La parole des DRH comme prise de pouls du contexte socio-économique
À travers sa dernière enquête, l’ANDRH a communiqué le 14 novembre dernier sur les grandes tendances qui traversent les services RH : croissance en berne, impact de l’IA, du télétravail ou encore de l’inclusivité, gros plan sur les résultats.
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Dans un contexte économique morose, les entreprises membres de l’ANDRH s’affichent prudentes : si 15 % se disent en forte croissance, 41 % sont en croissance modérée, 23 % stagnent, tandis que 16 % font face à une décroissance modérée. Résultat : « il n’y a pas de tendance forte qui se dégage », analyse Audrey Richard, présidente de l’ANDRH, mais suffisamment de craintes néanmoins pour que les entreprises fassent des ajustements. Leur première solution ? « Geler les recrutements » en CDD et in fine CDI (à 55 %). Le but est de « tenir la masse salariale », quitte à reporter les recrutements, y compris l’alternance et les stages, et même, en dernier recours, le recours à l’intérim. Pour Benoît Serre, vice-président, les problèmes qui ont précédé la dissolution de l’Assemblée nationale ne se sont pas dissous, eux, évoquant un agenda riche : emploi des seniors, problématiques propres aux RH, conséquences sociales de l’IA ou conditions de travail… D’autant plus dans un contexte où, le prédit Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, les dizaines de PSE en perspective menaceraient jusqu’à 200 000 emplois. « On rentre dans une phase vraiment difficile », a-t-il acté.
Plusieurs sujets apparaissent d’autant plus vivement pour les entreprises : d’après les remontées du terrain, les DRH en appellent à la simplification administrative. « Complexité administrative, multiplication des contrôles, instabilité des textes, sans oublier la jurisprudence : les entreprises demandent qu’on leur simplifie la vie », a résumé Benoît Serre. Face aux « nouveaux modes d’organisation » qui se fracassent sur le Code du travail et la directive travail européenne, les pays du Nord de l’Europe parviennent davantage à adapter leurs organisations.
Autre sujet de préoccupation : l’emploi des seniors, au cœur des négociations syndicales et patronales de novembre. Les attentes fortes demeurent. Si Benoît Serre souligne une légère amélioration du taux d’emploi des seniors, c’est davantage par le maintien dans l’emploi que par une politique claire de recrutement en leur faveur, ce taux restant largement insuffisant : 58,4 % des personnes âgées de 55 à 64 ans avaient en emploi en 2023.
Troisième sujet : la transition professionnelle. Les transformations du monde du travail (IA, organisation, temporalité…) sont profondes et multiples. Les métiers sont touchés, les compétences aussi, et donc la formation, initiale comme continue, est également concernée. « Le projet de transition professionnelle, sur le papier, est très pertinent », a reconnu Benoît Serre, même s’il existe deux débats : la complexité du système de financement (la formation obligatoire consomme 80 % du budget de la formation, ne laissant quasiment rien pour les formations en lien avec les métiers spécifiques de l’entreprise) et la question autour du financement des contrats d’alternance/apprentissage (1 million d’entre eux), mais qui coûte quasiment 12 milliards. Alors que le taux de transformation est de 70 %, ce qui en fait un « vrai outil vers l’emploi », le contexte de rigueur budgétaire laisse entrapercevoir plusieurs hypothèses : une baisse des aides ou la réservation des aides aux plus petites entreprises.
L’IA, au cœur des transformations
Dix ans après l’entrée de l’IA générative dans le monde de l’entreprise, Laurence Breton-Kueny, vice-présidente, estime que « l’on voit notre rôle évoluer au sein des organisations ». 35 % des DRH indiquent l’existence, dans leur organisation, de projets liés à l’IA. 15 % ont déjà mis en place des formations IA pour certains métiers et 8 % pour tous les métiers. Côté salariés, 60 % d’entre eux ont déjà utilisé l’IA générative avec des données professionnelles (type ChatGPT). À ce titre, certains services ont mis en place des chartes particulières, annexées au règlement intérieur, concernant leur responsabilité dans la sécurisation des datas professionnelles produites, a-t-elle glissé. Citant une étude du FMI, elle a rappelé que 60 % des métiers dans les pays à revenus élevés seront impactés par l’IA, ce qui place les services RH au cœur des plans de transformation, basés sur les métiers en croissance, en décroissance ou en stagnation. Directement liée, la reconversion professionnelle est un « vrai sujet ». Prise en charge du financement de la formation, maintien de salaire pour le salarié en formation et mise en relation entre entreprises demandeuses et bénéficiaires sont les trois attentes prioritaires des DRH. Sur les contrats apprentissage, le consensus est presque total : 94 % aimeraient que cette barrière de l’âge (35 ans) saute. Benoît Serre précise que si l’on opte pour un modèle de reconversion à tout âge, il serait pertinent que les financements soient tournés en priorité vers les métiers du futur. Sur l’emploi senior, les entreprises les conservent mieux car elles ont mis en place des actions : aménagement temps et conditions de travail (accès à la retraite progressive dès 60 ans, aujourd’hui encore trop peu utilisée) ; politique de prévention de lutte contre l’usure professionnelle pour les métiers pénibles. En l’absence de texte, « les entreprises ont créé leur propre système », constate-t-il. Enfin, sur le mentorat inversé, il s’agit simplement « d’organiser la cohabitation des générations ».
La négociation actuelle est d’autant plus importante qu’un salarié de 57 ans mettra trois fois plus de temps à retrouver un emploi. D’où l’idée du CDI senior (initiée par l’ANDRH), considéré par 77 % des DRH comme un outil pertinent. A priori, il garantira l’emploi jusqu’à la date où le salarié atteint son taux plein (mais les services RH ignorent cette information, ce qui est absurde, déplore-t-il). À cette date, le collaborateur pourra partir ou l’entreprise pourra décider d’interrompre le contrat. « Il faut trouver le bon équilibre entre faciliter l’embauche de ces profils, ne pas mettre en place un système trop contraignant (au risque que les entreprises n’y aient pas recours) ou trop lâche (pour éviter l’effet aubaine) ».
Quand le social se frotte au monde de l’entreprise
Les questions qui traversent les citoyens concernent aussi le monde de l’entreprise. Ainsi, 28 % des répondants indiquent que les difficultés d’accès au logement dans la région visée est un frein au recrutement (notamment en Bretagne et en PACA). À l’heure où les entreprises se préparent aux NAO, « on sait que certaines entreprises ont baissé les budgets pour aller vers une prise en charge du logement », glisse Audrey Richard.
Concernant la santé et les conditions de travail, 26 % des DRH proposent des activités spécifiques par catégorie de salariés (prévention primaire ; prévention tertiaire, accompagnement individualisé). Sur l’absentéisme, il est passé de 5,66 % à 5,06 %. Mais ce taux varie et est plus important « dans les métiers d’aide à la personne que pour les activités de services », et « plus élevés en région qu’à Paris ». 42 % des services RH ont fait de la santé un sujet de travail. Car dans cette période de gel des embauches, « avoir l’ensemble de la force de travail présente est important, au risque d’une charge de travail supplémentaire », précise Laurence Breton-Kueny.
En revanche, sur la question du handicap, Audrey Richard s’est dit « déçue » des résultats de l’enquête. Si les entreprises portent une attention particulière à l’inclusion, la diversité des profils, la santé physique et mentale, « sur le handicap, le compte n’y est pas ». Seuls 42 % des services ont mis en place des actions, et pour 29 %, le sujet est en cours de réflexion. « Il y a un travail à faire pour mobiliser notre communauté », a acté la présidente, rappelant les chiffres Agefiph : 29 % des entreprises seulement atteignent les objectifs des 6 % de travailleurs en situation de handicap avec 3,5 % dans le privé, et 5,45 % dans le public.
Pour la première fois, l’ANDRH a interrogé sur la monoparentalité : face à une réalité de terrain, 40 % des répondants ont mis en place des actions pour ce public, ce qui est « assez significatif » (flexibilité des horaires, télétravail, congés supplémentaires…). Selon le rapport du Fonds « Femmes et avenir », 20,3 % des familles monoparentales (70 % sont dirigées par un parent sans emploi) vivent sous le seuil de pauvreté contre 6,6 % de familles pauvres quand elles comptent deux parents.
Dernier sujet soulevé : les relations avec les prestataires. Lors des Assises du travail en 2023, les accidents graves et mortels avaient été pointés du doigt. « Ils sont encore plus fréquents parmi les prestataires », met en garde Audrey Richard qui les qualifie d’« oubliés » : 15 % des RH ont ainsi mis en place des actions pour favoriser les conditions de travail des prestataires (horaires, TT…), comme c’est le cas de techniciens de surface qui travaillent moins en horaires décalés.
Référence : AJU016i2