Seine-Saint-Denis (93)

Tribunal de commerce de Bobigny : un tribunal réactif « dans un environnement économique déstabilisé »

Publié le 11/02/2021

Comme partout ailleurs, l’audience de rentrée du tribunal de commerce de Bobigny, qui a eu lieu le 20 janvier dernier, a été l’occasion de rappeler les défis majeurs de 2020, de dresser le bilan d’une année judiciaire à part, tout en rappelant l’engagement sans faille des juges consulaires et les nombreuses missions qui se profilent déjà pour 2021.

Sans aucun doute, cette audience avait un « caractère particulier » pour Francis Griveau, président du tribunal de commerce de Bobigny. Il a tenu à le faire savoir de façon introductive tout en adressant des remerciements à ses juges, au parquet, au greffe ou encore aux auxiliaires de justice, qui n’ont pas failli à leur mission.

Pour cette nouvelle année judiciaire qui s’ouvre, il s’est satisfait d’une hausse de 30 % des effectifs de magistrats. À ce titre, il a réaffirmé l’importance de leur formation. Le délai pour former des juges est de trois à cinq ans, a-t-il rappelé, ce qui demande « une mobilisation importante à notre tribunal », autant pour ses formations en interne que pour celles données à l’ENM. Les nouveaux juges sont le reflet de la société, ayant des fonctions diverses : « négoce alimentaire, audit international, énergie, direction juridique, ou encore informatique », a précisé le président. La procureure, Fabienne Klein-Donati, a, pour sa part, souligné la « parité qui progresse à pas comptés », estimant, à raison, qu’il y avait « encore une marge de progrès », puisque seuls 6 juges sur 78 sont des femmes.

Tribunal de commerce de Bobigny : un tribunal réactif « dans un environnement économique déstabilisé »
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Une collaboration renforcée entre les juridictions commerciales et judiciaires

Sans surprise, cette dernière a qualifié l’année 2020 de « très perturbée ». Mais elle a pu se satisfaire d’une « réactivité et d’une adaptation dans un environnement économique déstabilisé ». Certes, « les textes qui se sont succédé ont créé un droit transitoire », et pour une partie, ces dispositions, « toujours en vigueur », le seront sans doute jusqu’en juillet 2021.

Et de rappeler ces mesures : la fixation de la cessation de paiement gelée au 12 mars dernier, l’assouplissement des formalités permettant une suspension du contrat de bail et reportant l’obligation de payer au moment de la cessation de l’état d’urgence sanitaire, etc. Face à ces chamboulements, Fabienne Klein-Donati a insisté sur « la qualité des réponses apportées aux entreprises, commerçants et responsables des activités économiques, souvent très touchés ».

Malgré tout, la vie économique a continué, bon an, mal an. Ainsi, le nombre d’immatriculations est resté constant, avec 19 059 nouvelles entreprises enregistrées, malgré trois mois de fermeture pour les commerces, preuve de la vigueur de l’économie de Seine-Saint-Denis. Pour autant, les traces de ce confinement sont encore visibles, avec « des créations élevées de micro-entreprises (environ 6 900), forme d’ubérisation de certains métiers, comme les coursiers », qui est également le « signe de tensions sur le marché du travail ».

Concernant les procédures collectives, l’impact de la crise sanitaire s’est fait sentir sur l’activité économique. Le nombre d’ouvertures est de 1 417, en diminution par rapport à 2019, et parmis ces ouvertures, « 30 % sont liées à des requêtes du parquet, contre 20 % en 2019 ». Une spécificité revient à Bobigny : la majorité de ces ouvertures se fait par des assignations ou des requêtes du parquet, et non pas, comme ailleurs, sur la base de dépôts de bilan.

Plus généralement, concernant l’action de son parquet, Fabienne Klein-Donati a tenu à souligner « des efforts engagés ces dernières années », expliquant avoir « axé ses renforts sur la juridiction commerciale ». Elle a rappelé que la réorganisation de 2020 a permis la tenue « d’audiences tous les lundis en matière de sanction » et que le souhait des mandataires, seuls à porter les comblements de passif, a été entendu, puisqu’ils sont désormais accompagnés par le parquet. « On ne peut aller au-delà de ce qu’on fait actuellement », a-t-elle affirmé, partant du fait que « le développement du contentieux économique au pénal est aussi l’une des priorités et mobilise les forces économiques du parquet ».

Une autre priorité est « d’essayer d’éliminer les entreprises qui n’ont pas d’activité connue au registre des entreprises ». En ce qui concerne les sanctions, presque 400 décisions ont été rendues, dont 276 interdictions de gérer, 123 sanctions de faillite personnelle et 12 décisions de comblement de passif. Le parquet, a-t-elle rappelé, est très « mobilisé sur le volet pénal », avec la lutte contre les sociétés fictives, en collaboration étroite avec le greffe. À ce titre, « le contrôle des immatriculations est un moyen efficace », même si ces moyens ne sont pas toujours suffisants pour détecter les faux documents, les fausses identités… Sur le plan pénal, la procureure a précisé avoir renforcé la puissance du ministère public, comme c’est le cas avec les « radiations des personnes morales » et avoir cherché à diminuer « l’encombrement des services d’enquêtes de la police judiciaire ». Le but ? « Leur redonner un peu d’oxygène afin de pouvoir faire plus d’enquêtes sur les abus de biens sociaux, les banqueroutes ». Fabienne Klein-Donati lance ainsi le chiffre de 65 enquêtes préliminaires sur les délits économiques, tout en soulignant le rôle important des mandataires judiciaires et des administrateurs judiciaires « qui émettent des signalements ».

Le dynamisme économique du département s’accompagne, sans surprise, de dérives importantes, avec « des entreprises qui méritent d’être sanctionnées pour protéger le tissu économique ». Elle a ainsi tenu à faire savoir que « Nous avons fait un gros effort pour être présents en matière de lutte contre la fraude fiscale ». La division des affaires économiques et financières a bénéficié de nouveaux outils pour aller directement à l’essentiel, « prioriser les poursuites », avec, comme public cible les « experts-comptables fraudeurs ». Dans certains dossiers, « le fraudeur reconnaît les faits » dans le cadre d’une reconnaissance préalable de culpabilité.

Pour conclure, Fabienne Klein-Donati a tenu à rappeler l’exigence de qualité et la montée en puissance de la juridiction, qualifiant Bobigny de « juridiction interrégionale spécialisée en matière pénale ». Et cette complexité de plus en plus grande se retrouve autant en matière pénale qu’en « matière civile et commerciale ».

Procédures collectives : plus de salariés concernés, des chiffres d’affaires en hausse

Pour le président, Francis Griveau, le service public a continué ses missions « dans l’intérêt de notre économie et les entreprises de notre ressort ».

Si l’activité a été en baisse pour plusieurs secteurs, elle a augmenté « de façon significative dans la prévention et les procédures collectives, dont les chiffres d’affaires et le nombre de salariés concernés ont augmenté ». 43 186 décisions ont été rendues par la juridiction. Le RCS de Seine-Saint-Denis est fort de plus de 135 000 entreprises, en faisant l’un des départements les plus dynamiques de France, avec un solde positif 2020 de 7 874, les radiations étant prises en compte. Mais, s’est inquiété le président, « 56 % des sociétés n’ont pas déposé leurs comptes, contre 35 en 2019 », ce qui ne s’explique que partiellement par le délai de trois mois qui leur a été accordé.

« Le contentieux est le socle de notre tribunal : c’est là que sont formés les juges à leur arrivée. Certains contentieux initiés en 2019 se poursuivent en 2020 ». Mais la prévention reste « l’un des axes principaux » de l’action de sa juridiction commerciale, avec pour finalité, « que nous aidions les entreprises et non pas que nous soyons perçus comme des fossoyeurs d’entreprises ».

Ainsi, 577 entretiens ont été menés par des juges de la prévention, sur des faits comme des assemblées générales reportées sans motif, ou des comptes faisant l’objet d’alerte.

La prévention a été très intense : on note « 300 % d’augmentation des mandats ad hoc et des conciliations ». Le chiffre d’affaires concerné est de 3,2 M€ soit deux fois plus qu’en 2019, pour 2,6 fois plus d’effectifs salariés concernés. Il est paradoxal de noter que dans ce contexte, l’activité du Centre d’information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP) n’ait pas augmenté, car davantage de sociétés pourraient être aidées, a souligné le président. D’autres dispositifs, comme l’APESA, pourront aider à la prise en charge de la souffrance psychologique des dirigeants.

Les procédures collectives, qui ont diminué de 40 % à l’échelle nationale, ont été moins nombreuses à Bobigny également (- 1 000 sur l’année 2020) En revanche, les chiffres d’affaires concernés (1,2 Md€) ont crû de 38 % et le nombre d’emplois concernés a été multiplié par deux. Les sociétés en liquidation immédiate concernaient en moyenne 1,24 salarié contre 0,8 l’année dernière.

« L’activité globale ne s’est jamais arrêtée, même pendant le premier confinement », a tenu à préciser Francis Griveau.

Pour conclure, il a rappelé la naissance des tribunaux de commerce sous l’impulsion de Michel de l’Hospital, en 1563, renforcés par la loi de modernisation de la justice du XXIsiècle. Face à une année comme aucune autre, ces tribunaux, exception française, devront faire face à un économie fragilisée, phénomène qui se poursuivra sans aucun doute en 2021.

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