Audience Solennelle de rentrée du TJ de Nanterre 

Valérie Courtalon : « Là où il y a la volonté, il y a le chemin » !

Publié le 25/02/2025
Valérie Courtalon : « Là où il y a la volonté, il y a le chemin » !
Palais de justice de Nanterre (Photo : P.Anquetin)

10 ans après les attentats de 2015, une année judiciaire qui s’annonce sous le signe du renouveau.

Il fait très froid, en ce matin de janvier. Et dans les couloirs du tribunal judiciaire de Nanterre, murmurent les distributeurs de café, les avocats et leurs clients. Des portes ouvertes de salles d’audience, des mots échangés s’échappent, on se tient chaud sur les bancs de bois clair. Quand 11 heures approche, on s’affaire, les claquements des souliers des grands jours et des escarpins s’ajoutent à ceux des chaussures de ville. Dans la grande salle d’audience, les huiles et les journalistes trouvent leur place attitrée. L’audience solennelle peut commencer, en présence du président du tribunal, Benjamin Deparis et de la procureure par intérim, Valérie Courtalon, remplaçant Pascal Prache, nommé en octobre dernier directeur des services judiciaires. Une tradition républicaine chère à tout le tribunal et qui outre un déroulement cérémoniel, impose une tenue d’apparat que même les greffiers en grève ont respectée : à la gauche du président, une dizaine de tenues ont été posées sur les dossiers de fauteuils vides.

Mme la procureure, Valérie Courtalon, a ouvert le bal avec un discours faisant écho à la devise lancée pour 2025 par le procureur général lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation : tenir, avancer, ensemble. La magistrate a tenu à rappeler combien la juridiction – bien préparée – a bien tenu face à la déferlante annoncée pour les Jeux olympiques de Paris 2024.  “Cet événement, qui a réuni dans un enthousiasme extraordinaire les Français a aussi révélé ce dont nos institutions étaient capables quand elles travaillent en harmonie et je pense ici au travail préparatoire commun avec la préfecture et la mobilisation exceptionnelle des FSI”, a-t-elle souligné. Elle a également tenu à rappeler le travail dantesque du PCNSE : “Je tiens à souligner le caractère exceptionnel de ce pôle car en Europe, nous sommes les seuls à avoir choisi l’option judiciaire avec en outre une structure de compétence nationale”. Elle a insisté sur les fondements procéduraux que le travail de ce pôle vient bousculer : “ainsi en est-il de la prescription, suite à la jurisprudence dite Châtain de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 28 novembre 2023 qui considère que la clandestinité d’une infraction n’entraîne pas la suspension de la prescription : que peut comprendre la famille d’une victime, tuée en 1986, quand l’auteur de ce crime a avoué en 2022 ?”

La procureure a également tenu à évoquer l’activité liée aux mineurs en dangers, passée de 1 215 signalements en 2022 à 2 062 en 2024 (ce qui implique le traitement de jusqu’à 70 appels par jour au service d’enquête). Elle a voulu également profiter de ce moment médiatique pour rappeler l’engagement du parquet civil concernant la protection des plus vulnérables avec le traitement de 1 128 signalements relatifs à des mineurs à protéger.

Plus éloignée des attentes directes des citoyens concernant la justice, mais qui les impactent pourtant au quotidien, Valérie Courtalon a tenu a mentionné bien sûr la création du tribunal des activités économiques de Nanterre, expérimentation qui est mise en place dès janvier et qui en absorbant les compétences du tribunal de commerce de Nanterre et d’une partie du tribunal judiciaire deviendra seul compétent pour juger des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidations judiciaires et de procédures amiables des professionnels. “Une lourde tâche quand on sait que 2024 à Nanterre fut la 4e année consécutive de très forte hausse des ouvertures de procédures collectives, avec 1 404 procédures soit un doublement par rapport à 2021”, a-t-elle précisé.

Rappelant que 2025 était une année qui s’annonçait compliquée, avec des moyens financiers frôlant – à cause de la situation politique – le “shutdown à la française”, la procureure a évoqué les grands défis de l’année 2025 : l’audiencement des procédures criminelles avec une meilleure répartition de la charge, la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée et un plan d’ampleur pour mettre fin à la surpopulation carcérale portant atteinte à la dignité des personnes et à la sécurité des personnels pénitentiaires. Des défis de taille qui inspirent Valérie Courtalon, citant le général Georgelin, qui présidait l’établissement public en charge de la restauration de Notre Dame : “Là où il y a la volonté, il y a le chemin”.

Une année d’anniversaire particulière pour la circonscription de Nanterre

Dès le début de son discours, le président du tribunal, Benjamin Deparis, nourrit l’instant solennel par encore plus de solennité. Il suspend le moment avec le “sceau du souvenir” rappelant les attaques terroristes qui avaient visé, il y a dix ans, la rédaction de Charlie Hebdo et l’hypercasher de la porte de Vincennes. Il nomme avec émotion la policière municipale, Clarissa Jean-Philippe assassinée dans l’exercice de ses fonctions, sur le ressort du tribunal.

Alors que les Jeux olympiques avaient été l’objet de façon assez générale de craintes dans les audiences solennelles de rentrée des juridictions franciliennes, le président tient à parler de cette organisation comme d’un moment de “répit moral”, loin des épisodes de tensions extrêmes de l’automne 2023. Mais il a tenu à rappeler la recrudescence d’atteintes aux élus et d’actes antisémites dans le tout le territoire (avec 1 500 actes supplémentaires de ce type), alors même que s’apprêtaient à être célébrés les 80 ans de la libération des camps d’Auschwitz et de Birkenau. Avant de présenter des vœux de fraternité et d’attention à autrui, “dans une société fragmentée”, le président a tenu à s’adresser directement au président du consistoire central israélite de France pour lui confirmer une détermination sans faille à faire barrage à cette haine.

Une année 2024, sous le signe de la volonté et de la répétition (et une année 2025 sous haut patronage d’Erik Satie)

Pour honorer l’année judiciaire 2024, le président du tribunal – grand amateur de métaphores – a souhaité évoquer l’œuvre d’Erik Satie, dont on célèbre cette année les 100 ans de sa disparition. L’amateur cite l’une des œuvres les plus fortes du compositeur, ses Vexations, reprises au XXsiècle par le compositeur John Cage, qui avait glissé comme commentaire : « Pour jouer 840 fois ce motif, il sera bon de se préparer en préambule, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses ». Ce morceau à motif unique, le plus long du monde, contient 840 répétitions pouvant durer, suivant le tempo libre employé, de 14 à 35 heures. Une itération dévouée qui inspire le magistrat.

“De ces enseignements chacun peut retirer ce qu’il entend, mais pour nous les juges, nous pouvons y voir une sorte de gymnastique du quotidien : nos nombreuses actions, alors même souvent qu’elles sont en quête de sens ou de visibilité, peuvent, par la connaissance des choses et des autres, la créativité juridique, la résistance bureaucratique ou aux vents dominants, la concentration, l’endurance et la répétition, obtenir des résultats qui ne sont pas toujours immédiats ou reconnus, mais qui peuvent porter leurs fruits dans la durée, et marquer tout de même notre empreinte, à la place, comme tout un chacun, évanescente, qui est la nôtre”, juge-t-il.

Benjamin Deparis se concentre ensuite sur 5 axes, 5 réalisations, qui ont bercé l’année judiciaire 2024. La première, et non des moindres concerne l’éradication des délais d’audiencement en matière familiale, et correctionnelle pour les affaires les plus graves. Pour le pôle de la famille, les délais avaient en effet été divisés par deux en 2023, et par trois en 2024. D’ici deux ans, le président annonce qu’ils seront divisés par 10, passant de plus de 20 mois en 2022 à 2-3 mois désormais (et à 3 mois en divorce). Une réduction à mettre au crédit des magistrats et huissiers mais aussi à l’initiation, depuis octobre 2024, d’une expérimentation plus qualitative des premières audiences dites vespérales du juge aux affaires familiales, qui se tiennent désormais une fois par mois de 17 à 20 heures, à créneau fixe horaire de 30 minutes par affaire, ce que le président considère comme “une nouvelle offre de justice qualitative pour les justiciables”.

Le correctionnel n’est pas en reste : le président détaille combien création d’une chambre supplémentaire de la régulation pénale, dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques de Paris, a permis d’apurer la totalité du stock des affaires correctionnelles les plus graves de prévenus non détenus en sortie d’instruction ou sur citation directe. “Le tribunal correctionnel est désormais le seul d’Île-de-France à ne plus comporter aucun stock d’affaires de ce type, antérieurement sur étagère au moins une année après la sortie de l’instruction. J’en remercie vivement le 1er vice-président, Benoist Hurel, ainsi que pour le pilotage de la refonte complète de l’organisation du pôle pénal et du protocole d’audiencement, qui va nous permettre collectivement d’aller dans le même sens qualitatif”. Quant aux délais du juge de l’exécution, ils ont été ramenés à 5 mois et le bureau d’aide juridictionnelle a divisé par deux ses délais d’admission en passant d’un délai moyen d’admission de 76 jours, à 37 jours en 2024, en dépit d’une augmentation de 11 % des demandes, désormais plus de 8 000 annuelles.

Ensuite, le président a rappelé combien le tribunal a travaillé de concert avec le parquet pour aboutir à “une action pénale ferme et dynamique, continue sur une année, déterminée et diversifiée, dans le respect du panel des peines applicables et de l’individualisation des peines”, avec le décernement de 1 502 mandats de dépôt (800 par les JLD et 700 par le tribunal correctionnel, soit 11 % d’augmentation par rapport à 2023). Avec le Barreau des Hauts-de-Seine, le président a aussi vanté un travail commun autour de grands projets. Le cycle de conférence trimestrielle sur l’éthique partagée de la relation magistrat/avocat, dans un premier temps, et l’élaboration de trois guides : le guide de traitement amiable des incidents, le guide des bonnes pratiques des référés et le guide des bonnes pratiques du pôle de la famille, qui devraient essaimer dans d’autres ressorts. Le magistrat a profité de ce moment pour réaffirmer son admiration pour les avocats : “loin de devoir être essentialisés, les avocats sont un bien commun du débat contradictoire et du fonctionnement démocratique : ce contre-pouvoir judiciaire ne doit connaître aucune réserve autre que la loi, qu’il appartient au législateur d’adapter s’il y a lieu, et pour moi, dussé-je le préciser, cette sanctuarisation, dans la limite d’actes délictueux ou contraires à la déontologie, est consubstantielle à l’acte de juger”.

Dans le même esprit d’ouverture du tribunal à des partenariats extérieurs et enrichissants, Benjamin Deparis a rappelé les liens tissés avec l’Université de Nanterre. En janvier 2024, une convention de partenariat étendue a été signée, et la première édition, en mai 2024, de l’Observatoire des contentieux du tribunal de Nanterre, l’OCTN, devrait permettre de valoriser la production judiciaire en relevant les marqueurs juridiques et socio-économiques des spécificités des contentieux du TJ, en matière civile et sociale notamment. Un numéro spécial sur la responsabilité médicale et les produits défectueux de santé, consacré à la jurisprudence de la 2e chambre civile, fera l’objet d’une restitution commune en février à l’université Paris Nanterre.

Enfin, le président s’est félicité de la mise en place d’une permanence d’information aux violences conjugales et intrafamiliales dans un bureau de La Poste, au France service de Nanterre, au sein du quartier prioritaire du chemin de l’île. Un dispositif qui a été dupliqué à la sous-préfecture de Boulogne-Billancourt et qui complète toutes les actions proactives du nouveau pôle VIF, et qui a vocation à constituer un lieu neutre d’information et d’accès au droit n’éveillant pas les soupçons de conjoints violents, “car tout un chacun peut avoir une bonne raison de se rendre à La Poste”, souligne le magistrat.

2025 : de nouvelles têtes, de grands objectifs

Comme c’est l’usage, le président Benjamin Deparis a cité les nouvelles arrivées. Six nouveaux magistrats sont arrivés début janvier pour renforcer les équipes : Fabien Dupuis, en qualité de 1er vice-président coordonnateur du tribunal pour enfants, chargé de l’importante responsabilité de piloter l’activité de 10 cabinets de juges des enfants. Laura Tobelem, en qualité de présidente de la 14e chambre correctionnelle, en charge du droit pénal du travail et du droit pénal économique et financier. Christophe Rault, en qualité de vice-président correctionnel à la chambre des comparutions immédiates. Marie-Laure Kessler rejoint, quant à elle, le tribunal de proximité d’Antony, pôle départemental, avec celui d’Asnières-sur-Seine, en matière de surendettement et de nationalité. En formation, Sarah Pibarot rejoint le pôle social et des entreprises. Enfin, Fabienne Bernard rejoint le pôle des crimes sériels ou non élucidés en qualité de vice-présidente chargée de l’instruction, concrétisant ainsi l’annonce faite en mars dernier par le garde des Sceaux, lors de son déplacement au tribunal de Nanterre, de la création d’un 4e cabinet au sein de ce pôle national. Une arrivée qui permettra à ce nouvel outil d’être plus efficace encore et recevoir de nouvelles affaires comme le demandent les familles de nombreuses affaires non élucidées : “le pôle va donc pouvoir à nouveau recevoir de nouvelles affaires et son premier bilan, ébauché en mars dernier à 2 ans, laissait apparaître une évolution de 10 % des affaires traitées en une année de plein exercice, quand ces dernières n’avaient pas évolué depuis de nombreuses années. Le challenge des années à venir sera la construction d’un outil numérique rassemblant les données susceptibles de construire une mémoire criminelle, que nous conduisons sous l’autorité de Madame la directrice des affaires criminelles et des grâces, en lien avec le secrétariat général du ministère”, a précisé le président. Alors qu’est annoncée l’arrivée à la direction de greffe de Perrine Courbon comme directrice de services de greffe judiciaires, Benjamin Deparis évoque le mouvement national de ce qu’il qualifie de corps de grande qualité, à la fois d’encadrement des greffes et de pilotage des fonctions soutien et des moyens généraux, des “missions indispensables”, juge-t-il, solidaire.

Pour l’année 2025, le président rappelle que les priorités seront faites sur les chambres civiles. “Nos chambres civiles connaissent, malgré leurs grandes difficultés et leur sous-dimensionnement aux contentieux qu’elles traitent, qui allongent les délais au-delà du raisonnable, jusqu’à 18 mois et plus après leur mise en état, une augmentation de près d’un millier d’affaires, mais sont surtout confrontées à un doublement du stock depuis 12 ans, avec plus de 8 000 affaires en cours qui nécessitent, dans les deux années à venir, la création de deux chambres civiles supplémentaires : en effet, 15 affaires hors-norme du très haut du spectre, sur plus de 4 000 affaires annuelles, mobilisent 10 % des moyens du pôle, et 5,5 % des affaires mobilisent 40 % des moyens du pôle à raison de leur grande complexité ou de leurs enjeux économiques et sociaux d’ampleur, ce qui laisse 50 % des moyens pour traiter 94 % des affaires”, explique le président qui insiste sur la résolution à l’amiable, qui connaît dans la juridiction une vraie évolution : “les permanences des médiateurs in situ aux audiences du juge des référés, dont le délai actuel un peu élevé de 5 mois sera ramené, fin 2025, à 3 mois, tel est l’objectif de cette année ; les injonctions de rencontrer un médiateur qui se systématisent et les médiations ordonnées dans tous les services civils, qui représentent, en référé, 55 accords au fond, pour des litiges allant jusqu’à 33 millions d’euros ; la conciliation judiciaire enfin, dans nos 7 tribunaux de proximité qui connaissent un regain de 10 % d’activité également, à raison de 1 200 affaires supplémentaires”.

Côtés chantiers, Benjamin Deparis a rappelé que le tribunal judiciaire de Nanterre doit comme toutes les juridictions être au rendez-vous de la mise en œuvre de la procédure pénale numérique (PPN) qui sera activée progressivement tout le long de l’année (en matière de COPJ d’abord, puis de CRPC en mai, de mineurs à l’été, puis du circuit d’urgence et de comparution immédiate en septembre) et qui nécessite une vraie coordination avec les services de police et le barreau afin d’arriver à une égalité complète du point de vue de l’appréhension des procédures. Le tribunal va également connaître des travaux d’ampleur en termes immobiliers après la fin en décembre 2024 des travaux de réhabilitation énergétique : le relogement des services du bâtiment du Via Verde au sein du bâtiment principal historique devrait avoir lieu au premier semestre. De nouveaux travaux devraient également commencer dans le courant de l’année pour la création d’un nouveau bâtiment, commun avec la préfecture, au cœur du centre administratif départemental qui apportera au tribunal un appoint de près de 100 postes de travail sur l’un des quatre étages du futur bâtiment.

Résolument optimiste quant à la capacité de l’institution à faire face aux contraintes matérielles comme économiques, le président a souhaité terminer son allocution par Erik Satie, et sa capacité “à faire de simples choses un grand œuvre, dans la simplicité créatrice, la connaissance des choses et des autres, la résistance aux académismes inutiles, l’endurance et la répétition et, pourquoi, pas, la reconnaissance différée, lesquelles, lorsqu’elles sont alliées à l’envie de faire et d’agir durablement, illustrent la maxime d’Arthur Schopenhauer : « entre les désirs et la réalisation s’écoule toute la vie humaine »”.

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