Violences urbaines et intrafamiliales, JO 2024 à venir : la cour d’appel de Versailles en vigilance

Publié le 19/09/2023

tribunal versailles

Le 1er septembre, Marc Cinamonti, procureur général, et Jean-François Beynel, premier président de la cour d’appel de Versailles, ont coorganisé un point presse pour évoquer les dossiers chauds de la rentrée et les chantiers pour les mois à venir. Violences urbaines, intrafamiliales et JO à venir, le programme est chargé.

Un parquet et un premier président unis dans une volonté de montrer une institution judiciaire à la hauteur des violences urbaines de l’été. Le 1er septembre dernier, lors d’un point presse de rentrée, Marc Cinamonti et Jean-François Beynel ont tenu à faire le bilan d’un été plus que tendu à la suite de la mort de Nahel, tué le 27 juin lors d’un contrôle policier à Nanterre qui avait entraîné émoi et fort mouvement de révolte dans toute la France.

La juridiction n’a pas échappé aux dégradations et attaques de bâtiments. Sur son territoire, « pour la première fois dans l’histoire, nous avons été confrontés à une série de dégradations de biens publics », a estimé le premier président, évoquant les mairies qui brûlent, les écoles dans l’impossibilité de rouvrir pour la rentrée. Un phénomène « pas banal », a-t-il euphémisé, comptant également l’attaque subie par le tribunal de proximité d’Asnières, une juridiction pourtant ancrée dans le réel, traitant « des problèmes du quotidien », surendettement, droit de la consommation ou de la nationalité.

« La condensation des violences urbaines s’est faite sur les Hauts-de-Seine et le Val d’Oise », puisque l’« épicentre des faits s’est déroulé à Nanterre ». Dégradations importantes, donc, mais le ton s’est voulu rassurant sur la réponse pénale apportée : « Nous avons géré la situation », a-t-il asséné. Il a ainsi souligné « des audiences tenues dès le lendemain » et une institution qui a « répondu présente », qui s’est « mobilisée ».

Si la justice n’a pas déserté – 4 000 interpellations ont été comptabilisées au 1er août au niveau national – elle a été confrontée aux complexités du réel, à commencer par cette question, que l’on retrouve dès la création des CRS : « Comment maintenir l’ordre et en même temps construire en réel et en direct une procédure pénale conforme à l’état de droit ? », a souligné Jean-François Beynel.

« La crise ne dispense pas de la règle de droit »

Le danger pour le premier président ? « Que l’on se contente de moins [en termes de collecte de preuves et d’enquête, NDLR] quand on est en situation de violences urbaines. La crise ne dispense pas de la règle de droit ». À l’heure du bilan, Jean-François Beynel, comme Marc Cinamonti, entendent analyser les raisons des éventuelles relaxes ou nullité de procédures, et comprendre si elles sont liées à de quelconques dysfonctionnements. Sur la question de la qualité des procédures, le procureur général, Marc Cinamonti a expliqué vouloir lancer une étude sur les procédures engagées en termes de poursuites, notamment les comparutions immédiates, s’inspirant de l’initiative de l’Inspection générale de justice et de l’administration qui sont allées collecter auprès des juridictions des informations concernant les mis en cause. « Par cet examen des comparutions immédiates, nous comptons analyser les condamnations fermes, les nullités de procédures, les relaxes », avec une « analyse fine au niveau de la cour » . Marc Cinamonti veut « comprendre pourquoi à Chartres, il y a eu beaucoup de relaxes, et moins à Pontoise et Nanterre ».

Concernant le policier mis en cause dans la mort de Nahel, « la cour d’appel a motivé ses deux arrêts uniquement sur les critères de la détention provisoire tels que définis dans l’article 144-1 du Code de procédure pénale », a tenu à rappeler Jean-François Beynel, expliquant ainsi son maintien en détention.

Pour autant, Marc Cinamonti a critiqué l’éventualité de tribunaux spécialisés pour les policiers. « Les juridictions de droit commun ont vocation à permettre le respect de l’égalité devant la justice. Attention aux juridictions spécialisées : quand ce n’est pas lié à des difficultés probatoires, cela peut correspondre à la volonté d’accéder à un certain résultat judiciaire ». Sur ce point, le premier président de la cour d’appel Jean-François Beynel, lui apporte son soutien en précisant le cadre législatif d’un tel dispositif. « Ce qui spécialise, c’est l’infraction, pas la nature de la personne, à l’instar du travail réalisé par les juridictions antiterroristes » et contrairement au triste Code noir, qui criminalisait non pas sur des faits, mais une appartenance ethnique », a-t-il tenu à citer.

Enfin, sur le rapport de force supposé police-justice, les deux hommes ont voulu apparaître unis. À leurs yeux, imaginer une telle confrontation ne serait rien de moins que nier la République. « Ce n’est pas au même niveau, avance Jean-François Beynel. Il y a la justice, qui a comme mission de diriger la police ».

Une concentration des efforts sur les violences intrafamiliales et conjugales

La juridiction, malgré les efforts réalisés pour déstocker, n’y arrive pas pour le moment. « Sur la thématique du traitement des stocks, on ne déstocke pas, voire on assiste à une aggravation et un nombre considérable d’enquêtes en cours », a expliqué un Marc Cinamonti préoccupé. « Il y a là un sujet ». Comment l’expliquer ? Notamment par une « pression sur la lutte contre les violences intrafamiliales et conjugales, qui mobilisent et monopolisent les services enquêteurs généralistes et les services judiciaires, malgré les mesures de déstockage », constate le procureur général, conséquence d’une volonté politique impulsée depuis quelques années. Le même phénomène s’était produit lorsque Jacques Chirac, en 2002, avait décidé de mener une lutte sans merci contre la délinquance routière. Certes, il y avait réussi, faisant baisser considérablement le nombre de morts sur la route, concède Jean-François Beynel, mais au prix d’une concentration des moyens sur ces dossiers. « On a jugé de la route », se souvient ce dernier, mais avec « des infractions qu’on ne traitait plus ».

C’est ce que pense aussi Marc Cinamonti, sans pour autant « remettre en cause cette politique pénale prioritaire », au début d’un « processus avec un plan de recrutement » à la clé. En substance, les moyens de la justice et de la police ne sont pas illimités, et les moyens attendus ne sont pas encore au rendez-vous. À la question de savoir s’il estime que d’autres dossiers sont négligés, il répond que cette volonté de circuit court, de « juger au plus vite dans l’intérêt des citoyens », implique de faire « certains arbitrages », avec pour conséquence, que « d’autres contentieux seront traités avec un certain délai ».

La perspective des JO 2024

Du 26 juillet au 11 août 2024, les Jeux Olympiques de Paris vont bouleverser le quotidien des Franciliens, ce qui suscite d’ores et déjà la vigilance des autorités. « Le pire n’est pas certain », a tenu à rassurer Marc Cinamonti, même s’il concède quelques raisons de se montrer préoccupé, comme le dernier épisode de violences urbaines l’a montré. La venue de 12 millions de touristes supplémentaires sur l’année pourrait amener à « une augmentation de l’activité délinquante de droit commun, de violences urbaines organisées ou de l’activité de groupuscules écologiques violents », détaille Marc Cinamonti.

En matière civile aussi, envisage Jean-François Beynel, les JO auront sans doute des conséquences. Il s’attend à une recrudescence des réclamations face à des tarifs de locations prohibitifs sur Airbnb, par exemple, ou des touristes qui se retrouveront à la rue, leur logement déjà occupé, loin du rêve qui leur aura été vendu.

Des dispositifs sont d’ores et déjà expérimentés, comme le plan « zéro tolérance », pas encore actif dans la juridiction de Versailles contrairement à Bobigny. Pour mieux faire face pendant les JO, Marc Cinamonti évoque aussi les plateaux de permanence des parquetiers, des juges de la liberté et de la détention ou encore la possibilité de multiplier par deux les audiences des comparutions immédiates face à la nécessité de mobiliser les effectifs en cas  de besoin.

La question des moyens est donc centrale, puisque tant le parquet que le siège peuvent se targuer d’une hausse des effectifs. La promesse de la Direction générale de la sécurité intérieure que plus un poste ne serait vacant est presque devenue réalité. Le tribunal de Nanterre a désormais un siège complet, et en 18 mois, l’effectif est passé de 102 à 123 magistrats, quand du côté parquet, les effectifs sont passés de 38 à 41.

La période ciblée par ce renforcement d’effectifs se concentre de septembre 2023 à janvier 2025. Car c’est dès maintenant qu’il faut réduire le stock, rappelle Marc Cinamonti, afin que le moment des JO venus, « nous ne soyons pas gênés par les contentieux habituels. Il faut anticiper des audiences, libérer la capacité et faire du déstockage ». Ces effectifs – bienvenus – seront-ils maintenus à l’avenir ou faut-il n’y voir qu’une hausse provisoire à laquelle il ne faut pas s’habituer ? Jean-François Beynel se veut optimiste, après les engagements des États généraux de la justice. « Est-ce que nous ancrerons ces postes parmi les 77 supplémentaires que l’on attend ou non ? Si oui, il nous en restera 57 à placer. Nous aurons donc le choix de figer ces places ou de les attribuer ailleurs. Finalement cela revient à une « avance » sur les créations d’emplois à venir ».

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