Affaire Kerviel : la cour d’appel de Paris valide le licenciement du trader

Publié le 15/01/2019

Par un arrêt du 19 décembre 2018, la cour d’appel de Paris a réformé le jugement du conseil de prud’hommes du 7 juin 2016 qui a considéré que le licenciement du trader était dénué de cause réelle et sérieuse et condamné la Société Générale à lui verser environ 450 000 euros, dont 300 000 euros au titre de son bonus 2007.

En reconnaissant le caractère fondé du licenciement de Jérôme Kerviel en 2008, suite à la découverte de ses activités non autorisées au sein de la Société Générale, ayant engendré une perte de 4,9 milliards d’euros, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 décembre, dans le volet prud’homal de la saga judiciaire Kerviel, remet un peu de raison dans une affaire folle à tous égards. C’est, au passage, un véritable camouflet pour Jérôme Kerviel, dont la cour balaie toutes les revendications en prenant soin d’en démonter la mécanique systématique d’inversion.

L’autorité du pénal sur le civil réaffirmée avec force

Dans son jugement du 7 juin 2016, le conseil de prud’hommes de Paris, avait estimé que le licenciement de l’intéressé, pourtant fondé sur les faits ayant entraîné sa condamnation pénale définitive pour faux, usage de faux, abus de confiance et introduction frauduleuses de données dans un système automatisé, était dénué de cause réelle et sérieuse. Motif ? La Société Générale avait toléré quelques mois plus tôt des faits similaires sans réagir. Le conseil de prud’hommes en avait déduit que « l’employeur ne peut en aucun cas se prévaloir d’une faute dès lors qu’il a antérieurement toléré rigoureusement les mêmes faits et agissements en maintenant la poursuite des relations contractuelles sans y puiser, à l’époque, un motif de sanction ». Il avait en conséquence condamné la banque à payer à l’ancien trader toutes sortes d’indemnités, dont son bonus de 300 000 euros au titre de l’année 2007, autrement dit sur la période où il lui était reproché d’avoir pris des positions frauduleuses. En clair, le conseil de prud’hommes s’était, dans cette affaire, émancipé de la décision rendue en matière pénale.

Lors de l’audience devant la cour d’appel de Paris, le 30 octobre 2018, le parquet est venu rappeler que le pénal s’imposait à la cour. C’est aussi ce que celle-ci a considéré. « L’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil est absolue. Elle s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé », note la cour d’appel de Paris dans son arrêt. Celle-ci relève ensuite que Jérôme Kerviel par un arrêt du 24 octobre 2012 a été définitivement déclaré coupable des faits visés par la prévention. Or la lettre de licenciement vise des faits identiques à ceux imputés au trader en matière pénale. Conclusion de la cour : « c’est en méconnaissance de l’autorité de la chose jugée au pénal, qui s’impose à la juridiction prud’homale, que le premier juge a dit que les faits reprochés à Monsieur Kerviel par la lettre de licenciement étaient prescrits ». Au passage, la cour relève « que les carences graves du système de contrôle interne de la banque aient rendu possible le développement de la fraude et ses conséquences financières ne fait pas perdre aux fautes de Monsieur Kerviel leur degré de gravité ». La précision n’est pas anodine dans la mesure où ces carences, sanctionnées par la Commission bancaire lors de la révélation de l’affaire, ont fondé la décision de la cour d’appel de Versailles de ramener à un million d’euros les dommages intérêts fixés initialement à 4,9 milliards d’euros.

Faute grave et non pas lourde

Toutefois, si la cour d’appel de Paris reconnaît la validité du licenciement, elle ne suit pas l’avis juridique du parquet qui concluait à l’existence d’une faute lourde en citant à l’appui de son analyse un arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2017, au terme duquel la faute lourde est établie si le salarié a connaissance de l’impact possible de ses actes et de leur caractère irrégulier. La cour d’appel a fait application de la jurisprudence traditionnelle en la matière. Elle relève à ce sujet que « les éléments du dossier ne permettent pas d’établir que Monsieur Kerviel a agi pour un autre motif que celui de poursuivre son intérêt personnel, dans un esprit de lucre et pour tirer de ses actes des avantages professionnels, notamment en terme de carrière. Son intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise n’est pas démontrée ». En conséquence, c’est la faute grave qui est retenue.

La suite de la décisions procède au rejet de toutes les demandes de l’ancien salarié. Ainsi, il reprochait à la banque de l’avoir forcé à venir s’expliquer durant le week-end qui avait suivi la découverte de ses positions dissimulées et d’avoir enregistré ses déclarations à son insu. La Cour a considéré que ce n’était pas vexatoire et a annulé la somme de 20 000 euros qui lui avait été allouée de ce chef par les prud’hommes. Au titre de l’absence de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail, Jérôme Kerviel reprochait à son employeur de ne pas lui avoir permis de prendre ses congés. Mais la cour relève que « c’est Monsieur Jérôme Kerviel qui, pour des motifs propres, a fait obstacle à la prise de ses congés. Il ne saurait donc le reprocher à son employeur, étant au surplus observé qu’il ne justifie d’aucun préjudice particulier ». Et la cour d’ajouter plus loin : « C’est là encore en vain que M. Kerviel invoque le caractère injustifié de “sa double condamnation pénale” en refusant d’assumer les conséquences financières de ses actes. Sa condamnation sur intérêts civils n’est pas la conséquence de l’exécution de mauvaise foi du contrat de travail par la Société Générale, elle est la conséquence de ses propres turpitudes ». L’ex-trader réclamait également à la banque des dommages et intérêts pour préjudice d’image, en raison du « battage médiatique » ayant entouré son licenciement. Nouveau camouflet pour ce dernier : « M. Kerviel est défaillant à démontrer que la Société Générale a commis une faute dans les conditions de la révélation de ses actes, il ne saurait sérieusement prétendre que c’est du fait de la banque que son nom est associé aux agissements délictueux qu’il a commis ». Quant au bonus de 300 000 euros au titre de l’année 2007, correspondant à la faible part de bénéfice avoué sur le montant de ses activités occultes la cour estime qu’il n’est pas dû et motive une fois de plus sa décision par un renversement de l’argumentation qui lui est présentée : « Au regard de l’abus de confiance commis par Jérôme Kerviel dans l’exercice de ses fonctions, de sa dissimulation par des opérations fictives au cours de l’année 2007, et des pertes à l’origine desquelles il se trouve, le salarié est mal fondé à réclamer le paiement d’un bonus destiné à récompenser son activité au profit de l’employeur ».

Dans cette affaire hors normes à tous égards, deux décisions de justice apparaissaient difficilement compréhensibles. La première était celle du tribunal correctionnel de Paris, confirmée en appel, condamnant le trader à rembourser 4,9 milliards d’euros à sa banque. La cour d’appel de Versailles, en ramenant cette somme à un million d’euros a donné le sentiment que les choses reprenaient une dimension raisonnable. Contrairement aux apparences, ce n’est pas forcément une victoire pour Jérôme Kerviel. Embarrassée par la taille aberrante de sa créance sur une personne physique, la Société Générale n’aurait sans doute jamais tenté de recouvrir le moindre centime. À l’inverse, elle peut parfaitement prétendre recouvrer un million d’euros auprès de son débiteur, surtout que celui-ci n’a cessé de l’attaquer en justice et dans les médias, montrant ainsi qu’il n’était pas dans une logique de négociation et d’apaisement. La deuxième décision qui interrogeait était celle du conseil de prud’hommes. La cour d’appel de Paris vient ici de rendre un arrêt de bon sens, conforme à la jurisprudence.

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