Hauts-de-Seine (92)

Inflation en Île-de-France : records et conséquences

Publié le 20/06/2023
Inflation en Île-de-France : records et conséquences
luciano/AdobeStock

En Île-de-France, l’inflation a fait gonfler des prix déjà plus élevés qu’ailleurs. Si les raisons de ces écarts peuvent sembler logiques, les conséquences le sont moins, et les Hauts-de-Seine (92) sont le deuxième département de France où les courses sont les plus chères de France! Un triste record…

Depuis que l’inflation s’est invitée dans le quotidien des Français, deux régions de métropole se regardent en chien de faïence. La Vendée et l’Île-de-France : le département où faire ses courses est le moins cher versus la région où cela coûte le plus cher ! Pour un même caddie, à Paris ou à La Roche-sur-Yon, une différence de plus de 27 euros… Une différence qui est liée à plusieurs facteurs, un contexte de répercussion des prix de l’immobilier avec des baux commerciaux bien plus élevés que sur le reste du territoire national. Mais ce n’est pas la seule raison : les frais d’approvisionnement et le coût des transports sont aussi répercutés par les commerçants. De façon plus sournoise, et malgré les apparences, la multiplicité des enseignes dans ces zones urbaines ne favorise pas une baisse des prix, au contraire (Paris compterait à peu près 1 400 magasins de produits de grande distribution). « À Paris intra-muros, il y a très peu d’hypermarchés alors qu’ils défendent une politique plutôt agressive en matière de prix. Au contraire, on retrouve plutôt des magasins de proximité ou des enseignes alimentaires plus haut de gamme comme Monoprix », avait détaillé Emmanuel Cannes, expert prix et inflation chez NielsenIQ. Parmi les cinq départements français où l’inflation est la plus forte, quatre d’entre eux se trouvent en Île-de-France. Depuis que France Bleu et l’institut NielsenIQ font leurs relevés de prix, les trois départements qui campent sur le podium des emplettes les plus chères restent Paris, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne. C’est à Paris que les prix restent plantés aux sommets : le panier France Bleu à Paris s’élève à 131,59 euros (+ 1,66 par rapport à avril). Il était à 120,16 euros en décembre dernier. Suivent les Hauts-de-Seine à 124,24 euros (+ 1,56) et le Val-de-Marne (+ 1,52). Les Alpes-Maritimes sont sur la 4e place à 118,87 et la Seine-Saint-Denis – département le plus pauvre de France métropolitaine – atteint les 118,54 euros (+ 1,49).

Une réalité qui vient s’ajouter à une autre, très concrète, également apportée par l’étude France Bleu / NielsenIQ : les quatre produits toujours en hausse depuis un an dans les départements franciliens sont loin de correspondre à l’idée que l’on se fait du luxe : ce sont en premier lieu : le sucre en paquet d’1 kg premier prix (+ 48,53 % sur un an à Paris), le pack de 12 rouleaux de papier toilette premier prix (+ 26,27 % sur un an à Paris), le paquet de 12 bâtonnets de poisson pané marque distributeur (+ 25,99 % sur un an dans les Hauts-de-Seine) et le paquet de 250 g de chips marque nationale (+ 25,87 % sur un an dans les Yvelines). Des produits populaires, des marques premier prix ou distributeur qui laissent entendre que les personnes qui subissent le plus le revers de l’inflation sont les moins avantagées.

Une inflation qui impacte les plus défavorisés

En novembre 2022, déjà, des économistes de la Banque centrale européenne (BCE) s’inquiétaient que l’inflation pèse plus sur les foyers les plus pauvres, malgré la mise en place d’un bouclier tarifaire (pour les prix de l’énergie) ou d’un chèque carburant. Le panier de consommation des 20 % des ménages aux revenus les plus hauts est 2 % moins cher que celui des 20 % les plus pauvres. Contrairement aux plus riches, qui peuvent éventuellement rogner sur leurs habitudes de consommation ou leurs loisirs, les foyers les plus pauvres fonctionnent déjà en flux tendus, ne peuvent plus rogner sur quoi que ce soit car l’écrasante majorité de leurs revenus sont consacrés au paiement des charges fixes (loyer, gaz/électricité). Ils achètent déjà aux prix les plus bas et ne peuvent puiser dans une épargne inexistante. Une situation gravissime qui implique l’augmentation de la précarité alimentaire, passée de 12 % à 16 % entre juillet et novembre 2022 (soit + 4 points), alors qu’elle n’a crû que de 3 points entre 2016 et 2022. Désormais, seuls 39 % des plus de 15 ans déclarent manger tous les aliments qu’ils veulent, contre 50 % en 2016.

L’inflation a eu des conséquences particulièrement violentes sur les populations défavorisées, estime Geoffrey Renimel, membre de la délégation nationale d’ATD Quart Monde pour la France. Il travaille sur le sujet dans le cadre d’une université populaire. « On a étudié les changements d’habitudes de consommation des personnes depuis que l’inflation augmente. Il y a d’abord le sacrifice des produits frais, des fruits, des légumes, de la viande. Les personnes se dirigent plus vers les conserves. Il faut savoir que pour les foyers les plus modestes, les dépenses contraintes (loyer, factures) représentent 80 % des revenus. Sachant que dans la région Île-de-France les loyers sont bien plus importants qu’ailleurs, les privations sont d’autant plus importantes ». Selon les personnes qu’il a rencontrées, le plus difficile reste la perception des enfants, qui ne comprennent pas les changements d’habitudes de consommation, la fin des achats de plaisir, comme le chocolat, qui venait agrémenter le quotidien. Certains m’ont dit « Avant les pâtes c’était pour les pauvres, maintenant c’est devenu trop cher pour nous. Certaines enseignes, comme Lidl, sont aussi devenues hors de portées pour certains foyers qui y avaient leurs habitudes. » Heureusement, le militant tient à expliquer que des systèmes de solidarités (équivalent à ceux observés pendant les périodes de confinements) se sont renforcés ou mis en place, avec des échanges de bons plans, d’astuces, des boulangers qui donnent leurs invendus, des cueillettes participatives à Cergy, dans le Val-d’Oise, permettant de manger des légumes pour moins cher, des achats groupés entre voisins de palier.

Les associations caritatives, pour combler les trous dans la raquette

Sur les trois premiers mois de l’année 2023, Les Restos du cœur ont connu une augmentation de 20 % en moyenne de ses bénéficiaires franciliens par rapport à l’année dernière. « On fait face autant qu’on peut, mais on est inquiets », avait indiqué en janvier le délégué régional des Restos du cœur d’Île-de-France. Selon l’association, le nombre de bénéficiaires est en hausse de 20 % à Paris, de 22 % en Seine-Saint-Denis, de 15 % dans le Val-de-Marne et de 15 % dans les Hauts-de-Seine, avec plus d’étudiants et de familles monoparentales. Au niveau national, les banques alimentaires aussi ont connu une augmentation de 9 %, le nombre de personnes accueillies a triplé en dix ans… Une réalité qui laisse un goût amer à Geoffrey Renimel. « On voit bien que depuis des années on a eu des stratégies de renforcement de l’aide alimentaire, de chèques alimentaires ponctuels et que cela ne règle pas le problème, loin de là. Il faut des mesures plus structurelles pour lutter contre l’extrême précarité. Il faut augmenter les minima sociaux et les prestations sociales. Le RSA est à 607 euros, selon nous, il faut le remonter au niveau du seuil de pauvreté, soit 925 euros. Une augmentation significative mais qui ferait office d’un véritable choc pour le pouvoir d’achat. Ces gens sortiraient enfin la tête de l’eau. Il faut une politique du logement ambitieuse, c’est le premier poste de dépense des ménages et nous avons du mal à comprendre la logique du gouvernement à ce sujet : nous attendions un pacte des solidarités promis par le plan pauvreté du premier quinquennat. Or cela n’a de cesse d’être reporté et, à la place, nous avons des discours stigmatisants sur les détenteurs du RSA, dans le cadre de la réforme France Travail… C’est terrible pour les personnes en première ligne face à l’inflation ». Le militant regrette aussi que les départements, qui versent le RSA, se retrouvent seuls à gérer les conséquences de ces variations d’inflation sur les vies de leurs habitants. « La gestion du RSA a pris beaucoup de place au niveau budgétaire, dans les caisses des départements, et cela s’est fait au détriment d’autres politiques de développement du territoire. Pour lutter contre les effets dévastateurs de l’inflation au niveau local, il faut que l’État apporte un soutien significatif ». Meilleur exemple de l’absurdité de la situation : le versement du RSA pour la Seine-Saint-Denis a été nationalisé il y a quelques années pour que le département ait assez de latitude et d’air pour investir dans sa politique d’insertion.

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