La contestation par l’employeur de la prise en charge des accidents du travail et maladies professionnelles
Le contentieux lié à la prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles est essentiellement celui de l’inopposabilité sollicitée par l’employeur. En raison de ses enjeux financiers, il demeure un contentieux soutenu malgré les évolutions de procédure intervenues.
Les conditions de la prise en charge par l’organisme social compétent1 (caisse) d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (AT/MP) sont définies par les articles L. 411-1 et suivants et L. 461-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, ainsi que par les articles L. 443-1 et L. 443-2 du même code pour leur rechute, qui suppose, après la guérison ou la consolidation de l’accident ou de la maladie, un fait nouveau constitutif d’une aggravation, même temporaire, de l’état séquellaire de la victime qui soit lié exclusivement au risque professionnel pris en charge.
En principe la décision de la caisse intervient de manière expresse avant d’être notifiée aux intéressés. Si la caisse ne se prononce pas dans le délai de trente jours pour un accident du travail et de trois mois pour une maladie professionnelle, à compter de la réception de la déclaration et du certificat médical initial, le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie est reconnu de plein droit (CSS, art. R. 441-10, al. 3), à moins que la caisse ait informé la victime, le cas échéant ses ayants droit, et l’employeur, d’un délai complémentaire d’instruction, ne pouvant excéder deux mois s’il s’agit d’un accident et trois mois pour une maladie. L’absence de décision de la caisse à l’expiration du délai complémentaire d’instruction provoquera de la même manière une décision implicite de prise en charge (CSS, art. R. 441-14, al. 1er), l’objectif étant de protéger la victime de la carence ou de la défaillance de la caisse.
L’examen opéré par la caisse de la demande de prise en charge de l’accident du travail ne donne pas nécessairement lieu à une instruction. Elle peut décider d’une prise en charge d’emblée à partir des éléments qui lui ont été transmis, à savoir obligatoirement la déclaration et le certificat médical initial, si elle estime qu’un rapport suffisant de compatibilité est établi entre les circonstances décrites et les constatations médicales.
Pour une maladie professionnelle une instruction est toujours obligatoire avec l’intervention du médecin-conseil du service médical de la caisse (CSS, art. D 461-8 et 9).
Lors d’une instruction, la caisse doit au minimum envoyer à l’employeur et à la victime un questionnaire sur les circonstances de l’accident ou de la maladie, à moins qu’elle procède à une enquête auprès des intéressés. L’enquête est obligatoire en cas de décès (CSS, art. R. 441-11 III). Si l’employeur émet des réserves motivées sur les circonstances du risque professionnel déclaré ou sur une cause étrangère, la caisse doit procéder à une instruction. En tout état de cause l’absence de réserves de l’employeur ne vaut pas reconnaissance de sa part.
La décision prenant en charge l’AT/MP est en principe opposable à l’employeur lorsqu’elle intervient d’emblée ou à la suite d’une instruction régulièrement menée.
En matière d’accidents du travail l’employeur concerné est en principe celui au service duquel le travailleur se trouvait lorsqu’il est survenu.
En matière de maladies professionnelles, plusieurs employeurs successifs peuvent avoir concouru à la pathologie, notamment en cas de reprise de l’activité de l’entreprise. En ce cas plusieurs employeurs pourront être intéressés par une déclaration judiciaire d’inopposabilité de la prise en charge du risque professionnel.
L’action en inopposabilité de la décision de prise en charge appartient à l’employeur juridique. Dans le domaine de l’intérim l’entreprise utilisatrice n’est en principe pas concernée. L’obligation d’information pesant sur la caisse ne la concerne pas2, même si le coût du risque professionnel peut être mis à sa charge en application des dispositions des articles L. 241-5-1 et R. 242-6-1 et suivants du Code de la sécurité sociale.
D’une manière générale, le ou les précédents employeurs concernés par la maladie professionnelle pourront agir en inopposabilité de la décision de prise en charge, y compris en cas de manquements de la caisse lors de l’instruction du dossier à l’égard du dernier employeur3, qui est en principe celui concerné par la procédure. Si la caisse a informé facultativement un ancien employeur autre que le dernier, sans respecter parfaitement la procédure, la décision prise ne lui sera pas opposable.4
Quant à l’intérêt à agir proprement dit, il est largement reconnu à l’employeur, alors même que la prise en charge de l’AT/MP peut n’avoir aucune conséquence financière, ce dans la mesure où elle touche aux conditions de travail et aux risques professionnels dans l’entreprise.5
Cela étant, l’inopposabilité de la prise en charge sollicitée par l’employeur peut être plus ou moins étendue en fonction du risque professionnel tel qu’il a pu être effectivement pris en charge (I), avec des conséquences financières différentes selon la situation dans laquelle se trouve l’employeur (II).
Rappelons que pour la victime (ou ses ayants droits) l’enjeu de la prise en charge du risque professionnel est tout autre. En cas de refus, il lui appartient de le contester contre la caisse. En cas de prise en charge, la décision ne sera pas remise en cause du fait de l’action en inopposabilité de l’employeur : il y a une indépendance des rapports victime/caisse et employeur/caisse.
I – L’étendue de l’action aux fins d’inopposabilité
En premier lieu, l’employeur pourra mener son action devant la commission de recours amiable de la caisse dans un délai de deux mois, sans être tenu de la saisir6, dès que la décision de prise en charge lui a été notifiée conformément aux dispositions de l’article R. 441-14 du Code de la sécurité sociale, sinon devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Outre cette voie principale d’action, l’employeur pourra invoquer l’inopposabilité par voie d’exception lorsqu’une action en reconnaissance de sa faute inexcusable est exercée à son endroit (v. infra II) ou encore par voie d’intervention ou de tierce opposition, lorsque la victime déclarée d’un AT/MP sollicite devant le tribunal des affaires de sécurité sociale la prise en charge qui lui a été refusée par la caisse ou si elle l’a obtenue par le juge.
L’action en inopposabilité de l’employeur peut apparaître comme totale (A) ou partielle (B).
A – L’inopposabilité totale
Les moyens développés par l’employeur pour obtenir une décision d’inopposabilité du risque professionnel pris en charge sont de deux ordres, de forme et de fond.
Les moyens de fond consistent à remettre en cause le bien-fondé de la prise en charge de l’AT/MP, voire par la suite de sa rechute seule. Il s’agira par exemple en matière d’accident de contester les circonstances déclarées de sa survenance, ses conséquences ou encore les constatations médicales, surtout si elles sont imprécises. En matière de maladie, pourront être discutées les conditions administratives ou médicales prévues par les tableaux de maladies professionnelles, qui ne seraient pas remplies (par exemple sur la nature des travaux susceptibles de provoquer la maladie, sur la durée d’exposition au risque ou encore le délai de prise en charge de la pathologie). Nous n’irons pas plus loin sur les moyens de fond pouvant être invoqués, tant ils sont propres à chaque situation, étant toutefois précisé que c’est à l’employeur d’être en mesure de renverser la présomption d’imputabilité au travail de l’AT/MP, le juge du fond disposant d’un pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis. À cet égard, la pratique amène à recommander aux intéressés la plus grande précision lors de l’établissement de la déclaration d’accident ou de maladie, ainsi qu’en cas de réserves, et pour les praticiens lors de l’établissement du certificat médical initial.
Les moyens de forme sont relatifs à la procédure de reconnaissance de l’AT/MP ou de la rechute. Ils peuvent être développés alternativement ou cumulativement avec les moyens de fond. Les principaux moyens de forme, découlant de l’application des articles R. 441-10 à R. 441-14 du Code de la sécurité sociale que la caisse doit respecter à l’endroit de l’employeur, sont les suivants :
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l’envoi du double de la déclaration d’accident du travail ou de rechute que le salarié lui a directement adressée7 ;
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l’envoi d’un questionnaire ou la réalisation d’une enquête en cas de réserves motivées de l’employeur, à moins qu’une décision de prise en charge d’emblée soit intervenue avant la formulation des réserves8 ;
-
l’information donnée lorsque l’instruction sur la maladie a lieu sur une autre pathologie ou un autre tableau de maladies professionnelles, que celui visé dans la demande de prise en charge9 ;
-
l’information de la nouvelle procédure d’instruction en cas de reprise d’une instruction10 ;
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la saisine obligatoire du comité régional de reconnaissance de maladies professionnelles (CRRMP), dès lors que les conditions de l’instruction de la pathologie déclarée le nécessitent11 ;
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la nécessité d’une lettre d’information de la clôture de l’instruction précisant la nature de la maladie, sa désignation au tableau des maladies professionnelles et la possibilité de venir consulter le dossier12 ;
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l’information préalable sur la possibilité de prendre connaissance du dossier constitué, dans un délai raisonnable (dix jours), avant la saisine envisagée du CRRMP, la caisse étant liée par son avis13 ;
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l’octroi d’un délai d’au moins dix jours francs pour venir consulter le dossier de la procédure et faire part le cas échéant de ses observations avant la prise de décision prévue par la caisse, étant précisé que la caisse n’est pas tenue de faire droit à la demande de l’employeur de lui en délivrer copie14 ;
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la nécessité d’appeler l’employeur sur la procédure amiable (et aussi judiciaire) en cas de refus de prise en charge, afin que l’éventuelle décision ultérieure de prise en charge lui soit opposable ;
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l’information après la consultation du dossier s’il y est ajouté une pièce nouvelle15.
Ces différentes règles contribuent au respect du principe du contradictoire, tel qu’il est couramment dénommé, sans être confondu avec le principe du même nom rencontré dans les contentieux juridictionnels. Le manquement à ces règles faisant grief est sanctionné par l’inopposabilité de la décision de l’organisme social à l’égard de l’employeur, et non par la nullité des actes d’instruction, la procédure de reconnaissance d’un AT/MP ne relevant pas du Code de procédure civile16.
B – L’inopposabilité partielle
L’inopposabilité que l’on qualifie de partielle permet à l’employeur de ne pas supporter tous les effets de la prise en charge de l’AT/MP ou de la rechute, mais de limiter, d’une part les indemnités journalières, frais médicaux divers et pharmaceutiques pris en charge, et d’autre part, le montant du capital (ou de la rente) versé. En fonction de la situation de contribution dans laquelle se trouve l’employeur pour le financement des AT/MP, il aura intérêt ou non à rechercher cette inopposabilité partielle (v. infra II).
Dans l’hypothèse d’une rechute d’accident ou de maladie qui donne lieu à une décision particulière, l’inopposabilité recherchée par l’employeur pourra aussi être partielle, à condition, comme pour l’inopposabilité totale, que le risque initial lui soit opposable (il n’y a pas d’opposabilité possible pour la rechute si l’AT/MP est inopposable à l’employeur17).
De façon générale, les moyens soulevés pour parvenir à une inopposabilité partielle sont d’ordre médical.
L’employeur va pouvoir contester devant le tribunal des affaires de sécurité sociale l’opposabilité de la prise en charge des indemnités journalières, frais médicaux divers et pharmaceutiques, sans conséquence sur les droits reconnus de la victime en raison de l’indépendance des rapports (victime/caisse ; employeur/caisse). En pratique, l’exclusion de prise en charge demandée par l’employeur s’appuie de manière assez systématique sur la contestation des indemnités journalières (jours d’arrêts de travail), et par voie de conséquence sur les autres dépenses d’ordre médical ou pharmaceutique rattachées à la même période. En effet l’employeur n’a connaissance, par la force des choses, que des arrêts de travail, même s’il faut garder à l’esprit qu’une victime peut avoir repris le travail en continuant de bénéficier de la prise en charge AT/MP, ce tant qu’elle n’a pas été déclarée consolidée ou guérie.
L’employeur pourra se voir déclarer inopposable des indemnités journalières imputées à l’AT/MP ou à sa rechute, s’il apparaît de manière évidente, selon les pièces versées aux débats, que les prolongations d’arrêts de travail ne sont pas en lien avec les lésions causées par l’accident ou la pathologie d’origine professionnelle pris en charge.
À défaut de pouvoir établir de manière évidente l’inopposabilité à partir des pièces médicales versées aux débats, le plus souvent produites par la caisse, l’employeur pourra demander une expertise médicale qui l’aidera à combattre la présomption d’imputabilité, s’il justifie toutefois auprès du juge d’un doute objectif permettant d’envisager l’inopposabilité des indemnités journalières et autres frais qui lui sont a priori opposables. D’une manière générale, la possibilité pour l’employeur de solliciter une expertise judiciaire pourra lui être reconnue lorsqu’il entend contester un élément d’ordre médical à partir de doutes sérieux. Ainsi une expertise médicale pourra être ordonnée en cas, par exemple, d’état antérieur établi pour lequel il y aurait matière à s’interroger sur le point de savoir s’il n’a pas évolué pour son propre compte ou encore si la durée des arrêts de travail apparaît particulièrement excessive dans les circonstances de l’espèce, eu égard à des durées moyennes préconisées, aussi bien par la caisse nationale d’assurance maladie que par la littérature médicale.
L’expertise ordonnée dans ce cadre repose sur les règles de droit commun du Code de procédure civile. Elle est différente de l’expertise médicale, technique, prévue aux articles L. 141-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, qui se déroule selon une procédure spéciale concernant exclusivement les contestations d’ordre médical relatives à l’état de la victime ou d’un malade en général (hors champ AT/MP) exclusivement dans ses rapports avec la caisse.
L’expertise dans le contentieux de l’inopposabilité s’effectue sur pièces, hors examen de la victime qui n’est pas partie à la procédure. Le coût de l’expertise est en principe mis à la charge de la partie qui succombe.
La seconde voie pour parvenir à une inopposabilité partielle des conséquences de la prise en charge d’un AT/MP concerne le contentieux dit technique, relatif à l’état d’incapacité permanente de travail, pour ce qui est du taux de cette incapacité. La compétence juridictionnelle est à ce jour celle du tribunal du contentieux de l’incapacité, mis à part pour le domaine agricole relevant de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale. Comme pour la durée de la prise en charge de l’AT/MP, le taux d’incapacité opposable à l’employeur pourra être inférieur à celui reconnu à la victime en raison de l’indépendance des rapports. Avec l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, le contentieux technique du tribunal du contentieux de l’incapacité doit revenir avec celui du tribunal des affaires de sécurité sociale au tribunal de grande instance, dans une composition échevinale reprenant celle du tribunal des affaires de sécurité sociale18.
II – Les conséquences financières de l’inopposabilité
L’inopposabilité de l’AT/MP peut avoir des effets financiers en ce qui concerne la tarification du risque professionnel (A), ainsi qu’en matière de contentieux sur la faute inexcusable où la question de l’inopposabilité peut être à nouveau posée (B).
A – La tarification des AT/MP et l’employeur
La branche AT/MP est l’une des quatre grandes branches qui structurent la sécurité sociale d’un point de vue fonctionnel, à côté de la branche maladie, invalidité, maternité et décès, de la branche vieillesse et de la branche famille. Elle est uniquement financée par des cotisations à la charge exclusive des employeurs, calculées à partir d’un taux sur les salaires, fixé annuellement, qui tient compte des risques encourus dans l’entreprise. Les articles L. 242-5 à L. 242-7-1, R. 242-6 à R. 242-6-3 et D. 242-6 à D. 242-6-23 du Code de la sécurité sociale définissent les règles applicables.
Le financement des risques professionnels est fondé sur un système assurantiel en raison du lien recherché entre le risque et le coût. Ce lien est tel que par principe la cotisation AT/MP est définie par établissement, à moins que l’entreprise, si elle ne relève pas d’une tarification collective demande à bénéficier d’un taux unique pour ses établissements appartenant à la même catégorie de risque, auquel cas son choix est irrévocable. Dès lors, en cas de fermeture d’un établissement, aucune opposabilité du risque professionnel pris en charge ne sera possible, puisqu’il n’y aura pas de tarification possible. Faut-il y voir une forme d’inopposabilité ?
La tarification des AT/MP prend en compte la taille de l’entreprise, ce qui permet d’éviter que les plus petites entreprises paient plus lourdement les conséquences d’un seul accident. Elle peut donner lieu à différents contentieux qui n’entrent pas dans le champ de notre sujet (classement des établissements, calcul des taux, recouvrement).
Trois types de tarification sont prévus, qui se présentent sommairement de la manière suivante19 :
1. Une tarification collective pour les entreprises dont l’effectif global est de moins de 20 salariés. Cette tarification s’applique également à certains établissements dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé de la Sécurité sociale, lesquels devaient relever en raison de leurs effectifs de l’un des deux autres modes de tarification20. Un taux brut collectif est calculé par risque ou groupe de risques en fonction de la valeur du risque des établissements concernés et de leur masse totale des salaires, pour les trois dernières années connues. La valeur du risque comprend les dépenses liées aux AT/MP reconnus, telles que définies à l’article D. 242-6-5 du Code de la sécurité sociale, à l’exclusion notamment des accidents de trajet ou de certaines dépenses inscrites à un compte spécial. Ensuite, le taux net de cotisation, arrêté par le ministre en charge des Affaires sociales, est constitué du taux brut et des quatre majorations applicables de l’article D. 242-6-9 du Code de la sécurité sociale.
2. Une tarification individuelle au taux réel pour les entreprises dont l’effectif global est au moins égal à 150 salariés. Un taux brut individuel est calculé par établissement d’après la valeur de son risque et de sa masse salariale, pour les trois dernières années connues. La valeur du risque comprend les dépenses liées aux AT/MP reconnus, telles que définies aux articles D. 242-6-6 et D. 242-6-7 du Code de la sécurité sociale, à l’exclusion notamment des accidents de trajet ou de certaines dépenses inscrites à un compte spécial. Ensuite, le taux net de cotisation, dont la variation est encadrée d’une année sur l’autre, est déterminé par les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) qui ajoutent au taux brut les quatre majorations applicables de l’article D. 242-6-9 du Code de la sécurité sociale.
3. Une tarification mixte pour les entreprises dont l’effectif global est compris entre 20 et 149 salariés. Cette tarification mise en œuvre par les CARSAT combine les deux premiers types de tarification de manière progressive pour éviter les effets de seuil, selon les modalités définies à l’article D. 242-6-13 du Code de la sécurité sociale.
Ainsi, pour les entreprises (ou établissements) concernées par ces deux dernières modalités de tarification (individuelle et mixte) le contentieux de l’inopposabilité présente un intérêt tout particulier pour la détermination de la valeur de leur risque, c’est-à-dire in fine du taux de cotisation AT/MP applicable à la totalité du salaire (absence de plafonnement).
B – La situation en cas de recherche de la faute inexcusable
La faute inexcusable prévue à l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale est définie de la manière suivante par la Cour de cassation, à savoir, « qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail, et que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (…) »21.
La reconnaissance d’une faute inexcusable intervient en principe après la prise en charge par la caisse du risque professionnel. La recherche de la faute inexcusable permet à la victime ou le cas échéant à ses ayants droit d’obtenir une indemnisation qui excède le cadre limité prévu par la législation sur les risques professionnels depuis ses origines (1898), lequel a été conçu comme étant la contrepartie de l’institution de la présomption d’origine professionnelle du risque AT/MP. En effet, pour la faute inexcusable, la situation est bien différente, le cadre d’indemnisation qui est ouvert à l’ensemble des préjudices subis, sous réserve de ce qui est indemnisé par le capital ou la rente, est justifié au regard de la faute particulière de l’employeur qui doit être prouvée par la victime.
Les liens entre la faute inexcusable et le risque professionnel se concentrent avant tout sur le rapport de matérialité exigé : aucune faute inexcusable ne peut être reconnue si le caractère professionnel de l’AT/MP, se trouvant contesté, n’est pas établi.
D’un point de vue procédural, c’est l’indépendance qui prévaut entre la reconnaissance de la faute inexcusable et la décision de prise en charge du risque professionnel. Ainsi l’inopposabilité à l’employeur de la décision de prise en charge du risque professionnel ne prive pas la victime de son droit de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur, qui doit toutefois être appelé dans la cause.22
Dans un arrêt de 2008, la Cour de cassation a jugé que « la reconnaissance de la faute inexcusable n’implique pas que l’accident ait été pris en charge comme tel par l’organisme social (…) »23, et plus récemment, la haute juridiction a eu l’occasion de souligner que la décision de prise en charge de la caisse « est sans incidence sur l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur »24.
Dans le contentieux de la faute inexcusable, la question de l’inopposabilité est susceptible de donner lieu à un nouvel examen du caractère professionnel du risque déclaré.
En effet, à la suite d’une décision de prise en charge opposable à l’employeur, il lui est reconnu la possibilité d’en contester le caractère professionnel lorsque sa faute inexcusable est recherchée25. La solution dégagée, préservant le droit pour l’employeur de contester le caractère professionnel de l’AT/MP, est d’autant plus forte qu’il sera recevable à soulever le moyen d’inopposabilité, alors même que la décision motivée de prise en charge lui a été notifiée conformément aux prescriptions de l’article R. 441-14 du Code de la sécurité sociale, sans qu’il ne l’ait contestée dans le délai imparti.
Par ailleurs, en cas de maladie professionnelle, le dernier employeur, à qui en principe la décision de prise en charge est opposable, doit pouvoir en contester l’imputabilité en démontrant qu’elle n’a pas été contractée à son service, lorsqu’une faute inexcusable lui est reprochée ou si les cotisations d’accident du travail afférentes à cette maladie sont inscrites à son compte26.
À moins de remettre en cause la décision de prise en charge de l’AT/MP pour des raisons tenant à la tarification du risque professionnel, l’employeur n’a donc pas intérêt à contester le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie retenu par la décision de la caisse au moment où elle lui est notifiée, même s’il devait craindre une action en recherche de sa faute inexcusable, sauf à considérer que la meilleure défense serait l’attaque. Mais alors il devra penser à mettre en cause la victime, s’il veut parvenir à une inopposabilité complète du risque professionnel, c’est-à-dire qui empêche la victime (le cas échéant les ayants droit) de voir prospérer ultérieurement une action en reconnaissance de la faute inexcusable.
En effet, en raison de l’indépendance des rapports salarié/victime, salarié/employeur et aussi salarié/employeur en matière de risques professionnels, le fait que l’AT/MP « ne soit pas établi entre la caisse et l’employeur ne prive pas la victime du droit de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, la juridiction étant en mesure, après débat contradictoire, de rechercher si la maladie à un caractère professionnel (…) »27.
À ce stade, il convient maintenant d’évoquer les dispositions de l’article L. 452-3-1 du Code de la sécurité sociale, introduit par la loi n° 2012-1404, venant compléter l’indépendance de la reconnaissance de la faute inexcusable de la prise en charge de l’AT/MP. L’article L. 452-3-1 dispose que : « Quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation par celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3 ».
Désormais, dans une procédure en faute inexcusable engagée à compter du 1er janvier 2013 (date d’entrée en vigueur de ces dispositions), les manquements de la caisse à ses obligations d’information envers l’employeur au cours de l’instruction du dossier (qui a pu avoir lieu avant 2013) ne permettront pas de lui rendre inopposables les sommes prévues aux articles L. 452-1 à L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, qui correspondent aux indemnisations complémentaires susceptibles d’être versées à la victime et aux ayants droit le cas échéant (majoration du capital ou de la rente, indemnité forfaitaire, réparation de préjudices non compris dans la rente) en cas de reconnaissance de la faute inexcusable. En revanche, concernant les prestations de base, payées par la caisse au titre de l’AT/MP (indemnités journalières, frais médicaux et pharmaceutiques, capital ou rente non majorée), elles pourront être déclarées inopposables à l’employeur, ce qui présentera un intérêt au regard de la tarification du risque professionnel à laquelle il est soumis, s’il y a lieu de sanctionner un manquement à son droit à l’information et si l’employeur a contesté la décision de la caisse dans le délai de deux mois à compter de sa notification sous peine de forclusion (v. supra I).
Ainsi donc, l’employeur est recevable lors du procès en reconnaissance de sa faute inexcusable, nonobstant le caractère définitif de la décision de prise en charge, à contester le caractère professionnel de l’accident, de la maladie ou de la rechute, qui s’il n’est pas établi empêchera toute reconnaissance de faute inexcusable. Cette interprétation vient ôter tout caractère sérieux aux critiques d’inconstitutionnalité de l’article L. 452-3-1 du Code de la sécurité sociale quant à l’égalité devant la loi et la justice, le droit à un recours juridictionnel effectif ou encore les droits de la défense28.
Notes de bas de pages
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1.
La Caisse primaire d’assurance maladie au titre du régime général.
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2.
Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-17648.
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3.
Cass. 2e civ., 19 déc. 2013, n° 12-25661.
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4.
Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-15101.
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5.
Cass. 2e civ., 17 sept. 2009, n° 08-18151.
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6.
Cass. 2e civ., 20 déc. 2012, n° 11-26621.
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7.
Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, n° 05-20349.
-
8.
Cass. 2e civ., 5 avr. 2007, n° 06-10017.
-
9.
Cass. 2e civ., 17 sept. 2009, n° 08-18703.
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10.
Cass. 2e civ., 7 nov. 2013, n° 12-25334.
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11.
Cass. 2e civ., 7 juill. 2011, n° 10-21391.
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12.
Cass. 2e civ., 13 mars 2014, n° 13-12509.
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13.
Cass. 2e civ., 23 janv. 2014, n° 12-29420.
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14.
Cass. 2e civ., 5 avr. 2007, n° 06-13663.
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15.
Cass. 2e civ., 23 janv. 2003, n° 01-20260.
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16.
Cass. 2e civ., 18 oct. 2005, n° 04-30251.
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17.
Cass. 2e civ., 20 janv. 2012, n° 10-28570.
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18.
L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, art. 12, de modernisation de la justice du XXIe siècle.
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19.
V. pour plus de précisions, Lamy protection sociale 2016, nos 1862 et s.
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20.
Article D 242-6-14 du Code de la sécurité sociale, et pour illustration l’arrêté du 21 déc. 2015 fixant les tarifs des cotisations AT/MP relevant du régime général pour 2016, JO du 22 déc. 2015.
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21.
Cass. ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30038.
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22.
Cass. 2e civ., 5 juill. 2005, n° 04-30164.
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23.
Cass. 2e civ., 20 mars 2008, n° 06-20348.
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24.
Cass. 2e civ., 26 nov. 2015, n° 14-26240.
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25.
Cass. 2e civ., 5 nov. 2015, n° 13-28373.
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26.
Cass. 2e civ., 19 déc. 2013, n° 12-19995.
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27.
Cass. 2e civ., 16 juin 2011, n° 10-19486.
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28.
Cass. 2e civ., 30 juin 2016, n° 16-40210.