TC de Versailles : « Dans ce contexte, il faut garantir une économie saine et faire preuve de discernement et de bienveillance »
Le tribunal de commerce de Versailles a fait sa rentrée le 18 janvier dernier, en comité restreint. Outre la présentation des 6 nouveaux juges consulaires, cette audience a été marquée par la crise sanitaire et la nécessité de se préparer à un futur difficile.
« La crise sanitaire nous a conduits à prendre une décision qui est tout à fait unique dans les annales », a relevé la procureure de la République, Maryvonne Caillibotte, qui n’a pas été surprise de la décision visant à réduire le nombre des invités. Diffusée pour la première fois de son histoire sur YouTube, l’audience solennelle n’aura pas échappé aux aléas techniques. De l’autre côté de l’écran, des difficultés à bien entendre ont parfois rendu l’attention pénible pour le public ; certaines interventions étaient recouvertes tantôt par le bruit des sirènes des ambulances ou de la police, tantôt par des bruissements et quelques larsens.
Un tribunal à distance
Dans son discours, la procureure nommée depuis mars 2019, s’est cependant dite « bluffée » par les équipements matériels qui ont permis une « efficacité de la continuité de l’activité ». Le tribunal de commerce de Versailles a organisé les audiences à distance dès le 9 avril dernier, d’abord en conférence téléphonique puis en visioconférence. Seul le greffier était présent. Malgré une connexion pas toujours fiable, le rythme d’une audience par semaine a pu s’intensifier à partir du mois de mai dernier, avec deux audiences par semaine, puis une reprise avec distanciation physique et gestes barrières a pu être aménagée durant l’été 2020.
La procureure a souhaité remercier particulièrement Xavier Clémence, vice-procureur de la République pour son implication : « Son investissement a payé, sa patience a payé, son ordinateur personnel a payé. Il n’a pas survécu » !
Le président du tribunal du commerce, Xavier Aubry, a, quant à lui, précisé que le choix avait été laissé aux justiciables du distantiel ou du présentiel. Dans un souci de fluidification, « ils peuvent maintenant prendre rendez-vous sur le site du greffe », ce qui régule le nombre de personnes sur place. La concertation avec les conciliateurs de justice via le site internet a été promue à partir de décembre dernier et 250 consultations gratuites ont eu lieu au sein du tribunal. Le président a ainsi salué un « savoir-faire collectif » qui n’a essuyé aucun retard.
« Une année atypique »
C’est en ces mots que le président du tribunal a qualifié l’année écoulée qui a observé une chute de plus de 38 % des procédures collectives par rapport à 2019 avec 60 jugements prononcés.
Les aides de l’État qui ont « anesthésié les chefs d’entreprise », l’effet de diverses mesures de la loi PACTE et la nomination de commissaires aux comptes dans les petites entreprises expliquent, selon le président de juridiction, la diminution du nombre de dirigeants convoqués dans le cadre de la prévention : 266 en 2020 contre 699 en 2019.
Les ordonnances du 27 mars 2020 et du 20 mai 2020 ont été plébiscitées par les dirigeants et les administrateurs judiciaires, notamment celle de la prorogation des délais judiciaires. 67 jugements de prorogation sur le fondement de ces ordonnances ont été comptés, ce qui constitue « un effort supplémentaire pour le tribunal de commerce » d’après la procureure. Le dynamisme des immatriculations pourrait lui s’expliquer par le besoin pour les acteurs économiques d’avoir un revenu complémentaire.
Un accompagnement psychologique pour les chefs d’entreprise en détresse avait été mis en place via une association. 15 personnes ont pu en profiter en 2020, contre 9 en 2019. « C’était sûrement 15 de trop », constate le président. « Les alertes qui permettent de déclencher le dispositif de soutien proviennent en majorité des mandataires de justice ». Xavier Aubry souhaite élargir le bénéfice de ce soutien aux entrepreneurs.
Des améliorations notables
La fusion des sections économique et financière est effective depuis le 1er septembre dernier. La répartition des dossiers se fera entre les 4 magistrats de cette section. « C’est un investissement commun et global », a précisé la procureure.
Le 16 octobre 2020 marque également l’amélioration du traitement des requêtes en sanction qui montre déjà des bénéfices. Dans le même esprit d’une recherche de qualité, la communication et la transmission de l’information avec l’Urssaf ont été améliorées pour éviter par exemple les désistements à l’audience. « Nous aurons donc désormais des échanges avec l’Urssaf avant l’établissement d’une requête, pour les dossiers qui sont signalés au parquet par les juges délégués à la prévention du tribunal du commerce ».
Quelles perspectives ?
Face à la crise sanitaire, la procureure a demandé au parquet « d’exercer son pouvoir d’opportunité de poursuite » contre certains dirigeants ayant agi de mauvaise foi, « en sélectionnant les procès qui présentent le plus de gravité ». Dans ce contexte, Maryvonne Caillibotte a insisté, il s’agit surtout de « garantir une économie saine et en même temps de faire preuve de discernement et de bienveillance », pour tenir compte de cette « véritable tourmente ».
La crainte qui a été ressentie est celle liée à la diminution ou à l’arrêt des aides de l’État. Que se passera-t-il lorsqu’il faudra payer les charges reportées ? « Les années qui viennent ne sont pas agréables à envisager », s’inquiète la procureure. « Nous entrons dans une période de forte incertitude à laquelle il va falloir s’adapter. Le parquet a toute sa place face à cette situation », et notamment face aux désarrois et à la détresse des chefs d’entreprise. Le président du tribunal partage ce constat mais se dit prêt : « Sachez que le tribunal de commerce sera en mesure d’affronter une vague possible d’ouverture des procédures collectives avec le maximum d’humanité ».
Selon lui, certaines dispositions dérogatoires au droit commun que comportent les ordonnances mériteraient d’être pérennisées, telles que la possibilité de tenir des audiences par visioconférence qui a contribué grandement à la reprise rapide des juridictions et à maintenir le lien avec les justiciables ; même si cela comporte des contraintes (le temps nécessaire pour identifier les parties) et ne peut se substituer à la présence physique du juge et des parties, irremplaçable et propice à l’écoute et à l’humanité des échanges. « On s’attend par ailleurs à une recrudescence de défaillances d’entreprises, les procédures de prévention amiables devraient être renforcées », a-t-il complété avant de conclure.