Perquisition dans un cabinet d’avocat et intervention du bâtonnier dans la protection des droits de la défense
La chambre criminelle de la Cour de cassation contrôle le contenu de l’ordonnance de perquisition dans un cabinet d’avocat prise par un magistrat instructeur. Le contenu de cette ordonnance, porté à la connaissance du bâtonnier, doit être suffisamment précis. Le juge ne peut procéder par renvoi à d’autres actes de procédure comme le réquisitoire du parquet. L’information précise apposée dans le corps de l’ordonnance, doit permettre au bâtonnier, conformément à l’article 56-1 du Code de procédure pénale, de s’opposer à la saisie de certains documents et objets s’il estime qu’elle porte atteinte aux droits de la défense et viole le secret professionnel. Par ailleurs, la motivation précise de la décision de perquisition doit donner au juge des libertés et de la détention la possibilité de mesurer la proportionnalité de cette mesure avec le respect dû au domicile.
Cette protection par le bâtonnier en amont et ce contrôle par le juge a posteriori deviennent théoriques et illusoires si les informations contenues dans l’ordonnance sont évasives ; ce que refuse la Cour s’attachant à l’effectivité des garanties.
Cass. crim., 8 juill. 2020, no 19-85491
À l’heure où une réflexion est menée sur le renforcement du secret professionnel des avocats et où des vides juridiques subsistent afin d’assurer son respect dans le cadre de certains pratiques d’investigations, la présente décision apporte une intéressante contribution sur l’état de la législation existante et le contrôle de sa mise en œuvre par la Cour de cassation.
Dans le cas d’espèce, un juge d’instruction a ordonné la perquisition d’un cabinet d’avocat, aux visas de l’article 56-1 du Code de procédure pénale et du réquisitoire supplétif visant « l’atteinte à la liberté d’accès ou à légalité des candidats dans les marchés publics dans le cadre d’un marché public en concurrence (…) et dans le cadre d’un marché public (…) », « aux fins de rechercher tous documents ou éléments susceptibles d’avoir concouru aux faits (…) objets du réquisitoire supplétif ».
À l’occasion de la perquisition, le délégué du bâtonnier de l’ordre des avocats s’est opposé à la saisie de certains documents. Ceux-ci ont alors été placés sous scellés fermés. Il a été dressé un procès-verbal des contestations, qui a été transmis au juge des libertés et de la détention. Le juge des libertés et de la détention a validé les saisies pratiquées et refusé la restitution des documents saisis.
Un pourvoi a alors été formé. Invoquant un excès de pouvoir, le demandeur articulait sa critique en plusieurs branches. La première consistait à prétendre que le juge des libertés et de la détention avait commis un abus de pouvoir en validant une perquisition et une saisie opérée par un magistrat instructeur qui était en conflit ouvert avec le cabinet de l’avocat chez qui la perquisition avait eu lieu, à propos d’un autre dossier que ce cabinet suivait, et qui avait dénoncé son inaction et obtenu son dessaisissement. Sur ce point, la Cour de cassation rejette le moyen comme étant infondé. Elle rappelle opportunément que le juge des libertés et de la détention n’est pas le juge naturel de la récusation. Autrement dit, il convenait de commencer par contester l’impartialité du magistrat ; ce qui n’avait pas été fait.
En revanche, la troisième branche du moyen trouve naturellement grâce auprès des magistrats de la chambre criminelle. Au visa des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et 56-1 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation annule l’ordonnance pour excès de pouvoir.
Elle rappelle la règle : « Il résulte de ces textes que les perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué ».
Puis la Cour en tire la conséquence logique dans le cas d’espèce en énonçant que : « (…) L’absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l’objet de celle-ci, qui prive le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l’information qui lui est réservée et qui interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l’avocat concerné ».
En prenant soin de préciser les raisons factuelles dans sa décision, la Cour de cassation marque sa volonté d’assurer l’effectivité de l’intervention du bâtonnier. Cette dernière est subordonnée à l’information précise qui doit être contenue dans l’ordonnance du juge d’instruction (I). La haute juridiction rappelle également le rôle qui est donné au bâtonnier lors d’une perquisition réalisée dans un cabinet d’avocat (II).
I – Les conditions de l’effectivité de l’intervention du bâtonnier pour la protection des droits de la défense
Lieu naturel de la réception du client et de la réalisation de la prestation de l’avocat, son cabinet et son prolongement, son domicile, est le lieu où sont rassemblées les pièces d’un dossier, et où les consultations sont données. Depuis fort longtemps, il a été jugé1 que la perquisition pratiquée dans le cabinet de l’avocat ne saurait amener la saisie des pièces déposées par une partie qui lui a confié sa défense. D’une manière plus générale, le droit de saisie rencontre une limite dans le droit supérieur de la défense. Il commande aussi d’affranchir de toute entrave les communications des justiciables avec leurs conseils. Ces derniers doivent donc pouvoir échanger librement dans l’intérêt de la défense. Ce qu’ils ne pourraient pas faire si le fruit de cet échange pouvait être saisi. Néanmoins, il convient de garder à l’esprit la finalité de la protection mise en place : l’exercice des droits de la défense. Dès lors que l’avocat sort de sa mission, en commettant une infraction ou en s’en faisant le complice, le secret professionnel ne peut être un obstacle à la manifestation de la vérité et aux pouvoirs de recherche du magistrat instructeur.
Ainsi, les pièces échangées entre l’avocat et ses clients sont couvertes par le secret professionnel aux termes de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. Il n’en demeure pas moins que le juge d’instruction a le pouvoir de saisir de telles pièces lorsqu’elles sont de nature à établir la preuve de la participation de l’avocat à une infraction2. De même, les correspondances entre avocats sont confidentielles. Mais ce caractère n’exclut pas leur saisie quand elles sont le corps ou l’instrument même d’un délit3. Enfin, les correspondances échangées entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel. Toutefois, leur saisie peut, à titre exceptionnel, être ordonnée et maintenue, si les documents établissent la preuve de la participation de l’avocat à une infraction4.
Toutefois, pour que la saisie porte sur la preuve de l’infraction, cela suppose préalablement l’existence d’indices laissant penser la participation de l’avocat à une infraction. Cela suppose encore que le transport dans les locaux soit guidé par une recherche précise, sur la base d’une infraction déterminée. La perquisition dans un cabinet d’avocat n’est pas un moyen de chercher quelque chose. Elle est un moyen de vérifier ce que l’on peut, sur la base d’éléments objectifs qui doivent pouvoir être contrôlés, soupçonnés de pouvoir exister. Par ailleurs, la saisie de document est valable lorsqu’elle est effectuée en relation directe avec l’infraction objet de la poursuite5 ; celle dont le juge d’instruction est saisi. Elle doit dès lors être limitée aux documents nécessaires à la manifestation de la vérité. Elle ne peut être un moyen de saisir incidemment des documents qui sont en lien direct avec l’exercice des droits de la défense.
C’est dire que le principe doit rester l’impossibilité d’une perquisition au cabinet d’un avocat. Afin de concilier le principe et l’exception, le législateur a édicté des dispositions très précises à l’article 56-1 du Code de procédure pénale, plusieurs fois retouché. Désormais, cet article permet au bâtonnier ou à son délégué d’intervenir de concert avec le magistrat instructeur. Il peut s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il estime que cette saisie serait irrégulière, c’est-à-dire s’il estime qu’elle porte atteinte aux droits de la défense. Pour ce faire, encore faut-il que le bâtonnier puisse savoir pourquoi le magistrat a décidé de perquisitionner au cabinet d’un avocat et ce qu’il vient y chercher. Si avant l’entrée en vigueur de la loi du 12 décembre 2005 le texte de l’article 56-1 du Code de procédure pénale n’imposait pas l’information préalable du bâtonnier6 quant à l’objet de la perquisition envisagée, ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’information est la garantie de l’effectivité de la protection7. La perquisition dans le cabinet ou au domicile d’un avocat est exécutée par un magistrat à la suite d’une décision motivée indiquant la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations ainsi que les raisons et l’objet de la mesure, le contenu de cette décision étant, dès le début de son exécution, communiqué au bâtonnier. Son assistance obligatoire à la perquisition se déroule ainsi en connaissance de cause. À défaut, la garantie instaurée pourrait n’être que théorique et illusoire.
Dans le cadre du mécanisme de garantie instauré, l’ordonnance de perquisition est le support principal de l’information. C’est elle, et elle seule dont le contenu est communiqué au bâtonnier. Dans le cas d’espèce, celle-ci procédait par renvoi en visant le réquisitoire. C’est ce que condamne fermement la chambre criminelle qui avait déjà fait par le passé une application littérale de l’article 56-18. L’ordonnance n’identifiait pas, dans son corps, les différents marchés publics visés par le réquisitoire introductif. Elle ne contenait pas les noms des personnes susceptibles d’avoir été victimes, visées au réquisitoire introductif. Elle ne précisait pas le document informatique qui aurait été supprimé de manière illégale, cette précision se trouvant dans le réquisitoire introductif. Enfin, elle n’indiquait pas la nature des documents qui auraient été falsifiés, ni des faux documents dont il aurait été fait usage. Cette ordonnance ne mentionnait pas tous les marchés publics visés par le réquisitoire supplétif. Elle n’indiquait pas, en particulier, que la saisine du juge d’instruction s’étendait à un projet visé par ce réquisitoire, alors même que des documents relatifs à ce projet avaient été saisis par le juge d’instruction au cours de la perquisition.
Ainsi, le bâtonnier n’avait pas reçu au début de la perquisition, par la connaissance de la décision de perquisition, les informations lui permettant de connaître les motifs de celle-ci, ainsi que son objet afin de déterminer le degré de participation de l’avocat dans les faits objets de la poursuite. Cette imprécision de l’ordonnance du juge a nécessairement porté atteinte aux intérêts de l’avocat concerné. La faculté du bâtonnier de contester efficacement la saisie a été entamée. Elle passe par une information complète. Cette dernière n’est pas un luxe : son intervention est conditionnée substantiellement à une motivation précise et non évasive, succincte ou tronquée. C’est ce que contrôle à juste raison, avec précision, la Cour de cassation : le bâtonnier ne pouvait totalement remplir son office alors qu’il est chargé de la protection des droits de la défense.
II – La délimitation du rôle du bâtonnier lors d’une perquisition
La chambre criminelle rappelle que le bâtonnier a été privé de l’information « qui lui est réservée », pour « assurer la protection des droits de la défense ». En faisant intervenir le bâtonnier à la perquisition, l’article 56-1 du Code de procédure pénale en fait un acteur à part entière de la mesure d’investigation. Son intervention protège les intérêts de l’avocat concerné, ceux de ses clients, mais aussi ceux de la société qui a intérêt à ce que le secret professionnel demeure le principe pour que les droits de la défense soient concrets et effectifs et non théoriques et illusoires. Certes, selon la lettre du texte, ce qui peut être regretté, l’ordonnance de perquisition n’est pas communiquée en copie au bâtonnier. Toutefois son contenu est porté à sa connaissance. Il dispose ainsi d’informations couvertes par le secret de l’instruction : il connait la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, soit les soupçons existant contre l’avocat visé, et l’objet de la mesure, c’est-à-dire, ce que le magistrat entend venir chercher. Ceci lui permet de faire obstacle en marquant son opposition à la saisie, s’il estime que les droits de la défense des clients de l’avocat peuvent être violés, après avoir pris connaissance en même temps que le juge des documents ou des objets dont il est envisagé le placement sous main de justice.
Mais, de même que le rôle du bâtonnier n’est pas de procéder lui-même à la perquisition9, la Cour de cassation rappelle dans la présente décision, qu’il ne contrôle pas le bien-fondé de la perquisition. Ce rôle est dévolu au juge des libertés et de la détention. La Cour de cassation veille aussi à ce que la mission qui lui est impartie soit assurée. Ce contrôle judiciaire ne doit pas se limiter aux seuls documents ayant fait l’objet d’une opposition du bâtonnier. Le juge doit s’assurer que les documents contestés sont en rapport avec l’objet de l’information10.Il lui appartient, fût-ce en recourant lui-même à une mesure technique comme l’expertise d’un disque dur, de prendre personnellement connaissance des documents saisis et de décider s’ils doivent être restitués ou versés au dossier de la procédure.
Dans le cas d’espèce, le contrôle réel et effectif de la mesure ne pouvait pas être réalisé à la lecture de l’ordonnance motivant la perquisition. Le juge des libertés et de la détention est aussi sanctionné pour avoir procédé à un contrôle superficiel. En l’état de sa rédaction, les mentions de l’ordonnance interdisaient le contrôle de cette mesure. En statuant comme elle le fait, la chambre criminelle force le juge des libertés et de la détention à procéder à un contrôle réel. On notera que la chambre criminelle évoque incidemment le principe de proportionnalité en visant l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Elle n’en parle plus après dans le corps de sa décision. Mais elle rappelle donc implicitement que puisque cette mesure porte atteinte au domicile, le juge de la liberté doit aussi procéder à un contrôle de proportionnalité. Ce contrôle a posteriori permet de sauvegarder aussi le libre exercice de la profession d’avocat ainsi que le secret professionnel. Ceci est d’autant plus important que la décision rendue n’est pas susceptible d’appel, bien que la décision de verser des pièces saisies au dossier de la procédure n’exclut pas la possibilité pour les parties de demander ultérieurement la nullité tant de la perquisition que de la saisie, ou encore de solliciter la restitution des pièces saisies dans le cabinet de l’avocat11.
Ainsi, désormais la garantie est posée12, y compris pour les perquisitions ou visites domiciliaires effectuées sur le fondement d’autres codes ou de lois spéciales13 et la Cour de cassation veille à son effectivité. Il reste toutefois une interrogation : lorsque la perquisition a lieu dans les locaux de l’ordre en ce compris le bureau du bâtonnier ou lorsque la perquisition vise son cabinet ou son domicile, l’article 56-1 prévoit en son alinéa 8 que les garanties instituées sont applicables, sous réserve de la mission de contrôle impartie au président du tribunal judiciaire en lieu et place du juge de la liberté et de la détention. Cependant, dans de tels cas, le bâtonnier intervient pour lui-même ou pour l’ordre, alors qu’il est l’objet de la mesure. Manifestement rien n’est prévu quant à l’intervention d’un tiers. Sauf à envisager dans un tel cas la désignation hors cadre juridique d’un délégué du bâtonnier pour éviter le mélange des genres. Mais ceci est un autre problème.
Notes de bas de pages
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1.
Not. Cass. crim., 12 mars 1886 : DP 1886, 1, p. 345.
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2.
Cass. crim., 27 juin 2001, n° 01-81865.
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3.
Cass. crim., 9 févr. 1988, n° 87-82709.
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4.
Cass. crim., 12 mars 1992, n° 91-86843 : D. 1993, p. 207, obs. Pradel J. – Cass. crim., 20 janv. 1993, n° 92-85548 ; Cass. crim., 5 oct. 1999, n° 98-80007 ; Cass. crim., 27 juin 2001, n° 01-81865.
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5.
Cass. crim., 14 janv. 2003, n° 02-87062 : Procédures 2003, n° 152, obs. Buisson J.
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6.
V not. Cass. crim., 1er mars 2006, n° 05-87252 : AJ pénal 2006, p. 304, note Remillieux P.
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7.
V Porteron C., Droit à l’information et procédure pénale. Contribution à l’étude des droits de la personne poursuivie, thèse, 2002, Nice.
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8.
Cass. crim., 9 févr. 2016, n° 15-85063 : D. 2016. Pan., p. 1727, obs. Pradel J.
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9.
Cass. crim., 5 juin 1975, n° 74-92792 : JCP G 1976, II 18243, note Chambon P.
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10.
Cass. crim., 25 juin 2013, n° 12-88021 : AJ pénal 2013, p. 539, note Belfanti L. ; Procédures 2013, n° 260, note Chavent-Leclère A.-S.
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11.
Cass. crim., 7 janv. 2020, n° 19-82011.
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12.
Elle suppose que la perquisition soit réalisée dans un cabinet et non chez un prête-nom ayant la qualité d’avocat mais n’y ayant pas installé son cabinet ou son domicile : Cass. crim., 18 févr. 2015, n° 14-82019. La garantie est exclue pour d’autres professions qui ne sont pas visées par le texte comme un mandataire : Cass. crim., 18 juin 2003, n° 03-81979.
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13.
CPP, art. 56-1, al. 9.