CA Paris : « Appeler un médecin pour avoir des éléments administratifs, je n’ai jamais vu ça » !
Mme A., renvoyée en août 2018 du magasin où elle exerçait comme vendeuse de robe de mariées, conteste son licenciement. Déboutée aux Prud’hommes, elle porte son dossier devant la cour d’appel de Paris et demande aux juges de prononcer la nullité du licenciement et sa réintégration au sein de l’entreprise. Au centre des débats se trouve l’appel passé par l’employeur au médecin traitant de la salariée.
Cour d’appel de Paris, salle Jules Grévy. À son entrée dans cette pièce aux murs bleu pâle, la juge unique n’a même pas besoin de demander aux présents dans la salle de se lever : tous sont des habitués des tribunaux, la majorité d’entre eux porte la robe des avocats. La juge s’installe au centre du pupitre, devant une pile constituée des dossiers de l’après-midi : trois des quatre sont amenés devant cette juridiction par des employés qui contestent leur licenciement et à qui le conseil des prud’hommes n’a pas donné gain de cause en première instance.
Le deuxième cas examiné est celui de Mme A. Elle a été licenciée en août 2018 du magasin de robes de mariées où elle exerçait comme vendeuse depuis 15 ans. Selon la défense de la salariée, deux problèmes se posent : elle aurait été harcelée avant son licenciement. Et plus embêtant encore : « Madame a été arrêtée pour maladie. Elle revient d’un congé maladie et la société prend contact avec le médecin, puis la licencie. S’il est avéré, ce comportement pourrait être passible de poursuites pénales du fait de l’atteinte à la vie privée, ce qui entraînerait la nullité du licenciement », explique la juge en préambule pour circonscrire les enjeux du dossier. Elle souligne : « Nous avons là un vocabulaire qu’on retrouve plus souvent en correctionnelle… »
Comme le veut cette juridiction, la parole est d’abord donnée à la défense des intérêts de l’employée, installée sur les bancs de droite. En l’absence de sa cliente, Me Christophe Meyniel commence par évoquer l’ambiance délétère qui régnait au sein du magasin quelques mois avant le licenciement, attestée par des éléments matériels joints au dossier. En avril 2018, deux salariées adressent à la direction un mail au nom de toute l’équipe pour dénoncer un management rude et des propos grossiers vis-à-vis des clientes tenues par la direction. Les salariés saisissent au même moment l’inspection du travail. Comme la loi l’exige, l’entreprise diligente une enquête et sollicite… ses propres avocats. « Il y a un problème de conflit d’intérêts évident », pointe Me Christophe Meyniel, avant d’ajouter, agacé : « Et les Prud’hommes tombent dans le panneau et concluent qu’il n’y a pas eu de harcèlement… ».
Second grief : « La salariée a été licenciée à cause de propos tenus auprès de son médecin traitant », résume l’avocat. Pour affirmer cela, il s’appuie sur quelques lignes écrites au milieu de la longue lettre de licenciement rédigée par l’entreprise et qui indique, noir sur blanc, avoir joint le médecin de Mme A. Anticipant la riposte de la défense, Me Christophe Meyniel insiste sur l’impossibilité de fixer une ligne entre les informations médicales et administratives, rendant caduc, espère-t-il, l’argument selon lequel l’entreprise aurait eu besoin d’informations supplémentaires pour remplir des documents administratifs. « Appeler un médecin pour avoir ces éléments, je n’ai jamais vu ça ! », résume-t-il.
Manque « d’enthousiasme, de patience et de motivation » pour justifier le licenciement
Au tour de sa consœur, installée à sur les bancs de gauche, de répondre point par point aux griefs de la salariée. L’avocate trouve « juste, pour ne pas dire plus », l’argument consistant à remettre en cause son travail dans le cadre de l’enquête menée sur l’ambiance au sein de la société pour laquelle elle travaille. « Les procès-verbaux reprennent mot pour mot ceux des salariées », insiste-t-elle. Et surtout, elle assure que la salariée étant en arrêt maladie au moment où l’équipe des employées s’est adressée à la direction pour dénoncer l’ambiance délétère au sein du magasin, Mme A. n’a pas pu être victime de harcèlement.
À l’inverse, l’avocate revient en détail aux motifs qui ont justifié le renvoi de la salariée, citant les faits déjà énoncés dans la longue lettre de licenciement (quatre pages) : elle aurait été beaucoup absente et en retard sans prévenir et sans se justifier, elle aurait aussi manqué « d’enthousiasme, de patience et de motivation », ainsi que de professionnalisme, conduisant à la division de ses ventes par deux entre le premier semestre 2017 et le premier semestre 2018.
L’avocate ne peut pas y couper, elle revient sur la question fatidique du coup de téléphone passé par l’entreprise au médecin traitant et reconnaît :
« — Pour reprendre les mots de mon confrère, moi aussi c’est la première fois que je vois une société qui appelle un médecin traitant.
— Moi aussi, murmure la juge.
— Mais la société n’est pas détentrice du secret médical. Ce médecin, on ne l’a pas obligé à dire quoique ce soit. L’entreprise l’a contacté, parce qu’elle n’avait pas compris une histoire de date d’arrêt maladie. Si la violation du secret médical est caractérisée par l’oreille de l’entreprise qui écoute le médecin en train de parler, alors voilà… »
Deux mois après l’audience, le verdict tombe : « L’employeur, en interrogeant le médecin traitant de la salariée, a violé le droit au respect de la vie privée de Mme A., liberté fondamentale, entraînant la nullité du licenciement. » La cour ordonne sa réintégration à l’entreprise et Mme A. doit recevoir 3 000 euros à titre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, ainsi que 147 045,78 euros correspondant au rappel de salaires et 14 704,58 euros pour les congés payés afférents.
Référence : AJU013c9