Protection des consultations des juristes d’entreprise
La loi d’orientation et de programmation de la justice, récemment votée, comportait un article 49 qui visait à protéger la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise dans le cadre de diverses procédures, y compris celle des enquêtes de concurrence. Cet article a cependant été jugé contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Cons. const., DC, 16 nov. 2023, no 2023-855
Alors que l’avocat et le juriste d’entreprise sont tous deux soumis au secret professionnel, le premier bénéficie d’une protection des documents échangés avec ses clients tandis que le juriste d’entreprise en est privé. Un débat s’est ouvert de longue date sur la question de l’extension aux juristes d’entreprise de la protection de la confidentialité. Les partisans de l’extension invoquaient un argument de compétitivité en soutenant que l’attractivité de la France pour la localisation des directions juridiques des groupes internationaux était en jeu.
Ils ont obtenu satisfaction avec le vote au Parlement du projet de loi d’orientation et de programmation de la justice dont le IV de l’article 19 (devenu art. 49), introduit en première lecture au Sénat, octroyait aux juristes d’entreprise la protection de leurs consultations. Le IV de l’article 49 a cependant été jugé contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
I – Octroi de la protection aux juristes d’entreprise
L’article 49 de la nouvelle loi introduisait dans l’article 58-1, I de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 le principe d’une protection : « Les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur, sont confidentielles ».
L’article 58-1 précisait que les documents ainsi protégés « ne peuvent, dans le cadre d’une procédure ou d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative, faire l’objet d’une saisie ou d’une obligation de remise à un tiers, y compris à une autorité administrative française ou étrangère. Dans ce même cadre, ils ne peuvent davantage être opposés à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient ». En visant les procédures « en matière (…) administrative », le texte précisait clairement que les procédures dans diverses matières étaient concernées par la protection, dans les enquêtes de concurrence, par exemple.
Ceci était confirmé implicitement par l’article 58-1 lorsqu’il précisait que « la confidentialité n’est pas opposable dans le cadre d’une procédure pénale ou fiscale ». Il est clair que les procédures en matière de concurrence n’étaient pas visées par cette exclusion.
La protection ainsi octroyée aux juristes d’entreprise s’inscrivait dans la ligne tracée par la jurisprudence. Rappelons, par exemple, que la protection des correspondances avocat-client avait déjà été étendue dans une affaire de concurrence à des documents provenant des juristes de l’entreprise visitée et reprenant une stratégie de défense mise en place par le cabinet de l’entreprise visitée1. Auparavant, le bénéfice de la protection était limité pour l’essentiel aux communications entre l’avocat et son client2.
Notons néanmoins que l’application de la protection des consultations des juristes d’entreprise est contestée par de nombreux observateurs3.
II – Conditions de la protection
Pour être couvertes par la confidentialité, les consultations juridiques devaient répondre à certaines conditions. Par exemple, le juriste d’entreprise ou le membre de son équipe placé sous son autorité devait être titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent français ou étranger ; le juriste d’entreprise devait par ailleurs justifier du suivi de formations initiale et continue en déontologie ; en outre, les consultations devaient être destinées aux organes de direction, d’administration ou de surveillance ; les consultations devaient également porter la mention « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » et faire l’objet, à ce titre, d’une identification et d’une traçabilité particulières dans les dossiers de l’entreprise et, le cas échéant, dans les dossiers de l’entreprise membre du groupe qui est destinataire des consultations.
III – Procédure
Les règles de procédure étaient également précisées. Ainsi, « le juge des libertés et de la détention qui a autorisé une opération de visite dans le cadre d’une procédure administrative peut être saisi par requête motivée de l’autorité administrative ayant conduit cette opération, dans un délai de quinze jours à compter de celle‑ci, aux fins de voir (…) contester la confidentialité alléguée de certains documents (…) ou ordonner la levée de la confidentialité de certains documents ». Dans les enquêtes en matière de concurrence, l’autorité administrative visée ici était l’Autorité de la concurrence ou la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Après avoir entendu le requérant et l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise, le juge statuait sur la contestation et, le cas échéant, sur la demande de levée de la confidentialité.
Par ailleurs, l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou, le cas échéant, l’entreprise membre du groupe destinataire de la consultation juridique était tenue d’être assistée ou représentée par un avocat.
Une voie de recours était prévue : « L’ordonnance du juge des libertés et de la détention peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué. L’appel peut être formé par l’autorité administrative, l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou, le cas échéant, l’entreprise membre du groupe destinataire de la consultation juridique ».
IV – Sanctions
S’agissant enfin des sanctions, l’article 58-1 punissait « des peines prévues par l’article 441-1 du Code pénal, le fait d’apposer frauduleusement la mention : “confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise” sur un document qui ne relève pas du présent article ». L’auteur d’une telle infraction encourrait donc une peine de trois ans d’emprisonnement et une amende de 45 000 euros. L’amende encourue ici paraît peu dissuasive. À titre de comparaison l’auteur d’une opposition aux fonctions des agents de contrôle en matière de concurrence encourt les sanctions prévues à l’article L. 450-8 du Code de commerce, c’est-à-dire un emprisonnement de deux ans et une amende de 300 000 €.
V – Censure du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel estime que le paragraphe IV de l’article 49 ne présente pas de lien, même indirect, avec les dispositions de l’article 19 du projet de loi initial, relatif au diplôme requis pour accéder à la profession d’avocat. Il ne présente pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat. Il juge donc contraire à la Constitution le IV de l’article 494.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. crim., 26 janv. 2022, n° 17-87359.
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2.
Aut. conc., 19 déc. 2007, n° 07-D-49, pts 157 à 159.
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3.
V. les commentaires cités par A. Ronzano, Infos PJL d’orientation et de programmation de la justice 2023-2027, L’actu-concurrence Hebdo n° 39/2023, 13 nov. 2023
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4.
Cons. const., DC, 16 nov. 2023, n° 2023-855, cons. 147.
Référence : AJU011m7