Sabrina Genty-Fontaine, interprète en justice au service des sourds
Inscrite près la cour d’appel de Versailles, Sabrina Genty-Fontaine est interprète français/ langue des signes. Améliorer l’accès à la justice des personnes sourdes et malentendantes en mettant sa compétence au service des parquets est pour elle une évidence, malgré des conditions de travail compliquées.
Perquisitions, suivi SPIP ou éducatif, audiences devant le juge des enfants, le juge aux affaires familiales ou même à l’IGPN… La justice, à toutes les étapes, fait partie du quotidien de Sabrina Genty-Fontaine, dont les enfants s’amusent à répéter « Maman est en garde-à-vue » ! Et pour cause : elle est l’une des deux seules interprètes pour la langue des signes française (LSF) à être inscrite sur la liste des experts de la cour d’appel de Versailles. « Quand je suis devenue interprète, ça tombait sous le sens de travailler pour la justice », explique cette Yvelinoise.
Sabrina Genty-Fontaine n’est pas une CODA (enfant de parents sourds, acronyme de « child of deaf adult » en anglais) et c’est un peu par hasard qu’elle est entrée dans le monde des sourds. Au départ était sa passion pour les chevaux. Elle passe un brevet d’éducateur sportif « Équitation » et, parce qu’elle ne se sentait pas à l’aise avec la communication verbale, choisit de tourner son activité vers les personnes sourdes et malentendantes. « Paradoxalement, c’est ça qui m’a amenée vers la communication », constate-t-elle aujourd’hui. Après avoir appris la langue des signes et plus de cinq ans d’activité professionnelle dans diverses structures associatives accompagnant les personnes sourdes et malentendantes, elle s’inscrit en master d’interprétariat à l’ESIT, l’une des rares écoles à former les interprètes LSF en France. Diplôme validé en 2011, elle consacre aussitôt une partie de son activité à la justice et fait la démarche – complexe – pour voir son nom apparaître dans l’annuaire des experts de la cour d’appel de Versailles. « J’ai été victime de violences conjugales et quand je vois à quel point ça a été difficile pour moi qui suis entendante, je me dis que ce n’est pas normal que les personnes sourdes n’aient pas un meilleur accès à la justice. Si tous les interprètes donnaient un peu de leur temps, on n’aurait pas des enfants de 11 ans contraints de traduire leur mère victime… », s’indigne la quarantenaire.
Bien qu’indispensables au bon fonctionnement de la justice, les interprètes LSF sont trop peu nombreux à accepter de travailler dans les commissariats et les tribunaux. Ils ne sont que deux à être inscrits sur la liste de la cour d’appel de Versailles, deux à Paris, quatre à Aix-en-Provence, deux à Montpellier, aucun à Bastia… Pourtant, les personnes sourdes et malentendantes signantes sont autour de 100 000 en France, d’après les estimations de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. « Avant, notre minorité ne se montrait pas. Aujourd’hui, les sourds sortent de chez eux », ajoute celle qui est devenue bilingue. Résultat, la justice ne suit pas : il faut souvent composer avec des interprètes qui ne sont pas diplômés, voire s’en passer complètement. Sabrina Genty-Fontaine se souvient par exemple d’un homme condamné pour attouchement sur mineurs qui avait une obligation de soins. Faute d’interprète, la mesure a été reportée, reportée, reportée puis… annulée !
Sensibiliser à la culture sourde
« Mes collègues n’y vont pas pour des raisons financières », explique-t-elle. La première heure de traduction est payée au mieux 65 euros en journée et en semaine, puis 46,50 euros les suivantes. Le tarif monte à 88,50 euros les nuits de week-end. Des sommes bien en-deçà des tarifs pratiqués par les interprètes en libéral… À quoi s’ajoute une bureaucratie parfois difficile à comprendre et surtout, un travail éreintant. « L’autre jour, il y a eu un triple homicide à Dreux. C’était une personne malentendante, ils m’ont appelé, explique Sabrina Genty-Fontaine. Rien qu’avoir l’OPJ au téléphone, c’était difficile… ». Un autre interprète a finalement été trouvé pour cette affaire-là mais la mémoire de l’Yvelinoise est pleine d’histoires difficiles. Beaucoup ont trait à des violences sexuelles commises contre des enfants. « Un jour, je me suis retrouvée à traduire un pédophile qui avait été incarcéré deux fois. C’était autour d’une table à Paris, il demandait la castration chimique et expliquait avoir été violé par son père et par son grand-père. Et là j’ai compris. Nous, les personnes entendantes, on entend tout le temps, en permanence, qu’il ne faut pas toucher les enfants. Mais lui, il ne l’entendait pas. Et comme c’est ce que deux personnes lui avaient fait, c’était normal pour lui. Jamais je n’aurais cru, en tant que maman, pouvoir comprendre… » Mais comprendre n’est pas excuser …
Pour Sabrina Genty-Fontaine, son travail ne s’arrête pas au simple interprétariat d’un prévenu ou d’une victime : il faut aussi sensibiliser les magistrats et les intervenants à la culture propre aux personnes sourdes et malentendantes. « C’est à force de fréquenter la communauté sourde qu’on arrive à comprendre les codes, l’humour… C’est très trash, ils sont sans filtre », explique-t-elle, soulignant entre autres un rapport à la sexualité plus désinhibé.
Interprétariat exclusivement en visio
Dans ses premières années de travail au service de la justice, Sabrina Genty-Fontaine se rendait sur place, affrontant les bouchons et les difficultés à se garer. Après des heures d’attente, plusieurs audiences annulées et la naissance de ses enfants, elle a décidé de ne travailler qu’en visio. « En distanciel, je peux être là pour trois audiences dans une journée, ce qui serait impossible si j’avais à me déplacer », explique l’adepte de visioconférence depuis bien avant le Covid. Il faut parfois en passer par Whatsapp sur le téléphone personnel d’un OPJ mais la justice dispose aussi d’outils performants, qui rendent le travail en visio facile quand ils sont utilisés. Elle intervient donc dans les Yvelines mais aussi dans toute l’Île-de-France et même au-delà, à Lille ou Évreux. « L’autre avantage de la visio, c’est que je reste à distance de la violence. L’autre jour, j’ai fait une perquisition mais je n’étais pas au milieu de la violence dans la cité », détaille-t-elle.
Même si des avocats continuent de se saisir de ce procédé en visio « pour démonter 72 heures de GAV », la pratique est désormais bien acceptée auprès des parquets qui la connaissent. Dans les jours et semaines qui viennent, celle qui a été baptisée du signe « sourire » dans la communauté sourde interviendra pour des affaires diverse et variée : violences sur animaux, audience devant le juge des enfants, en correctionnel, un dépôt de plainte… « Maintenant, les sourds ont une vie comme vous et moi ! »
Référence : AJU010v0