Prisons : l’ordre des avocats et les barreaux d’Île-de-France tirent la sonnette d’alarme
En rédigeant une lettre ouverte au garde des Sceaux et en remettant un rapport catastrophique sur l’état de la maison d’arrêt de Nanterre suite à la visite de la bâtonnière des Hauts-de-Seine, Isabelle Clanet dit Lamanit, les barreaux d’Île-de-France espèrent taper suffisamment du poing sur la table pour que le ministère de la Justice applique – lui aussi – la loi et soit près pour les Jeux olympiques.
« Les députés, les sénateurs, les représentants au Parlement européen élus en France, les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l’ordre sont autorisé à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières définies à l’article 323-1 du Code des douanes, les lieux de rétention administrative, les zones d’attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés mentionnés à l’article L. 113-7 du Code de la justice pénale des mineurs ». Depuis 2021 et l’article 719 du Code de procédure pénale pour la confiance dans l’institution judiciaire, les bâtonniers ont le droit – comme les députés – de visiter les lieux de privation de liberté. Un outil de plus pour garantir – sur le papier – le respect des droits humains dans les établissements pénitentiaires, régulièrement épinglés par les associations comme par les observateurs pour leur surpopulation chronique, leur décrépitude.
Le barreau des Hauts-de-Seine s’est immédiatement saisi de ce droit pour effectuer des visites à la maison d’arrêt de Nanterre, régulièrement citée dans les rapports sur la surpopulation carcérale. La première fois, le 31 mai 2022, puis le 15 mars 2023 et le 12 mars 2024. Trois années, des constats sévères, peu d’améliorations malgré les injonctions ordonnées par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par requête et mémoire des 30 mai et 15 juin 2023 par la section française de l’Observatoire international des prisons, l’ordre des avocats du barreau des Hauts-de-Seine et l’Association pour la défense des droits des détenus, dans une ordonnance de référé rendue le 30 juin 2023.
« On a un pouvoir donné par la loi de visiter les lieux de privation de libertés, on contrôle régulièrement les commissariats du ressort et les maisons d’arrêt. On voulait revisiter les mêmes lieux un an après les procédures lancées devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et avoir une vision de ce qui avait bougé ou non. On a revisité les mêmes lieux », précise au téléphone Maxime Cessieux, membre du conseil de l’ordre, président de la Commission pénale.
Aucuns travaux en cours, la situation des mineurs catastrophique
Quand la commission se rend sur place, la situation est similaire à l’année précédente, aucuns travaux ne sont constatés, et d’ailleurs aucun document n’est présenté pour justifier les améliorations soi-disant avancées par Christophe Loy, directeur du centre pénitentiaire de Nanterre-Hauts-de-Seine. Réparations des bouches d’aération ? Aucun document ne le prouve ! Audit et travaux de mise en conformité des installations électriques ? Aucun document ne le prouve ! Fenêtres réparées ? Aucun document ne le prouve ! Travaux dans les couches ? Aucune amélioration ! Cellules accessibles aux PMR ? Travaux en cours. Lutte contre les nuisibles ? Aucun document pour attester la multiplication des contrôles avancés par la direction ! «À deux reprises, le 2 décembre 2022 et le 30 juin 2023, la juridiction a enjoint l’État à effectuer les travaux sur les installations électriques, les fenêtres, et rien. Du déclaratif, mais pas de résultat sur place, pas de documents. Pire encore, la surpopulation carcérale a atteint des niveaux jamais vus. Pour 592 places, nous avons compté 1 027 écroués. Pour la première fois, nous avons vu des matelas au sol, des cellules où l’on doit s’enjamber pour circuler », souligne Fabien Arakelian, vice-bâtonnier des Hauts-de-Seine.
Une situation que la bâtonnière, Isabelle Clanet dit Lamanit trouve ubuesque : « l’État lui-même ne respecte pas les décisions de justice et ne donne pas l’exemple, comment espère-t-il que les personnes respectent la loi ? C’est incompréhensible, on devrait être exemplaires sur la gestion des lieux de privation de liberté. Il y a un vrai problème de logique : on arrivera à rien quand la voie qui est choisie par les pouvoirs publics c’est l’inflation carcérale permanente. On commande de nouvelles places qui à peine construites sont déjà insuffisantes alors que l’exemple américain montre bien que cela n’apporte rien de positif. Il faut s’interroger sur quelle prison on veut pour notre société ! »
Pire : l’établissement comptait au 12 mars 2024 :15 mineurs écroués (13 prévenus et 2 condamnés) alors même que le dispositif nommé « STOP ÉCROU » limite l’accueil à 13 personnes mineures. « Concrètement, à Nanterre, cela signifie que les possibilités de suivre un enseignement sont divisées par deux pour les mineurs. Le directeur de la maison d’arrêt est également préoccupé par la progression des troubles mentaux, y compris chez les mineurs. Le suivi médical a été divisé par deux à cause de la surpopulation. Tout cela est inquiétant pour les détenus mais aussi pour les personnels pénitentiaires (une profession qui peine à recruter, NDLR) ! Pourquoi incarcérer si c’est dans ces conditions ? », souligne la Bâtonnière au téléphone.
À l’approche des Jeux olympique, l’inquiétude cède la place au désœuvrement
La situation de la maison d’arrêt de Nanterre, rejoint celle d’autres infrastructures en Île-de-France, comme Fresnes, Bois d’Arcy. Si les barreaux d’Île-de-France ont décidé d’alerter le garde des Sceaux sur la situation de la surpopulation dans les lieux de privations de libertés franciliens, c’est que l’approche des Jeux olympiques met de l’huile sur le feu. En effet, les opérations dites « place nette » se multiplient en amont des Olympiades et accentue la surpopulation carcérale et les barreaux s’inquiètent que rien ne soit prévu pour remédier à l’inflation d’activité pendant les compétitions : « aucune solution ne semble être envisagée par le ministère pour remédier à cette situation. Bien au contraire, pendant les Jeux olympiques, les circulaires du ministère invitent » à la mise en place d’une politique pénale déterminée prévoyant des réponses rapides et fortes », ce qui aura pour effet d’aggraver le phénomène », souligne la lettre ouverte adressée au garde des Sceaux. Les signataires s’étonnent de ce manque d’anticipation alors que la situation était différente, lors du Covid : « les ordonnances avaient été adoptés pour faire face à la crise du Covid, permettant la libération de 13 500 détenus entre mars et juin 2020, ramenant la population carcérale à 58 109 détenus au 1er juin 2020, sans mettre en péril la sécurité de nos concitoyens ».
« Comment pourrons-nous répondre à une éventuelle activité anormale au cœur de l’été ? Les chefs de juridiction nous demandent aussi à nous avocats d’être prèsents mais on regarde se multiplier les opérations « Place nette », les prisons se remplir, les audiences de comparutions immédiates augmenter et on s’inquiète de se retrouver rapidement avec de grosses limites : on ne pourra pas pousser plus loin les murs », explique Fabien Arakelian. « La situation est cocasse : l’État ne respecte pas les décisions de justice. On aura prévenu : un jour, il y aura un drame à la maison d’arrêt des Hauts-de-Seine. Il n’anticipe pas correctement l’afflux d’activité judiciaire et carcérale qu’imposeront les JO et on tire la sonnette d’alarme » !
Il faut espérer que ces alertes des barreaux d’Île-de-France, du conseil de l’ordre ainsi que celles lancées régulièrement par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté seront entendues par le ministère. Quant à l’Observatoire international des prisons (OIP), garde-fou essentiel pour le respect des droits humains, et contre toutes les formes d’abus et d’arbitraire subies par les personnes détenues, il vient de lancer une campagne d’appels aux dons après une perte de 67 % de ses subventions publiques sur 10 ans. Les aides de l’État et des collectivités territoriales, qui comptaient en 2014 pour plus de la moitié de ses ressources, en représentent aujourd’hui moins de 20 %. Pour mener son travail d’enquête et sa mission humanitaire, l’association a besoin du soutien de tous et toutes.
Référence : AJU013n4