenir d’audience. Des affaires de viol, de violences policières, de terrorisme, d’enfants volés. Ses dossiers semblent un condensé de l’époque. Certains de ses clients sont médiatiques. On la retrouve dans l’affaire Adama Traoré, le dossier Lafarge en Syrie, dans l’affaire Griveaux, où elle défend Alexandra de Taddeo.
Elle porte avec fierté un nom composé qui mêle l’arabe et le français. Sa mère, fille de diplomate, a été élevée entre Neuilly-sur-Seine, Washington et Londres. Son père, rapatrié d’Algérie, a passé quelques années d’enfance dans un bidonville de Marseille en arrivant en France. « Il était autodidacte, touche à tout, aurait pu être un grand avocat », dit de lui sa fille. « Mes parents avaient les mêmes valeurs, pas le même milieu ». Noémie Saidi-Cottier grandit deuxième d’une fratrie de trois, au gré des mutations de sa mère, prof agrégée d’anglais qui met un point d’honneur à exercer en quartier prioritaire. Elle grandit entre la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et un Est parisien encore populaire. « Il y avait une grande idée de servir la France dans ma famille, et je remercie ma mère de nous avoir expliqué la vie de ses élèves ». À cette famille mixte socialement et culturellement, elle doit de se sentir aujourd’hui comme une anguille sociale. « J’ai les mêmes références que mes clients qui ont grandi en cité. On se comprend, on rigole. Mais, de par mes études et mon éducation, je suis aussi à l’aise avec des chefs d’entreprise ».
Le goût de la défense remonterait à l’époque du primaire, « à une époque où les classes moyennes n’avaient pas encore boudé l’école publique ». « Je défendais mes copains de classe, surtout ceux qui avaient fait des conneries », dit-elle, sans vraiment savoir expliquer pourquoi. Après une longue carrière de déléguée de classe, elle cherche sa voie. Le journalisme l’attire, le droit aussi. Ce dernier l’emporte, et elle débarque à reculons à Assas, trop marquée à droite. Elle s’y fait des copains, se spécialise en droit fiscal et en droit des affaires, « comme tout le monde ». « C’était la mode, la filière vue comme la plus prestigieuse ». Elle enchaîne avec un master en droit des affaires à Aix-en-Provence. Mais, dès qu’elle peut, elle se faufile sur les bans de la cour d’assises, à deux pas de la fac, où sont jugées les affaires de grand banditisme corse. Au premier rang, ses longs cheveux bruns encadrant son visage, on la prend souvent pour la fille de l’accusé. De retour à Paris, elle intègre le barreau, exerce à peine quelques mois comme collaboratrice. Jeune avocate commise d’office, elle découvre les comparutions immédiates, cette justice si rapide qu’elle ressemble à une broyeuse, avec ses enquêtes bâclées et ses expertises psy faites « en 10 minutes sur un coin de table au commissariat ». Les peines tombent, « extrêmement sévères », sur les plus précaires. L’expérience est à la fois révoltante et stimulante. « Personne ne devrait être jugé comme ça. Mais quand on arrive au dépôt et que ça pue, qu’on est le premier visage ami, qu’on traque les nullités d’un dossier hyper rapidement, qu’on cherche des garanties de représentations, qu’on essaye de démontrer qu’il n’y a pas de preuve de culpabilité… eh bien, on est vraiment avocat, ça a du sens d’être présent. On se sent hyper utile. »
Au début des années 2010, elle défend pro bono « un gars sympa » qui s’est fait expulser de son logement. Il la rappelle peu après pour lui parler d’une famille de sa cité dont le fils doit être jugé aux assises. C’est ainsi qu’elle est « catapultée », à trois semaines de l’ouverture du procès, dans une tentaculaire histoire de meurtre avec séquestration. « Un dossier de milliers de pages, dans lequel je succédais à Patrick Maisonneuve, que j’admirais. Mon client faisait la gueule parce que ses parents avaient changé d’avocat ». Elle sait alors à peine « de quel côté s’asseoir à l’audience », se retrouve en défense aux côtés de Joseph Cohen-Sabban, Marie-Alix Canut-Bernard, Éric Dupond-Moretti, « que des gens dont j’avais lu le nom dans les journaux ». Elle perd 7 kg et le sommeil, obtient un acquittement. « Cela m’a permis de m’installer ».
Elle se met à recevoir des lettres de prison, enchaîne les dossiers de stup, découvre les pressions sur les résultats obtenus, les complices qui cherchent à savoir ce qui a été dit en garde à vue. « C’était compliqué », se souvient-elle. « On ne nous prépare pas à tenir tête à un certain milieu pénal ». Mais il y a aussi les petites boîtes de gâteaux et les bouquets de fleurs qui arrivent à son cabinet. Ils la touchent autant qu’ils l’étonnent. « C’est moi qui avais envie de remercier mes clients de m’avoir choisie, parmi 37 000 avocats, malgré mon inexpérience et mon syndrome de l’imposteur. Je trouvais ça exceptionnel et je n’osais même pas demander d’honoraires. » Pour son deuxième procès aux assises, elle défend un meurtrier de 25 ans. « On a beaucoup discuté au parloir. Après ma plaidoirie, il pleurait. Il m’a dit que jamais personne n’avait parlé de lui comme ça. Défendre quelqu’un, c’est aussi lui montrer qu’en dépit de la gravité des faits, on peut dire quelque chose de positif sur lui. Il y a toujours quelque chose. »
À l’époque, elle rêve d’avoir un mentor. Faute de le rencontrer, elle trace sa route, sans modèle ou si peu. « On avait Françoise Cotta, Gisèle Halimi, point ». Elle force sa voix, feint l’assurance. « J’imitais vachement. À l’audience, je prenais l’air lourd en balançant mon dossier ». Un jour, son amoureux qui s’est glissé dans la salle d’audience, la regarde, déçu de ne pas la reconnaître vraiment. « Il m’a dit : sois toi-même, parle comme tu le fais dans la vie ». Elle l’a écouté et plaide désormais avec conviction mais sans effet de manches. Elle admire toujours Éric Dupond-Moretti, s’en excuserait presque – « il est macho, désagréable et c’est un ministre décevant, mais il suffit qu’il soupire à l’audience pour qu’il se passe quelque chose » -, mais a enfin des modèles de femmes pénalistes, cite Jacqueline Laffont ou Céline Lasek.
En 2018, elle défend Marie Laguerre, une jeune femme brune aux cheveux très longs, qui vient d’être agressée en pleine rue à Paris. La scène, filmée, devient virale. La jeune femme porte plainte, devient une figure de la lutte contre le harcèlement de rue. Me Noémie Saidi-Cottier l’accompagne sur les plateaux télé, gagne des clientes féministes. Deux ans plus tard, le 8 mars, elle signe une tribune collective portée par 114 femmes pénalistes réaffirmant l’importance de la prescription et de la présomption innocence. Dans le monde judiciaire, ça pourrait sembler enfoncer des portes ouvertes. « Mais je me suis fait gentiment engueuler par certaines clientes qui ne comprenaient pas », confie-t-elle. Elle met un point d’honneur à défendre aussi bien des femmes victimes que des hommes mis en cause pour des faits de violence. Récemment, elle est intervenue aux assises pour un homme qui, deux fois dans la même journée, avait violé des femmes de l’âge de sa mère après les avoir suivies en sortant de l’ascenseur. Elle a plaidé l’enfance, « une des plus tristes que j’ai entendue. Il avait été abandonné par une mère toxico, sevré, placé en foyer, violé. Tout le monde le voyait comme un monstre. À la fin de l’audience, une des deux victimes est venue me voir et m’a dit que cela lui avait fait du bien de connaître sa vie ». Parfois, souligne-t-elle, les procès apaisent.
Quand nombre d’avocates raccrochent la robe au moment où elles deviennent mères, Noémie Saidi-Cottier semble arriver à tout mener de front. Elle a deux enfants encore petits, débranche pour eux le week-end, parfois même le mercredi. Puis repart sillonner les cours d’assises. Son secret ? Un mari « top », qui prend le relais et lui permet de partir en garde à vue à n’importe quel moment. Elle aime lire, des histoires d’avocats. Elle adore Philippe Jaenada et sa manière fantasque et précise de revisiter les affaires judiciaires passées. Au cinéma, elle aime les films de procès. Tout la ramène au pénal, cette drôle de discipline qui permet de passer des beaux quartiers aux dépôts glauques des tribunaux. « On prend dans nos bras des gens qu’on n’aurait jamais pu rencontrer autrement. Les clients vous déballent leur vie, vous racontent des trucs qu’ils ont jamais dits à personne. Quand j’ouvre un dossier, je n’ai pas l’impression de bosser, c’est comme ouvrir un roman » !
Référence : AJU013p8