Val-de-Marne(94)

Tribunal judiciaire de Créteil : des défis à relever pour 2023 mais dans l’optimisme

Publié le 22/02/2023
Tribunal judiciaire de Créteil : des défis à relever pour 2023 mais dans l’optimisme
Palais de Justice de Créteil (Photo : ©P. Anquetin)

L’audience solennelle de rentrée du 30 janvier dernier a donné lieu au bilan de l’année judiciaire écoulée, mais aussi à une présentation des objectifs pour 2023. La justice, à la croisée des chemins ? Le président, Éric Bienko vel Bienek, tout comme le procureur de la République, Stéphane Hardouin, semblaient accorder une réflexion toute particulière au sens et au temps de la justice.

2022 aura été une année intense. Saisi de 14 552 affaires civiles au sens large, le tribunal judiciaire de Créteil a rendu 16 985 décisions en 2022, permettant ainsi une diminution du stock de plus de 15 %. Son président Éric Bienko vel Bienek a ainsi souligné « l’engagement et la détermination » de ses magistrats et fonctionnaires en se satisfaisant d’un délai de traitement de 12 mois en moyenne, contre plus de 15 au plan national. Année intense avec une activité du service de l’instruction qui s’est accrue en 2022, (taux de couverture de 107 % et hausse des affaires clôturées de près de 15 % par rapport à 2021).

De leur côté, les dix juges de l’application des peines « assurent le suivi de 5 309 mesures en milieu ouvert et ont rendu plus de 750 décisions permettant d’aménager des peines d’emprisonnement ferme, outre 7 895 décisions concernant la détention ».

D’autres activités ont fortement crû, comme l’activité pénale des juges des enfants (+47 % par rapport à 2021). En hausse également, l’activité des juges des libertés et de la détention : le contentieux de l’hospitalisation sous contrainte représente 26 % de l’activité civile du tribunal (5 410 requêtes).

Le pôle correctionnel a, quant à lui, rendu, en 2022, plus de 8 200 jugements, et 4 333 décisions dans le cadre spécifique des procédures simplifiées que le procureur de la République développe (ordonnances pénales, CRPC).

Le président Éric Bienko vel Bienek l’a rappelé, le pénal exerce une véritable « pression sur la juridiction », d’autant plus que « la composition des audiences a évolué et que les dossiers de violences conjugales, auxquelles la juridiction réserve une attention toute particulière, occupent la majeure partie des audiences à juge unique de l’après-midi ». Ces affaires représentaient 11% de l’activité correctionnelle en 2021, contre 5 % 5 ans auparavant. Dans ces conditions, le verdict est tombé : « la capacité d’absorption et de jugement au pénal est largement dépassée », alerte le président, que l’on constate par exemple au « retard en matière d’exécution des décisions pénales ».

Une année 2022 « jalonnée de réformes »… et un temps judiciaire qui s’accélère

L’année 2022 a été aussi celle de nombreuses nouvelles réformes, comme la loi du 24 janvier 2022 qui instaure un contrôle systématique des mesures d’isolement et de contention des personnes hospitalisées sans consentement, ou encore la réforme du Code de la justice pénale des mineurs. Ces modifications et réorganisations laissent à Éric Bienko vel Bienek « l’impression que la modernité, qui transforme certes l’appareil judiciaire et ses acteurs, fait également évoluer à marche forcée le temps judiciaire ». Force est de constater que « cette prolifération de décisions législatives et l’obsolescence rapide de la loi qu’elle entraîne traduisent en effet une accélération, une contraction du temps judiciaire », pour une mise en œuvre parfois dans des conditions difficiles de textes juridiques parfois imprécis.

On sent poindre une légère nostalgie, quand il déclare : « Il est loin le temps où le fait d’être hors du temps ou dans un temps détaché de l’événement, était considéré comme une caractéristique intrinsèque de la fonction judiciaire ». Avec une gestion de plus en plus serrée du temps, et l’efficacité comme ligne de mire, c’est tout « une culture professionnelle » qui se reconstruit sur d’autres fondements, notamment par le biais des outils numériques, de la mise en état électronique, de la visioconférence. Mais cette culture de la rapidité a aussi ses travers : au pénal, « une grande partie des peines prononcées avec célérité par le tribunal correctionnel se trouve ensuite remise en cause par les modalités de l’application des peines », a estimé le président, et au civil, le prononcé de divorce se fait certes plus rapidement mais le contentieux massif de l’après-divorce vient compenser ce gain. « La rapidité et l’efficience dominent toutes les autres dimensions. Comme si en produisant simplement une justice rapide, il était possible de répondre à tous les reproches adressés à l’institution. Comme si, par un singulier raccourci, produire une justice rapide signifiait rendre une justice nécessairement peu coûteuse, proche du citoyen, avec des jugements intelligibles et d’une forme juridique irréprochable ». Voilà ce que dit également le procureur de la République, Stéphane Hardouin, quand il évoque un temps judiciaire, pris en étau entre des audiences tardives, des délais de traitement des affaires ou encore la performance judiciaire. Les magistrats sont soumis à des vents contraires, entre « conviction et responsabilité », « idéal et réalité », « exigence de qualité et adaptation au possible », constamment en quête de ce précieux point d’équilibre…

À Créteil comme ailleurs, les défis de la justice de demain

« Au fond, ce bâtiment est à l’image de la justice. Visible et intimidant dans sa représentation. Solide et sûr dans ces fondations et ses murs. Mais difficile dans ses conditions d’existence ». Avec ces mots, la métaphore était toute trouvée pour le procureur Stéphane Hardouin, pour présenter les défis immenses de la juridiction, comme tant d’autres en France, à la croisée des chemins. Mais s’il ne nie pas les difficultés, les manques de moyens régulièrement dénoncés par les fonctionnaires et les magistrats, Stéphane Hardouin refuse le désespoir pour autant. « Ce serait une défaite de la volonté et de l’action », a-t-il lâché. Car la crise que la justice traverse « dépasse largement (…) l’institution judiciaire ». Même réflexion de la part du président du tribunal, Éric Bienko vel Bienek. « Le malaise et la situation de crise ressentis par les magistrats (…) ne sauraient se résumer à une question de charge de travail et de moyens supplémentaires, sous peine de les caricaturer et de faire passer les magistrats et fonctionnaires pour ce qu’ils ne sont pas : c’est-à-dire des professionnels centrés sur leurs propres intérêts et perpétuellement insatisfaits ». Derrière la problématique du stock, il y a « la vie des gens », a rappelé Stéphane Hardouin. En matière pénale, « mis en cause et victimes » ont le droit à une réponse pénale dans un délai raisonnable, soulignant qu’il n’est pas admissible qu’une « plainte déposée puisse parfois attendre des années dans des services d’enquête » ou qu’une décision reste non exécutée (15 000 décisions non exécutées en correctionnel). Comment s’étonner alors que la comparution immédiate soit devenue la seule « voie acceptable du temps judiciaire raisonnable » ? s’interroge-t-il.

Il a décliné plusieurs priorités dans l’optique d’une « efficience à tous les stades ». D’abord, le procureur a affirmé sa volonté de réduire les stocks dans les commissariats (traitements simplifiés pour les affaires les plus simples et magistrats pour les affaires de violences intrafamiliales) sans oublier des dispositifs spécifiques pour les affaires fréquentes comme les fraudes à l’état civil et les incidents à Fresnes ou la découverte de produits stupéfiants à Orly. Sur ce point, il a insisté sur l’ampleur du phénomène, la nécessité d’agir en amont (départs de Guyane) mais aussi à l’arrivée des passeurs de drogue. L’espace aéroportuaire, avec la perspective des JO de 2024, restera un point d’attention. Une note de politique pénale spécifique sera donc prise pour aborder la question des drones aux taxis clandestins, menée collectivement par la gendarmerie aérienne, la police de l’air, la sécurité publique, la douane et la police judiciaire.

Les défis existent, mais il a aussi souligné quelques belles opérations des services d’enquête du département : le 17 octobre dernier, c’est 28 individus qui ont été interpellés (point de deal) pour 95 kg de cannabis saisis. Le taux d’élucidation des cambriolages a augmenté, le SDPJ94 a pu « déjouer des braquages fomentés par des équipes très organisées ». Il s’est inquiété de la résurgence du phénomène – parfois mortel – des bandes, avec une augmentation de 5 % des gardes à vue qui met à mal les services de médecine légale, d’où un partenariat avec SOS médecins et les services d’urgence des hôpitaux.

Pour faire face à cette pression constante, il souhaite « recentrer la voie correctionnelle sur ce qui le nécessite », notamment traiter la petite délinquance « par les voies alternatives » : développement de la composition pénale ou contribution citoyenne. « Ces sanctions, quand elles sont rapides, n’ont-elles pas plus de sens qu’une peine érodée par l’aléa du temps judiciaire lointain ? », a-t-il demandé. Autre souci d’efficacité : les comparutions à délai différé et les CRPC, point de désaccord avec les avocats du barreau Val-de-Marne mais qui a vocation à se régler, l’espère-t-il, dans l’apaisement.

La recherche d’une politique des peines effectives continue, étant donné que « l’exécution des peines est la « tour de contrôle »de la politique pénale », soulignant l’efficacité des contrats d’objectifs exceptionnels permis par les chefs de cour, qui ont permis de traiter 11 000 décisions sur les 15 000 en attente.

Face à la surpopulation carcérale, Stéphane Hardouin a expliqué l’importance de développer davantage le travail d’intérêt général tout comme d’utiliser au maximum la nouvelle capacité de semi-liberté du centre de Villejuif ; il soutient la systématisation de la liberté sous contrainte, sans être « question de renoncer à une incarcération nécessaire ». Le président Éric Bienko vel Bienek a partagé la même attention au problème de surpopulation carcérale. « La gestion du centre pénitentiaire de Fresnes, 2e établissement de France par le nombre de détenus, représente une charge extrêmement importante, d’autant que le taux d’occupation n’a cessé de croître depuis la fin de la pandémie pour atteindre aujourd’hui 153 % avec 1 885 personnes hébergées. Dans ces conditions, un recours plus fréquent aux nouvelles dispositions relatives aux conditions de détentions, qui aura nécessairement un impact sur la charge de travail des magistrats et greffiers du service, est à envisager ».

Des projets pour 2023

La juridiction de Créteil est loin de se reposer sur ses lauriers. Le président Éric Bienko vel Bienek a ainsi présenté les projets pour l’année qui débute : réorganisation des services civils, développement de la conciliation et médiation (également évoqué par le procureur), procédure de césure ou de règlement amiable… Il a également mentionné la tenue du 27 février au 10 mars prochain de la première audience de la cour criminelle départementale à Créteil. Un enjeu fort mais surtout un « effort considérable » pour une juridiction déjà sous-dimensionnée qui devra « fournir les greffiers et 4 des 5 magistrats la composant ». Sans oublier l’implantation de la procédure pénale numérique.

Si le procureur de la République, Stéphane Hardouin, s’est montré satisfait des moyens annoncés par le garde des Sceaux, « les justiciables devront percevoir concrètement des améliorations ». Et ce recrutement massif ne doit pas se faire « au détriment de la formation ». Pour finir sur une touche positive, le président du tribunal judiciaire de Créteil a cité Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire » ! Le procureur, quant à lui, optimiste et enthousiaste, était dans le même état d’esprit : « les signes sont favorables et l’opportunité de renouer un pacte de confiance est là »…

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