Pacte agricole francilien : le virage agricole ne se fera pas sans le consommateur
Les agriculteurs d’Île-de-France connaissent des défis particuliers et de profondes mutations dans leur métier. Lancé en 2018 par la région, le Pacte agricole francilien, doté de 150 millions d’euros, doit les accompagner pendant 4 ans, pour prendre à bras-le-corps les différents enjeux environnementaux et économiques. Bilan d’étape.
L’été 2020 ne sera décidément pas comme les autres, et pour les agriculteurs franciliens en particulier. Touchés par une récolte désastreuse de betterave (projections de – 50 %) et d’orge (récolte réduite de moitié par rapport à la production moyenne), certains exploitants pensent mettre la clé sous la porte. Dans cette situation, les agriculteurs d’Île-de-France se sentent abattus : l’opinion publique ne s’intéresse pas à leur situation, alors qu’il y a quelques mois elle saluait pourtant celles et ceux qui nourrissaient une France confinée.
Un confinement qui a permis sans doute à de nombreux Franciliens de se rendre compte qu’ils vivent dans une région agricole, grâce à des opérations, des marchés ou des systèmes de paniers. De fait, 47 % du territoire de l’Île-de-France sont consacrés au secteur primaire, des arpents de terre fertile que se partagent 5 000 exploitations (dont 300 en bio). La région a conservé son histoire meunière, elle est la première productrice de blé qu’elle transforme dans 22 moulins disséminés dans le paysage. Mais de nouvelles cultures d’élevage ou encore maraîchères ou apicoles se développent chaque jour un peu plus.
« Les agriculteurs connaissent des défis particuliers liés au territoire », explique Laura Morel, directrice de la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles (FRSEA-IDF) : « des sujets de fonds ou ponctuels structurel, en particulier le foncier agricole qui est une denrée rare dans la région, et qui peut être menacé par de grands projets, comme l’extension d’une carrière du cimentier Calcia à Breuil-en-Vexin, qui menace les terres d’une exploitation céréalière. Mais de manière générale la société attend de l’agriculteur qu’il fasse beaucoup pour accompagner les mutations sans forcément que le geste du consommateur soit au rendez-vous. Un phénomène très prégnant en Île-de-France dénommé “l’agribashing” et qui fait que le moral des agriculteurs est au plus bas… la proximité avec la capitale fait aussi qu’ils se trouvent en première ligne face aux sujets d’actualités ».
L’élue déplore aussi les paradoxes liés au territoire : les Parisiens veulent des produits locaux, s’installent volontiers à la campagne le week-end… mais refusent la proximité avec les agriculteurs. Laura Morel s’en attriste : « J’ai un ami dans les Yvelines qui a eu des mots avec des voisins, car ses vaches faisaient du bruit le week-end. Pour les moissons, nous avons fait une campagne de communication, pour expliquer aux habitants que les moissonneuses-batteuses peuvent faire de la poussière, que les engins agricoles sur les routes peuvent provoquer des ralentissements. On a eu beaucoup de retours positifs, mais certains agriculteurs ont été agressés, menacés. Pour eux, c’est incompréhensible : il faut nourrir la France et vivre ça le lendemain ».
Le Pacte agricole pour influencer le consommateur et accompagner la transformation de la pratique agricole
C’est pour pallier les défis que la région a lancé en 2018 un Pacte agricole francilien, doté de 150 millions d’euros. Il est basé sur 5 actes : préserver les terres et lutter contre le mitage qui accompagne la décision de la région de sanctuariser, soutenir les jeunes agriculteurs (viser l’installation de 200 jeunes agriculteurs d’ici 2022), accompagner la diversification (pour s’assurer d’un avenir durable, et porter celle-ci de 10 à 25 % en 2022), accompagner la transition écologique et énergétique (renouvellement des équipements, tripler les surfaces cultivées en bio) et enfin favoriser le « manger francilien » (création de marques avec l’objectif d’alimenter à 100 % les cantines d’Île-de-France d’ici 2024).
À l’heure d’un premier bilan, on peut déjà le dire : beaucoup a été fait pour réconcilier les 12 millions de Franciliens à leur patrimoine agricole en transformation. 38 projets de constructions-rénovations ont été financés dans l’élevage, 99 dans les filières végétales, l’aide à la diversification a accompagné 140 projets un peu partout dans la région (installation de panneaux photovoltaïques, ateliers de fabrication et de vente directe à la ferme, etc.). Plus de 225 projets ont été accompagnés pour amoindrir l’impact environnemental des cultures : depuis 2018, le nombre de méthaniseurs mis en service dans les exploitations d’élevage (une façon de produire de l’électricité verte à partir des déjections animales) a quadruplé. Concernant la contrainte foncière, qui touche au cœur les agriculteurs, la consommation de terres agricoles est passée de 1 800 hectares en 2000 à 500 hectares en 2019 et la région a lancé en septembre 2019, un Plan friche pour répertorier les zones à protéger dans la région. Des révolutions qui sont peut-être un peu éloignées des préoccupations des consommateurs.
Pour changer la donne à ce niveau-là, et éduquer les Franciliens à leur patrimoine agricole et au travail agricole, des campagnes ont été lancées pour lutter contre l’agribashing ou susciter des vocations chez les jeunes. En créant la marque « produit en Île-de-France » et en préparant un label IGP, la région souhaite changer le logiciel des consommateurs et faire un appel du coude aux locavores, très nombreux sur le territoire.
Depuis 2018, plusieurs marques sont apparues dans les rayons de supermarchés et des épiceries fines : l’Agneau des bergers d’Île-de-France, Nos bovins d’Île-de-France, les Aviculteurs d’Île-de-France et la Baguette des Franciliens. Des contrats de filières ont été créés dès septembre 2019 pour les filières de l’agroalimentaire et de l’horticole et des pépinières qui seront suivis dans les mois à venir de contrats de filières pour les champignons, la filière brassicole… et le vin !
« Jusqu’à très récemment, les Parisiens buvaient du vin produit en Île-de-France », rappelle Laura Morel. Dans les Yvelines, après avoir récolté le fruit de ses 3 premiers hectares, l’exploitation La Winerie Parisienne pense planter jusqu’à 20 hectares de vignes à Davron, une région où à la fin du XIXe siècle, les vignes couvraient 44 000 hectares. À l’heure d’un pré-bilan, la région tient donc son pari : en 2022, l’agriculture locale sera la fierté de tous les Franciliens.