Rentrée de la cour d’appel de Paris : des moyens, encore des moyens !
Lors de la rentrée solennelle de la cour d’appel de Paris le 13 janvier dernier, le nouveau premier président Jean-Michel Hayat a réclamé des moyens pour sa juridiction. Concernant le délicat dossier de l’open data, il considère qu’il faut ouvrir une réflexion de fond.
Il y a des hommes qui ont la passion de l’organisation. Jean-Michel Hayat en fait partie et l’a démontré lorsqu’il était à la tête du TGI de Paris (devenu le 1er janvier 2020 le tribunal judiciaire) en organisant le déménagement pharaonique de l’institution depuis l’île de la Cité jusqu’au nouveau palais des Batignolles. Le voici de retour, boulevard du Palais, et ce sont toujours les questions de moyens et d’organisation qui occupent le cœur de ses préoccupations. Si la cour d’appel de Paris, sorte de vaisseau amiral de la justice française, n’est pas la plus à plaindre en termes de moyens, elle a néanmoins des besoins à l’échelle de sa taille et de la complexité de ses tâches. Or sa situation actuelle est contrastée.
Philippe Cluzeau
L’état de l’activité civile est encourageant…
Plusieurs signaux sont au vert. L’activité civile, le pôle social et le pôle économique, connaissent ensemble une baisse des affaires nouvelles, tendance qui se répète depuis 2017, une hausse des affaires terminées et une courbe décroissante des affaires en cours. Par ailleurs, a souligné Jean-Michel Hayat, « les contrats d’objectifs signés par les chefs de cour, dès 2015, avec la direction des services judiciaires portent leurs fruits et le dernier mouvement de magistrats dont je remercie une nouvelle fois la Chancellerie, a permis partout de consolider les effectifs, voire de les renforcer encore un peu plus au pôle social ». Troisième signe encourageant, le succès de la Chambre commerciale internationale créée il y a un an avec pour objectif d’attirer une partie du contentieux économique et financier londonien à Paris, lorsque les décisions de justice britanniques, en raison du Brexit, perdront le bénéfice de la reconnaissance mutuelle (v. infra, l’encadré). Cette situation encourageante va permettre à la Cour de se concentrer sur deux contentieux en souffrance : le traitement des appels d’ordonnances de non-conciliation en matière familiale, et celui des taxations d’honoraires d’avocats. Le stock de celles-ci atteint 2 000 affaires, et il faut compter 35 mois pour obtenir une décision. Rappelons que c’est précisément lors d’une audience dans un dossier de taxation d’honoraires qu’au printemps 2019, une avocate a été sortie de force du cabinet d’une juge par la police aux Batignolles. L’événement avait scandalisé le barreau et déclenché la décision d’organiser les premières assises avocats, magistrats, greffiers au mois de novembre suivant pour tenter de trouver des solutions aux tensions croissantes entre ces professionnels.
L’autre geste en direction des avocats a été les mots du premier président relatifs à la grève contre la réforme des retraites. Le jour de la rentrée solennelle, la grève dure de protestation contre la réforme des retraites entrait dans sa deuxième semaine. « Je forme le vœu que les négociations de ce jour entre la Chancellerie et le CNB, débouchent rapidement sur un accord de qualité de nature à dissiper les craintes que vous exprimez, quant à l’avenir de votre profession, a déclaré Jean-Michel Hayat. Vous mesurez par ailleurs, les efforts considérables déployés dans les tribunaux du ressort et à la Cour pour réduire les délais dans le traitement des procédures. Les renvois massifs auxquels il est procédé, les difficultés croissantes rencontrées dans les juridictions risquent, à terme, de remettre en cause le redressement opéré et de réduire à néant les efforts consentis, tout particulièrement dans la période récente. Nous espérons donc, comme vous, une rapide sortie de crise et un apaisement des esprits ».
Celui de l’activité pénale est inquiétant
Sans surprise, la situation de la Cour est beaucoup moins bonne en matière pénale. Le premier président a évoqué « une hausse constante des affaires nouvelles à la chambre de l’instruction, dans les chambres des appels correctionnels, à la chambre de l’application des peines, et bien évidemment les procédures criminelles en matière de terrorisme, la déferlante atteignant désormais le second degré de juridiction ». Il a indiqué avoir réclamé à la Chancellerie une nouvelle formation de chambre de l’instruction et d’une nouvelle formation correctionnelle.
Concernant la réforme de la procédure civile, le premier président a livré des statistiques intéressantes relatives à l’exécution provisoire qui semblent tempérer l’inquiétude sur l’ampleur des conséquences possibles de la réforme de la justice qui rend l’exécution provisoire de droit en première instance. En 2017, le taux d’appel des jugements de première instance, pour le ressort de la cour d’appel de Paris était de 7 % pour les jugements des tribunaux d’instance (hors protection des majeurs), 17 % pour les jugements des tribunaux de commerce, 33 % pour les TGI et 57 % pour les CPH.
Concernant le taux de confirmation, il s’élève à 48 % pour les référés, 60 et 67 % pour les pôles 2 et 4 qui ont à connaître des contentieux civils spécialisés, 65 % au pôle économique, 76 % au pôle social et 78 % au pôle famille. Les données manquent encore en matière pénale. « Quoi qu’il en soit et pour en revenir à la sphère civile, nous examinerons attentivement les appels formés devant le premier président en relevé d’exécution provisoire et je ne manquerai pas de m’en entretenir avec Mesdames et Messieurs les Bâtonniers, les statistiques permettant d’objectiver un débat pour mieux éclairer l’avenir et ajuster les moyens », a précisé Jean-Michel Hayat.
Un travail démesuré et chronophage
Concertant le délicat dossier de l’open data, le Syndicat de la magistrature s’est ému en découvrant le projet de décret du fait que la Chancellerie envisageait de confier l’anonymisation aux magistrats et aux greffiers. Plus précisément, pour les parties, et les tiers, la charge en reviendrait au président de la formation de jugement, pour les magistrats du siège et le greffe, au président du tribunal judiciaire ou au premier président, et enfin pour les magistrats du parquet la décision serait confiée au procureur de la République ou au procureur général. « Le travail concret d’occultation mis à la charge du greffe, est unanimement dénoncé comme démesuré et chronophage, prévient Jean-Michel Hayat. Il apparaît légitime de se demander si ce travail ne doit pas être opéré dans un autre cadre, avec la mise au point de logiciels performants nécessitant un important travail de relecture. C’est pourquoi, dans un contexte déjà suffisamment crispé, je me permets de solliciter de la Chancellerie, l’organisation d’une vaste concertation pour dégager une solution consensuelle permettant de répondre à la volonté du législateur, dans le respect des justiciables et des personnels de justice, en veillant à ne pas imposer une nouvelle charge de travail au sein des juridictions qui travaillent à flux tendu » !
Plus de moyens, plus de qualité
Des moyens, c’est aussi ce qu’a réclamé la procureure générale Catherine Champrenault, en raison de l’état d’encombrement de l’activité pénale déjà évoqué par le premier président. En 2019, les chambres de l’instruction ont statué sur plus de 7 000 affaires, la chambre de l’application des peines connaît une activité toujours en hausse, avec 144 affaires jugées en 2019 contre 100 en 2018. Les différentes chambres correctionnelles ont jugé près de 10 % d’affaires supplémentaires, et le stock ne cesse pourtant de croître. Elle a par ailleurs mis en garde : « La création de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) amplifiera dans les mois qui viennent ce mouvement et pèsera un peu plus sur notre activité, alors même que celle-ci est, d’ores et déjà, à son plus haut niveau historique ». Et il n’y a pas que la matière correctionnelle qui est asphyxiée, en matière criminelle, c’est pareil. Quatorze dossiers sont audiencés en 2020. Concernant la cour d’assises spéciale en matière de terrorisme, 13 affaires sont d’ores et déjà audiencées pour le premier semestre 2020 – dont les attentats de janvier 2015 – et 11 affaires doivent être jugées au second semestre – dont les attentats de Villejuif et du Thalys. « Cette déferlante se poursuivra et s’amplifiera en 2021, avec notamment, au premier semestre, le procès des attentats du 13 novembre », a précisé Catherine Champrenault.
Magistrats référents et spécialisation
Consciente de la crise de confiance que traverse la justice, la procureure générale a axé son discours sur l’exigence de qualité au sein du parquet. Pour y répondre, il convient notamment d’adapter au mieux la réponse pénale. Cela se traduit en pratique par le recours aux alternatives aux poursuites dans 30 à 45 % des cas, en particulier pour les infractions de gravité moyenne et les primo-délinquants, la diversification des stages en matière par exemple de responsabilité parentale et de violence conjugale, ou encore le développement de la spécialisation via la création de magistrats référents. Tous les parquets du ressort de la cour d’appel de Paris sont dotés de ces référents dans des domaines variés : habitat insalubre, environnement, dopage, racisme et discrimination, radicalisation, violences conjugales, et prostitution des mineurs. Catherine Champrenault a également évoqué le travail accompli dans deux domaines spécifiques. Ainsi en matière de terrorisme, depuis 2016, il a été créé, au sein du parquet général, des groupes de travail pluridisciplinaires associant des magistrats, des chercheurs, des philosophes, des psychiatres ou des psychologues, pour mieux déterminer le processus de la radicalisation violente, et du passage à l’acte. « À partir des dossiers définitivement jugés, ces réflexions concourent à la rédaction de bulletins thématiques sur les mineurs, le rôle de la propagande, celui des femmes et les mutations géopolitiques », a expliqué la magistrate.
De même, s’agissant des violences conjugales, elle a préconisé aux parquets d’avoir recours à la nouvelle procédure de comparution à délai différé issue de la loi du 23 mars 2019 et de requérir. Il leur est également conseillé des examens du profil de l’agresseur auprès d’un pool de 14 experts psychiatres ou psychologues, afin de mieux apprécier l’éventuelle dangerosité criminologique des mis en cause. « Cette voie procédurale conciliant la rapidité de la réponse pénale, la mise en œuvre d’une mesure de sûreté avant jugement, et l’approfondissement des investigations de personnalité sera un gage de qualité de la décision rendue », estime Catherine Champrenault.
Parmi les annonces faites lors de cette rentrée, signalons qu’à l’occasion de la Nuit du droit qui, se tiendra le 1er octobre prochain, la Cour organisera une soirée débat autour d’un thème d’une brûlante actualité : Tribunal médiatique ou tribunal judiciaire ? « Je ne doute pas de l’intérêt qu’il suscitera », a précisé Jean-Michel Hayat.
C’est assurément un sujet de préoccupation majeure tant les médias ont tendance à s’emparer des affaires judiciaires pour y rendre leur propre jugement, quand ils se n’y substituent pas tout simplement.