Politique, drôle et grinçant : l’esprit de la revue de l’UJA sur scène
Comme chaque année, la revue de l’UJA prépare son spectacle annuel au théâtre Dejazet. L’actualité politique et sociale y est déclinée en sketchs et chansons. Nous avons rencontré les troupiers et les troupières à quelques jours des représentations, jusqu’au 14 juin.
« Au niveau de la justesse, on est vachement mieux. On va l’avoir ! » Dans la salle des studios Bleu du Xe arrondissement de Paris, les voix échauffées doivent encore améliorer quelques notes. La quinzaine d’avocats présents, dont Marie-Laetitia Chaussy, avocate en droit de l’immobilier et Maxime Eppler, avocat en droit de la famille, deux des quatre directeurs de la revue de l’UJA (avec Charles Ohlgusser et Anne-Sophie Laguens), sont en tenue détente. Nous sommes dimanche 8 juin, à quelques jours de la première représentation.
La présence des questions politiques
Pour la présidente de l’UJA, Olivia Roche, avocat d’affaires, la revue vient clôturer son mandat. L’année a été riche du point de vue des événements politiques et sociaux. La revue, piquante comme à son habitude, se nourrit évidemment de l’actualité sociale et juridique. « Bien sûr, les sujets autour des jeunes avocats, les collab’, les stages, au fort ressort comique, sont incontournables mais nos préoccupations professionnelles, comme la question de la réforme de la gouvernance de notre profession, également, sans oublier la gestion de Paris par Anne Hidalgo, et les conséquences des JO sur nous, avocats parisiens. Certains d’entre nous ont d’ailleurs commencé à effectuer des demandes pour avoir des laissez-passer et ainsi pouvoir circuler, mais il semble qu’être avocat ne soit pas suffisant pour se rendre sur l’île de la Cité ! Nous voulions également aborder la question de la montée des extrêmes et les questions d’environnement que l’on traite de plus en plus », explique-t-elle. En tant qu’association à visée syndicale apolitique, il est dans l’ADN de l’UJA de malmener avec humour ou ironie l’ensemble du spectre politique. « On se retrouve autour de valeurs humanistes. C’est inscrit dans l’histoire de l’UJA ». Pour Manu Rui Silva, metteur en scène, « si après un spectacle, les gens sortent et restent pour discuter, que cela génère du débat, alors, c’est réussi. Il faut de l’insolence ». Et Olivia Roche de lui répondre : « Et cette année, il y en a particulièrement ! », plaisante-t-elle. De l’impertinence, de la drôlerie, mais aussi de l’émotion, autant d’ingrédients qui séduisent tant les avocats chevronnés que les plus jeunes.
La force de l’intergénérationnel
Après le centenaire de la revue fêté en grande pompe l’année dernière, avec la reprise de sketchs et chansons devenus mythiques, l’édition 2024, même si elle fait quelques clins d’œil au passé, est entièrement inédite. Le but pour la présidente ? « Réussir à mélanger les jeunes avocats et les plus anciens. C’est dans notre ADN ». Marie-Laetitia Chaussy, codirectrice de la revue, se réjouit d’ailleurs d’une playlist résolument moderne, comptant Dua Lipa, Zaho de Sagazan ou encore Juliette Armanet, un choix adressé pour parler aux jeunes avocats. Benoît Celotto, ancien avocat et metteur en scène, insiste sur l’importance de « créer une équipe, de faire éclore une vision nouvelle, sur un ton moderne, avec un langage qui parle autant aux vingtenaires qu’aux plus de 45 ans ». Parmi ces jeunes recrues, Christophe Calvao pousse la chansonnette, dans un texte qui dénonce la politique réactionnaire de Gérald Darmanin. « Y a des migrants, sous l’océan », sur l’air de « Sous l’océan » de la Petite Sirène, cela interpelle. Membre de l’UJA depuis 2020 – rentré par le biais de SOS Collaborateurs -, et actuellement son secrétaire général, il s’était « déjà engagé au sein de la revue, mais plutôt dans l’ombre, pour aider à créer les affiches. Cette année, j’ai eu envie de passer un cap. Je me suis proposé, mais je ne pensais pas chanter, danser et faire des sketchs ! », s’enthousiasme-t-il. Ce qu’il aime dans l’idée de la revue, c’est « l’émulation », et l’idée d’appartenir à un collectif. « L’expérience est tellement différente du métier que l’on exerce : je ressens une petite appréhension à l’idée d’aller sur scène. Certes on a l’habitude de travailler avec l’oral grâce aux plaidoiries, mais d’habitude, devant des magistrats, et non un public qui a payé pour nous rencontrer ». Cette année, les thèmes politiques ne pouvaient pas être évités, au vu de « l’actualité de l’année écoulée ».
Devant lui, deux jeunes avocates répètent un texte sur les nouvelles collab’, assez hilarant et rempli d’autodérision dans un sketch intitulé : « Tu survis à ta collab ? » Multipliant de petites apparitions, Fouad Khayat, 27 ans, l’un des plus jeunes de la troupe, fait partie de la saynète. Dans l’attente de sa prestation de serment, il se destine au contentieux des affaires. S’il apprécie le théâtre, il a aussi aimé l’idée de rejoindre des confrères et des consœurs qui s’engagent pour des combats sociaux d’importance, au-delà des clivages politiques. « Pour moi, la revue c’est sérieux sans se prendre au sérieux ». Ces dernières semaines, les répétitions se sont clairement intensifiées, donnant le sentiment d’une « grosse coloc », s’amuse-t-il, lui qui peut passer, les jours de répétition, de 9 heures à 23 heures avec le reste des troupiers et troupières. « On devient une grande famille ! » Dans les salles de répétition, entre deux fous rires, des amitiés se créent, et ce n’est pas qu’anecdotique : possibilité d’entraide tout au long de l’année lors des impossibilités de se déplacer lors d’une audience, amitiés intergénérationnelles avec des avocats plus expérimentés… une bouffée d’air aussi. « Ce métier est très prenant, très stressant. Dans les cabinets anglo-saxons, notamment, le rythme de travail est très intense. Faire partie de la revue, cela change les idées ». Ce sentiment est également partagé par Pierre Brunstein, lui aussi « petit nouveau ». Membre de l’UJA depuis 2021, « une décision prise dans la foulée du Covid, de la tristesse des cours à l’EFB à distance et de l’envie de recréer du liant », il participe pour la première fois à la revue. Lui aussi voit en l’UJA et la revue « un formidable vivier d’avocats expérimentés », que l’on peut consulter quand « on se sent un peu perdu ». Pour lui, l’exercice de la revue est donc nouveau : « Je suis habitué à prendre la parole, mais la scène, je ne connais pas ». Alors il a appris le jargon, l’importance des sorties et des entrées, certaines expressions, la façon de poser sa voix. Déjà l’expérience est « super » et le fonctionnement démocratique de l’ensemble le ravit. Il s’est aussi lancé dans l’écriture d’un sketch, « La cliente », convoitée par un avocat associé et… son collaborateur. Les petits « ajustements » ont été apportés par les deux metteurs en scène, Manu Rui Silva et Benoît Celetto qui viennent apporter une touche professionnelle – avec les musiciens et les directeurs artistiques – à un événement amateur qui ne déçoit jamais son public.
Un spectacle amateur… mais de pros
La force de la revue est effectivement de se faire accompagner par une direction artistique mais aussi deux metteurs en scène. « Notre but est de les accompagner et de les emmener au bout de leurs idées pour les rendre les plus scéniques possible, explique Manu Rui Silva, qui officie depuis 7 ans. Surtout dans une troupe qui a un « ton ». Même si les directeurs artistiques ont le dernier mot, nous sommes là pour souligner : « ici il y a une pépite »» ! « Dans une troupe largement renouvelée cette année, nous avons aussi un rôle de mise en confiance, technique, une mise à niveau », complète Benoît Celotto.
Après des échanges informels assez longs, dans une ambiance détendue mais fructueuse, ont émergé les grands thèmes ou sujets de sketchs de la revue 2024, puis les propos se sont formalisés. Cette année, le travail « s’est fait un peu dans l’urgence, comme dans la profession d’avocat », ajoute Benoît Celotto, dans un clin d’œil à ses anciens confrères et consoeurs. Pour Marie-Laetitia Chaussy, quelques envies se sont dégagées : « Nous voulions quelque chose de très bonhomme, de très rose Barbie, et en même temps, avec les élections, les JO, l’actualité de notre profession, les sujets plus graves ne manquent pas ». Anne-Sophie Laguens s’est ainsi lancée dans une reprise étonnante de La Petite Sirène, diatribe grinçante sur la montée des extrêmes. « Je voulais écrire quelque chose sur Marine le Pen, puis sur les élections européennes. La reprise est cash et joue sur le contraste entre la chanson originale, très douce et jolie et les choses très dures que j’y chante, des idées très noires », s’amuse celle qui fait partie de la revue depuis une douzaine d’années. Travailler dans l’urgence pour elle fait partie du quotidien. Et pas d’inquiétude particulière pour 2024, « la magie fonctionne à chaque fois ». Petite surprise en plus : cette édition s’est voulue interactive. On n’en dira pas plus.
Au programme, donc et en vrac : ce détournement de la Petite sirène, mais aussi une dystopie se passant en 1924 et imaginant la présence de femmes… au barreau de Paris ! Mais aussi un sketch abordant les questions de déontologie, l’arrivée dans le métier, ou encore des chansons satiriques (« Le dernier jour d’Hidalgo » sur l’air « Du dernier jour du disco » de Juliette Armanet) où l’actuelle maire de Paris, comme sa potentielle successeuse Rachida Dati ou les Écolos en prennent aussi pour leur grade. L’hommage à une figure emblématique du droit devrait fédérer au-delà des couleurs politiques. À un moment de tensions sociales comme professionnelles, la revue de l’UJA tombe toujours à pic pour une bulle de rires.
Référence : AJU013z0