Vœux du tribunal de commerce de Bobigny : un 30e anniversaire et la confirmation de la reprise économique

Publié le 16/02/2018

Ce 25 janvier dernier, le tribunal de commerce de Bobigny ne faisait pas qu’ouvrir l’année judiciaire 2018. Ce fut également l’occasion de fêter un anniversaire, celui de sa 30e année judiciaire. Un bon prétexte pour revenir sur les missions accomplies depuis trois décennies, autant que pour se tourner vers l’avenir.

Dans une salle comble, au sein d’un léger brouhaha diffus, des voix fortes se détachent soudain et attirent l’attention de tous. Des silhouettes tirées d’un autre âge, se faufilent à toute vitesse à travers les fauteuils, et s’arrêtent juste devant l’estrade où le président et ses juges sont installés. « Je t’ai déposé 5 poulardes et 3 faisans ! », lance un marchand tout droit venu du XVIe siècle, pourpoint matelassé recouvert d’une large cape brodée, chapeau mou sur la tête. Un autre, visiblement en colère lui répond, sur un ton théâtral. « La belle histoire, que tu me contes-là ! Et où sont ces maudites volailles ? Les vois-tu sur mon étal ? ». La surprise passée, les auditeurs de l’audience de rentrée du tribunal de commerce de Bobigny ont pu se délecter d’une représentation théâtrale improvisée et dont les saillies contemporaines ont fait rire la salle. Cet « intermède qui rend hommage à l’histoire de nos tribunaux de commerce et à Michel de l’Hospital », a été une manière de marquer le trentième anniversaire du tribunal de Bobigny et son inscription dans l’histoire. Le président, Francis Griveau, a ainsi tenu à rappeler les faits marquants qui ont jalonné l’histoire du tribunal de commerce et notamment la création de ce tribunal à la suite de la loi de décentralisation. De 24 juges en 1987, 45 en 1992, le tribunal actuel peut se prévaloir de 73 juges. « La mise en route du greffe, pas évidente, a su évoluer au cours de ces trente ans, avec un personnel de 40 personnes environ qui nécessitait une formation importante. Ils ont dû traiter 90 000 dossiers papier venant de Paris et Pontoise, dossiers reçus en vrac », a précisé le président, ce qui laisse imaginer la somme de travail initial. Le greffier en chef a dès lors pris la décision de faire sous-traiter la saisie informatique de ces dossiers faisant de Bobigny l’un des premiers tribunaux à permettre les saisies d’informations judiciaires et juridiques par les usagers, grâce au Minitel, ancêtre d’Infogreffe. « L’avancée technologique qui est faite à l’initiative du greffe permet de notifier les décisions de justice sur coffre-forts électroniques, permet aux juges d’utiliser un portail spécifique qui permet de saisir les requêtes d’injonction de payer en ligne, de s’interconnecter avec le RPVA », a encore précisé le président. Quelques statistiques ont été évoquées : depuis 30 ans, un million de décisions a été rendu par le tribunal ; 333 523 entreprises ont été immatriculées ; 47 995 ouvertures de procédures collectives lancées, 65 545 jugements au fond, 303 320 en annonce de référés rendus.

Soumis aux influences du droit, « le tribunal a dû s’habituer à bon nombre de réformes : première réforme des faillites (1998), réformes des procédures collectives (1994), loi de sauvegarde (2005), ordonnance de 2014, loi Macron (2015), réforme du droit des contrats (2016), qui commence seulement à s’appliquer.

Après ces rappels historiques, l’audience de rentrée s’est concentrée sur le bilan de l’activité 2017.

Une année 2017 sous le signe de la reprise

Quelques statistiques permettent de prendre la mesure de l’activité du tribunal sur l’année écoulée. Le nombre de décisions judiciaires a été de 42 552 ; celui de jugements en matière de contentieux général, 2 002, soit 14 % d’augmentation. Le nombre d’ordonnances de référés atteint 598, en augmentation de 13 % ; le nombre d’injonctions de payer est en baisse de 23 % avec 6 826.

L’ouverture de procédures collectives atteint les 2 146, (assez stable) et en tant que tribunal de commerce spécialisé (TCS), Bobigny a ouvert 6 dossiers, avec un nombre de salariés concernés de 7 796, ce qui est un nombre important. Concernant la prévention, 635 entretiens de prévention ont été menés, 24 mandats ad hoc, 23 conciliations, dont 4 dossiers ouverts en tant que TCS, avec un nombre de salariés concernés de 11 618. Seuls 36 jugements ont été infirmés pour un taux d’appel de 1,8 %.

Le président a souhaité insister sur le dynamisme du département de la Seine-Saint-Denis, « avec en 2017, un solde net d’immatriculations de 6 595. On note 120 829 entreprises inscrites au RCS, inscription de privilège pour 288 millions pour le trésor, 236 millions pour la sécurité sociale. C’est plus 37 % », a-t-il précisé.

Afin de renforcer ce dynamisme, la prévention joue un rôle très important, notamment pour le dépôt des comptes puisque près de la moitié des entreprises ne déposent pas leurs comptes annuels. Le tribunal a lancé la création d’un Centre d’information et de prévention (CIP) 93 au 4e trimestre avec la participation des juges honoraires et la collaboration avec des experts-comptables et les avocats et une cellule d’aide aux dirigeants à l’occasion des chambres de conseils, là encore assurée par les juges honoraires du tribunal.

Des outils au quotidien et la révolution digitale

Concernant la conciliation contentieuse, 84 dossiers ont été traités par les juges conciliateurs et les conciliateurs de justice, le double de 2016 même si cela reste insuffisant. Dans le cadre de la lutte contre la fraude, le président a salué la mise en place des fichiers de bénéficiaires effectifs, 7 500 en 2017, 100 000 à prévoir sur 2018, qui permet de constituer une base de données à la disposition des autorités judiciaires. Très attendu, le Fichier national des interdits de gérer se met en place. « On ne peut que regretter que le greffe ne puisse lutter contre la fraude documentaire lors de formalités au RCS car ils n’ont pas accès aux fichiers des titres de séjour, malgré des demandes récurrentes », a déploré Francis Griveau.

Point important : la révolution digitale numérique, qui se met doucement en place, avec seulement 9 % des placements en ligne qui viennent du RPVA, seulement 17 % des dépôts de comptes et seulement 33 % des immatriculations au RCS en ligne. Le greffe du tribunal, qui œuvre dans ce sens, a organisé un corner law le 15 décembre qui a eu beaucoup de succès. L’ouverture du tribunal vers les fintech, les legal tech est en cours.

Un département à double face

Du côté du ministère public, Fabienne Klein-Donati, procureur, a insisté sur un département « à double face » : à savoir des fleurons économiques mais aussi une économie souterraine. À la première face correspond un essor économique lié au projet du Grand Paris. L’activité immobilière est le premier secteur d’activité du département, qui voit 14 % de nouvelles entreprises pour l’année 2017, à savoir 16 222 très précisément. On note la poursuite d’installation de sociétés cotées — comme récemment Aéroport de Paris — plus d’une quinzaine d’entreprises réalisant plus d’un milliard d’euros de CA, une augmentation des prises de garanties immobilières, témoignant d’investissements conséquents, et enfin, l’augmentation du capital moyen des entreprises.

Mais derrière ce tableau reluisant, le département fait aussi face à un grand nombre de radiations de sociétés, souvent hors la loi, ne respectant pas les règles du droit des sociétés — non dépôt des comptes, absence d’inscription au Répertoire des métiers quand celle-ci est obligatoire, absence de changement de dirigeant. Ainsi « le territoire attire également et malheureusement, ceux qui gèrent une économie parallèle, et qui viennent faire mourir en Seine-Saint-Denis des sociétés utilisées comme instruments de fraude », a affirmé la procureur.

S’agissant de l’activité du tribunal de commerce, l’activité juridictionnelle rendue par les juges a encore été soutenue dans cette année 2017, puisque ce sont encore 595 décisions par magistrat. À noter, une forte activité des juges commis à la surveillance du registre de commerce et des sociétés.

Cette activité juridictionnelle n’est pas la seule qu’il convient d’évoquer. Il faut encore mentionner l’activité de prévention des entreprises en difficultés par le biais des entretiens (635 cette année), des convocations qui sont proposées, faites par les magistrats consulaires, pour les sociétés, dont les indicateurs économiques révèlent des risques pour la pérennité de l’entreprise et l’emploi.

La compétence de TCS concrétisée

Cette année, le TCS s’est penché sur des dossiers relativement importants, complexes et sensibles : 2 527 affaires ont été examinées aux fins d’ouverture d’une procédure collective, soit 7 % de moins qu’en 2016, ce qui est plutôt un indicateur économique encourageant. « Nous avons moins 10 % de déclarations de cessations de paiement, notamment 3 sociétés d’un important groupe textile qui a été concerné, et qui s’est soldé pour l’instant par un plan de cession, avec une préservation quand même de 1 700 emplois, ce qui n’est pas négligeable », s’est réjouie la procureur.

Nous avons également noté une baisse de 4 % des citations de procédures collectives, alors même que le parquet a augmenté le nombre de saisines, puisque nous sommes à 494 saisines pour 2017. Sur les 84 % d’affaires retenues sur ces requêtes, il faut noter que la majorité se termine par une liquidation judiciaire, notamment parce que souvent le représentant légal n’est pas présent.

En 2017, 9 638 sociétés ont été concernées par une liquidation judiciaire, environ la moitié du nombre de créations nouvelles sur ce département.

Autre activité évoquée par la procureur : les sanctions, en progression. Cette juridiction a prononcé 435 décisions de faillite ou d’interdiction de gérer, et le motif le plus récurrent est celui d’une absence de comptabilité. Cette année 2017 a vu la mise en place effective du Fichier national d’interdiction de gérer, que le greffe a commencé à alimenter, et qui permettra de faire obstacle au moins aux tentatives de création de sociétés par les dirigeants qui sont frappés d’incapacité.

S’agissant de l’action du parquet, un groupe de travail a été mis en place l’année dernière sur les sociétés éphémères dont les missions sont : diagnostic, définir les indicateurs qui permettent de cibler les contrôles, et enfin, « il s’agira de passer au contrôle opérationnel, dans une phase très concrète, d’opérationnalité à l’encontre de ces sociétés », a prévenu la procureur.

En conclusion, elle a souligné la nécessité d’empêcher le plus possible « les sociétés de gérants délinquants de venir en Seine-Saint-Denis, et propose donc de réfléchir à des moyens de créer une procédure d’enquête simplifiée, sur les abus de biens sociaux et les banqueroutes, de façon à conduire des enquêtes rapides, non complexes par les services de police judiciaire, et à mettre en place une répression sans tarder ».

L’impact de la loi J21

Francis Griveau a indiqué que la loi J21 renforçait la déontologie des juges, mettait en place la déclaration d’intérêt pour les juges, et renforçait la formation. Elle a aussi donné compétences au tribunal de commerce pour les litiges entre artisans, qui étaient jusqu’à présent de la compétence des TGI. En procédures collectives, la réforme du 6 août 2015, appliquée depuis le 1er mars 2016, donne compétence à 18+1 tribunaux de commerce, à compétences commerciales, pour traiter de procédures affectant des groupes de tailles de 20 millions, 250 salaires minimum… Depuis le 1er mars 2016 (date d’application de la loi sur les TCS), 40 à 50 affaires en procédure ont été traitées par ces tribunaux, 30 à 40 affaires dans le cadre de la prévention, qui reste naturellement confidentielle.

Enfin, le regard a été tourné vers l’avenir, avec la question de l’évolution des tribunaux de commerce vers des tribunaux des affaires économiques. « Lors du congrès des tribunaux de commerce, le président de la Conférence, Georges Michel, a confirmé cette approche, en proposant d’ouvrir dès à présent la réflexion, afin de faire évoluer la justice commerciale, afin de faciliter la situation des justiciables.

La commission des lois du Sénat vient d’adopter des amendements qui proposent l’extension des compétences des tribunaux de commerce pour toutes les mesures et les procédures relatives à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, quel que soit le statut du débiteur, y compris les associations. Sans aller jusqu’à transférer la compétence des baux commerciaux des TGI aux TC, le Sénat propose que le TC soit compétent pour les litiges liés aux baux commerciaux, lorsqu’une procédure collective est en cours ».

Pour conclure, de nombreux remerciements ont été adressés aux huissiers, administrateurs et mandataires judiciaires, avocats, CCI et chambre des métiers, université Paris 13, Medef et CPME, et à tous les autres auxiliaires de justice, notamment les commissaires-priseurs, les courtiers en marchandise, les experts judiciaires qui assistent le tribunal.