Un barreau de Paris plus engagé que jamais pour ses avocates

Publié le 24/04/2025
Un barreau de Paris plus engagé que jamais pour ses avocates
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Le 6 mars, une conférence sur le thème de la santé des femmes a eu lieu à la Maison du barreau. L’occasion d’aborder la santé des avocates et les difficultés inhérentes à leur profession.

« Aucune professionnelle ne devrait quitter sa profession pour des raisons indépendantes de sa volonté ». Consciente des problématiques qui jouent en la défaveur des femmes avocates, Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière de Paris a tenu à rappeler l’engagement du barreau depuis l’année dernière, avec notamment l’ouverture d’une salle d’allaitement. Pas de doute, 2025 s’inscrit dans la même lancée et veut même « aller plus loin encore ».

Le genre de la santé

Laurence Rossignol, sénatrice, vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes, a rappelé le contexte. Quelques jours avant, l’administration de Donald Trump avait fait interdire du champ de la recherche américaine les termes de « femmes », « discriminations », « réchauffement climatique ». Cette injonction aux chercheurs à ne plus chercher, notamment en prenant en compte les spécificités biologiques ou sociales du statut des femmes dans leurs différentes disciplines rend encore plus nécessaires d’avoir des indicateurs. Car, a-t-elle lâché, ironique, « avoir un utérus, ça ne change rien et ça change tout ». Dans les cohortes, les études cliniques, tout se passe comme si les femmes étaient des hommes comme les autres. Les essais cliniques sont réalisés dans une totale négligence, certains médicaments n’étant testés que sur une minorité de femmes ou parfois, bien qu’ils s’adressent à elles, sur aucune femme. Dans certains cas, les posologies ne sont pas adaptées et entraînent des effets indésirables. Sur le vaccin contre le Covid, a-t-elle suggéré, des doses inférieures auraient pu être données aux femmes. Concernant la recherche, les chiffres sont éloquents : entre 2007 et 2020, 2 % du budget concernait des maladies de femmes ou obstétricales. Une méconnaissance des spécificités de la santé des femmes, dont l’infarctus est un excellent exemple ! « La représentation des victimes est un gros homme bedonnant, fumeur et buveur », a glissé la sénatrice. Or cela change : conséquences, 56 % des femmes vs 46 % des hommes meurent de leur infarctus. Ces signaux faibles (comme la fatigue chronique) vont aboutir plutôt à une prescription d’anxiolytiques, alors que la ménopause accroît les risques cardiovasculaires. « De 13 à 55 ans, ce que les femmes traversent n’est pas perçu comme des pathologies, mais comme des questions de bien-être ! », s’est offusquée la sénatrice.

Ainsi l’endométriose est-elle ignorée de la recherche. Il faut attendre 2015 pour un frémissement, et encore, amorcé par le milieu associatif : ce sont les femmes elles-mêmes qui viennent imposer ces questions dans l’agenda public. « Entre 2019 et 2023 aux États-Unis, 11 start-up s’intéressant aux troubles érectiles ont levé 1,4 milliard de dollars, contre 8 start-up centrées sur l’endométriose qui n’ont levé que 44 millions de dollars ». Deux poids, deux mesures.

« Votre profession est une profession que je sais soumise à des rythmes de travail qui rend très difficile l’équilibre santé et psychologique », a-t-elle ajouté, avant de lancer que « vos cabinets, collaborations, ou parfois gros cabinets, sont un lieu d’amélioration de la santé des femmes, tout comme les entreprises doivent être des lieux de repérage des violences intrafamiliales. »

La santé, pas la priorité des avocates

Le barreau de Paris a fait réaliser par l’institut Ipsos une étude évoquant les problématiques propres aux avocates. Benjamin Huet, directeur de clientèle de l’institut de sondage Harris Interactive, en a tiré plusieurs enseignements : le métier d’avocat est pressurisant et, en ce qui concerne l’état de santé général, psychologique, mental, les résultats sont moins bons que dans les autres professions témoins. Cela se traduit par des troubles du sommeil, de l’anxiété, un épuisement émotionnel. « Ce constat est vrai chez les avocats et, chez les avocates, les difficultés sont encore plus accentuées », notamment l’épuisement émotionnel, tout comme les arrêts maladie, plus fréquents chez les femmes avocates. Sur la situation menstruelle : 1/3 des avocates estiment que cette situation a un impact sur leur situation professionnelle (SOPK, endométriose, adénomyose, etc.). Seulement 20 % estiment qu’il est facile d’en parler avec son employeur ou au cabinet, alors que 80 % d’entre elles pensent que ces symptômes ont un impact fort sur leur vie professionnelle. Sur la maternité : 17 % des avocates n’ont pas pris leur congé maternité (vs 10 % parmi les autres professions) ; enfin 40 % d’entre elles estiment avoir déjà été discriminées ou stigmatisées par leur statut de mère (vs 30 % dans les autres professions).

Aminata Niakaté, présidente de la commission Égalité à l’Union nationale des professions libérales, membre de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Conseil économique et social, avocate au barreau de Paris, a confirmé le stress et la quantité de travail liés à sa profession, l’angoisse de ne « rien gagner quand on ne travaille pas », le délai de carence de 30 jours, inadapté aux arrêts courts qui seraient nécessaires en cas de règles douloureuses ou de maladies de courte durée. Autour de la périnatalité, « les avocates subissent aussi de nombreuses inégalités, avec le risque de burn-out. Souvent on quitte la profession face à des revenus en baisse et des charges qui augmentent ». S’il y a un effet cicatrice pour les cabinets, pour les avocates en exercice individuel, c’est très difficile.

Ce qui est vrai au quotidien est accentué face à la maladie longue. Une épreuve qu’a subie Laura Dufresne, avocate, cofondatrice de ShiftHer, club dédié aux femmes entrepreneuses, du monde de l’entreprise et du droit, qui a survécu à un cancer du sein à 36 ans. Elle a fait état « des difficultés pour trouver le temps pour ses rendez-vous [l’évolution de sa maladie exigeait de réagir très vite, NDLR], alors qu’on devrait pouvoir prendre le temps de se demander ce qui est le mieux pour soi, mais la réalité, quand on est en profession libérale, c’est que la priorité, c’est le travail ! » Elle qualifie ce moment de « saut dans le vide », et reconnaît sa méconnaissance de l’époque des dispositifs d’accompagnement. « Un cancer, dans le meilleur des cas, c’est au moins l’affaire d’un an ». Le deuxième défi qu’elle a dû affronter : gérer la communication avec son cabinet. « Il existe de vraies difficultés de compréhension à ce sujet », estime-t-elle, évoquant le discours des cabinets qui pensent pouvoir se reposer sur des instances professionnelles, alors que ce n’est pas un sous-sujet, puisque le cancer du sein concerne une femme sur huit.

Michèle Verschoore, ancienne directrice médicale de L’Oréal Recherche & Innovation, membre de la Fondation de l’Académie de Médecine, précise : certes, les femmes vivent plus longtemps, mais l’indicateur qui compte, c’est l’espérance de vie en bonne santé. « Les femmes vivent 1/4 de leur vie avec une incapacité, contre 1/5 des hommes », précise-t-elle. Selon l’OMS, la vie en « bonne santé », ce n’est pas seulement vivre sans maladie, cela inclut le « bien-être ». Elle déplore qu’une femme touchée par le cancer soit soudainement « limitée à sa propre tumeur », soulignant qu’il y a « une personne derrière la maladie ».

Gilles Lazimi, médecin, coprésident de la commission Santé, droits sexuels et reproductifs au Haut conseil à l’égalité, abonde : la vie des femmes est soumise à un défaut de prise en charge, surtout pour les femmes précaires. Le développement des bronchopneumopathies chroniques obstructives, à cause d’une exposition aux détergents (chez les femmes de ménage en particulier) relève d’un facteur social. Pour Michèle Verschoore, il existe bien une biologie genrée mais les médecins ne sont pas formés à ces différences et « les stéréotypes de genre plombent les prises en charge ».

Amina Niakaté confirme qu’il est « mal vu de dire qu’on est malade, on le cache, on l’intériorise ». Elle confie que, dans son entourage, une avocate a subi un cancer et elle a perdu sa collaboration. Mais « penser à sa santé arrive en fin de course, après les enfants, la charge du cabinet… tout ça pour gagner deux fois moins notre vie que les hommes », regrette-t-elle. Dans cette course effrénée, Laura Dufresne analyse : « Nous sommes surreprésentées au niveau de la profession, mais quand il s’agit de passer associées, nous sommes beaucoup moins nombreuses ! Après 5 ans, on perd les femmes, à cause du stress, de la pression familiale », explique-t-elle. Il faut faire deux fois plus d’efforts pour passer associée et on développe des codes masculins comme « être forte, travailler à des rythmes pas possibles, internaliser la pression. Quand j’ai eu mon cancer, la première chose à laquelle j’ai pensé, c’est oh non, je vais être la cancéreuse de service, je ne passerai pas associée ! La honte n’est pas dans le bon camp ».

La deuxième partie des échanges était consacrée aux solutions. Sabrina Kemel, avocate, membre du Conseil de l’ordre des avocats du barreau de Paris, évoque le dispositif mal connu de secours diligence, qui permet, lorsqu’un avocat est en arrêt maladie, maternité ou paternité, de faire appel à un confrère ou une consœur pour qu’il se substitue à une audience de renvoi. Elle confie que parfois les magistrats ne sont pas tendres : « Devant une avocate enceinte jusqu’aux yeux, parfois on a du mal à obtenir un renvoi et il faut que les membres du Conseil de l’ordre y aillent pour rectifier le tir », relate-t-elle. Ce dispositif, insiste-t-elle, est en phase de test, encourageant ses consœurs à y avoir recours pour qu’il se pérennise.

Dans le secteur privé, d’autres dispositifs ont récemment été mis en place pour s’adapter au quotidien des femmes, comme Carrefour qui a mis en place un congé endométriose, correspondant à un jour par mois (12 par an). Carine Kraus, directrice exécutive de l’Engagement de Carrefour, a précisé que si c’était faisable dans des « métiers très opérationnels » (grande distribution, hôtesse de caisse, travail dans les entrepôts…), ce serait déployable ailleurs, dans les bureaux. Ce dispositif s’ajoute à 3 jours pour une fausse couche et 5 jours pour l’implantation d’un embryon. Elle parle d’un « énorme succès en interne » et a tenu à lever toute crainte d’une « éventuelle stigmatisation des femmes ». Face au long délai pour ouvrir son dossier MDPH, ce dispositif est accordé « dès le début des démarches », assure Carine Kraus. Pour elle, c’est du gagnant-gagnant. Le coût pour l’entreprise n’est pas élevé : « car soit les salariées ne venaient pas travailler, soit elles venaient en se tordant le ventre de douleur. On gagne même en efficacité et en anticipation », reconnaît-elle.

Bertille Flory, patiente partenaire, coach et conférencière, autrice du livre Endométriose – prendre le dessus sur la maladie !, rappelle la possibilité de demander la reconnaissance de travailleur handicapé, rarement utilisée par les femmes, mais qui ouvre certains droits. Sur les congés dédiés, elle salue l’initiative de Carrefour, même si elle s’interroge : en restant chez elles, ces femmes qui deviennent pour ainsi dire invisibles, se feront-elles diagnostiquer ? « Il ne faut donc pas les oublier et que la recherche continue de les négliger ». Tout est un combat, y compris la place des femmes en entreprises. Pour Laurence Rossignol, leur arrivée « dans des positions de pouvoir dans les grandes entreprises les met dans une forme de concurrence. Face à elles, la violence est une stratégie, et non pas une incompréhension ». C’est pourquoi, elle a soutenu une proposition de loi sur les congés menstruels, qui a été retoquée au Sénat. Bien sûr, des questions se posent, comme celle du fameux backlash : ce congé ne pourrait-il pas se retourner contre les femmes cadres supérieures, dans l’impossibilité de le prendre pour ne pas perdre une place si chèrement acquise ? « Être une femme reste un handicap dans le monde du travail, les femmes y sont entrées en serrant les dents », a asséné Laurence Rossignol.

Carine Kraus est consciente que de nombreuses femmes ne prendront pas leur congé, notamment celles des Comex des entreprises du CAC 40 mais, fort de ses 150 000 salariées, Carrefour estime que l’engouement est massif en faveur de ce congé. « Ce n’est pas l’ensemble du corps social mais cela est initié par les cadres dirigeants ».

Sabrina Kemel a vécu deux parcours PMA sur 4 ans, tout en continuant ses activités au sein d’un grand cabinet d’affaires. Pragmatique, elle s’est dit que, si cela posait un problème au sein de son cabinet, elle trouverait ailleurs. L’infirmière venait même au cabinet faire les piqûres. Pendant son congé maternité, si elle reconnaît avoir travaillé, parce qu’elle le voulait. Elle n’était pas obligée mais motivée, étant sur la voie de devenir associée. En parlant de la nouvelle génération, elle dit que « c’est le choc des mondes », entre un monde patriarcal, enfermé dans ses certitudes, et une « nouvelle génération » qui ose dire les choses ! Elle est convaincue, en tant qu’associée, que « nous devons donner l’exemple en laissant nos propres collaboratrices prendre du temps pour leur santé, ça doit venir de nous. L’égalité, c’est notre religion et notre combat quotidien ».

Pour faciliter cette tâche, Vanessa Bousardo a repris la parole en conclusion pour confirmer deux engagements supplémentaires de son barreau. Elle a confirmé que le projet de microcrèche avançait et qu’un lieu avait bien été trouvé. La seconde annonce concerne le versement d’une indemnité journalière pour les avocates ayant subi une fausse couche (3 jours) ou en parcours PMA (5 jours), sans aucun jour de carence.

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