Tribunal de Meaux : L’ex-commandant de la CRS 4 fait citer dix témoins à son procès

Publié le 05/12/2024

L’ancien patron de la Compagnie républicaine de sécurité 4 (CRS) basée à Lagny-sur-Marne a obtenu du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), ce mercredi, un délai de six mois. Pour arracher le report de son procès, Luc L. a demandé que dix témoins soient entendus à l’audience – du jamais-vu en correctionnelle – et invoqué la non-communication par l’IGPN de pièces essentielles à sa défense.

Tribunal de Meaux : L’ex-commandant de la CRS 4 fait citer dix témoins à son procès
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

L’homme en costume gris perle, sur col roulé anthracite, se tient raide à la barre de la minuscule 3e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Meaux. Âgé de 57 ans, cet ancien gardien de la paix devenu commandant de la CRS 4, dont il a été chassé, doit répondre de détournements de biens publics. Trois préventions, qui courent pour la plus ancienne du 8 février 2020 au 23 janvier 2023, pour les autres du 18 février 2020 au 16 août 2023. Les faits antérieurs à ces dates, dont il était initialement soupçonné, qui lui avaient d’ailleurs valu l’opprobre de la profession et de la presse (jusqu’en Angleterre !), n’ont pas été retenus par Jean-Baptiste Bladier, le procureur de la République. Soit ils étaient prescrits, soit ils n’ont jamais existé. Quoi qu’il en soit, le chef du parquet a tenu à soutenir en personne l’accusation ce 4 décembre.

Même si les infractions reprochées ne s’étalent « que » sur trois ans, et non « 13 ou 14 » comme cela fut relaté, elles demeurent graves. Luc L. nie tout manquement à ses devoirs d’officier responsable de quelque 70 personnes, évoquant une cabale.

À l’issue de son enquête préliminaire, ouverte par le parquet de Meaux fin 2023, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a toutefois mis au jour un système permettant à ce fonctionnaire de percevoir indûment des indemnités de déplacement, des heures supplémentaires non accomplies, d’abuser d’avantages, dont un véhicule de service et un badge de péage à des fins personnelles.

L’agent judiciaire de l’État, représenté par Me Valérie Rovezzo, a chiffré le préjudice à plus de 30 000 euros. Il sera ultérieurement détaillé puisque le prévenu a sollicité le renvoi de son procès.

« Cela sous-entend que des choses ont été cachées »

 Donc, Luc L. se maintient raide à la barre. Tendu, crispé, visiblement outré d’être contraint de rendre des comptes à la justice. Debout à sa gauche, Me Emeraude Claudet, son avocate, dit vouloir faire citer « neuf témoins », et se ravise : « Pardon, dix. » « Dix ?! », s’étonne le président Stéphane Léger, pas sûr d’avoir bien entendu. Le procureur Bladier est tout aussi surpris – il n’a pas le souvenir d’avoir déjà vu cela en audience correctionnelle. « Ce sont des témoins de moralité ? », s’enquiert le tribunal. « Non », répond le conseil, qui balaie la question et passe à autre chose. Sa consœur Rovezzo en reste bouché bée. Elle non plus n’a pas droit aux détails.

Me Claudet enchaîne : « Je souhaite également avoir accès aux documents de l’IGPN, notamment les pièces n°… » Suit ce qui s’apparente à la liste de courses d’une mère de famille au supermarché. La greffière note, non sans difficultés tant l’inventaire s’éternise. « J’en ai besoin ! Elles m’apporteront des éléments de défense », précise l’avocate aux magistrats éberlués. « Je veux également le registre des visiteurs », dit-elle, comme si la CRS 4 était un musée, que ses promeneurs seraient en capacité de justifier la présence du gardien – en l’occurrence de Luc L.

Du coup, la partie civile réclame aussi lesdites pièces : « Cela sous-entend que des choses ont été cachées ? », s’interroge-t-elle à raison. « Non ! Mais le minimum, en correctionnelle, c’est d’avoir tous les éléments ! », rétorque sèchement sa collègue.

Question in petto : pour quelle raison ne les a-t-elle pas exigés auparavant, le dossier ayant été bouclé en mai ? On ne le saura pas.

« Une mutation d’office à un poste fictif »

La liste étant close, il convient de statuer sur le contrôle judiciaire (CJ) de l’ex-commandant. Ayant pris fin le 29 novembre, il faut par conséquent le renouveler, ou pas. « Mon client a interdiction d’exercer. Il est l’objet d’une mutation d’office à un poste fictif », précise la défense sans circonlocution. Il serait même en arrêt maladie, comme au début des investigations. Il est dispensé d’un nouveau CJ jusqu’au 15 mai, date de son procès avec ses dix témoins.

Satisfait, Luc L. récupère sa parka à col en fourrure et quitte le palais.

Cette affaire avait fait grand bruit lorsqu’elle a été révélée le 20 novembre 2023 d’abord par la radio Franceinfo, puis par Le Parisien. À l’époque, il était question d’un emploi fictif depuis la prise de fonction de Luc L. en 2009, de détournements de fonds et de divers avantages, allant jusqu’à la participation de la CRS 4 au repas des fiançailles de son fils. Une première enquête, menée par la Direction centrale des CRS (DCCRS), avait abouti à un rapport interne cinglant, auquel Le Parisien avait eu accès. Il y était fait mention d’absences notoires du patron de la Compagnie, pourtant promu divisionnaire en juin 2018, de sa pratique quotidienne du golf, préférée au casernement du château de Pomponne, d’usage personnel des moyens de l’État. La DCCRS avait calculé qu’il avait parcouru 44 641 kilomètres entre janvier 2022 et février 2023 avec une voiture de service, ce qui équivalait à 7 774 euros de carburant, plus 158 passages aux péages. Enfin, il percevait des indemnités journalières de déplacement lors de missions auxquelles il ne participait pas et des heures supplémentaires non effectuées. À la suite de ce rapport peut-être outrancier, le procureur Jean-Baptiste Bladier avait souhaité y voir plus clair, désignant ainsi l’IGPN, la police des polices, afin de mener l’enquête. L’issue l’a conduit à renvoyer Luc L. devant le tribunal pour détournements de biens publics. Il encourt dix ans de prison.

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