La réforme de l’activité partielle

Publié le 09/04/2020

Recourir au chômage partiel (« activité partielle ») ne peut se faire que sous certaines conditions, avec des répercussions financières, et nécessite une autorisation administrative. Ceci concerne notamment la crise sanitaire sans précédent de lutte contre la propagation du virus Covid-19. Le décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l’activité partielle réforme le régime juridique de l’activité partielle dans le contexte de cette crise sanitaire. L’ancien dispositif et le nouveau semblent coexister sur fond de principe de non-rétroactivité de la loi.

L’ancien dispositif d’activité partielle (avant le décret du 25 mars 2020)

 Les motifs initiaux de recours à ce dispositif

Le recours par l’employeur au chômage partiel (« activité partielle ») est traditionnellement admis dans les cas où l’entreprise se trouverait contrainte, pour un temps, de réduire l’activité ou de la suspendre, pour des motifs limitativement énumérés par le Code du travail, qui sont les suivants (C. trav., art. R. 5122-1) :

  • la conjoncture économique,

  • des difficultés d’approvisionnement en matières premières ou en énergie,

  • un sinistre ou des intempéries de caractère exceptionnel, par exemple des inondations et coulées de boues ou des événements naturels « d’intensité anormale »,

  • la transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise,

  • ou toute autre circonstance de caractère exceptionnel.

La lutte contre la propagation du virus Covid-19 est manifestement une circonstance de sinistre de caractère exceptionnel.

On se situe principalement hors du cadre des conflits collectifs de travail (C. trav., art. R. 5122-8 ancien).

Face à la suspension ou à la réduction des activités de travail, les salariés peuvent subir une baisse de rémunération. Celle-ci peut résulter de la fermeture totale ou partielle du lieu de travail ou de la réduction du volume horaire de travail en-dessous de la durée légale. Dans de tels cas (C. trav., art. L. 5122-1 I), l’employeur peut classer les salariés en chômage partiel (« activité partielle »), ce qui entraîne des conséquences financières.

Les conséquences financières à l’origine

Dans ce cadre, les salariés, dont le contrat de travail est suspendu pendant les périodes d’inactivité, reçoivent de l’employeur une indemnité horaire (C. trav., art. L. 5122-1 II) correspondant à un pourcentage de leur rémunération antérieure (70 %), pourcentage qui pourra être majoré (100 %) du fait de l’accomplissement d’actions de formation pendant les périodes d’inactivité (C. trav., art. L. 5122-2). À temps plein, s’il n’est ni apprenti ni salarié temporaire, le salarié aura droit, au moins, à la rémunération mensuelle minimale (C. trav., art. L. 3232-1). Les sommes versées au salarié bénéficient d’un régime fiscal in favorem et sont cessibles et saisissables comme les salaires (C. trav., art. L. 5122-4). De son côté, l’employeur (C. trav., art. L. 5122-1 II et III) aura droit à une allocation spéciale financée par l’État et par l’organisme gestionnaire de l’assurance chômage, qui pourra éventuellement donner lieu à certains engagements de l’employeur en contrepartie. L’aide est soumise à une prescription annale (C. trav., art. L. 5122-1 IV).

L’indispensable autorisation administrative, expresse ou implicite

Pour cela, il lui faudra l’autorisation expresse ou implicite (C. trav., art. L. 5122-1 I) de l’administration.

Un arrêté (A. 24 juill. 2014, portant application du décret n° 2014-740 du 30 juin 2014 relatif à la mise en œuvre de la dématérialisation de la procédure de recours à l’activité partielle) et un décret n° 2014-740 du 30 juin 2014 régissent le contrôle de la validité et de la régularité du recours au chômage partiel, contrôle exercé selon une procédure dématérialisée par des organismes publics (les « DIRECCTE » ou « DIECCTE », directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ou directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, agissant par délégation du préfet et de l’Agence de services et de paiement). L’avis préalable du conseil économique et social devait être joint à la demande d’autorisation administrative, dans les cas où l’entreprise dispose d’un tel organe de représentation du personnel (cas des entreprises d’au moins 11 salariés). Toutefois, le chômage partiel peut toucher des salariés d’entreprises de toutes les tailles.

Dans ce contexte, des décrets d’une durée d’application limitée, tels que le décret n° 2013-309 du 12 avril 2013 portant modification des dispositions du Code du travail relatives à l’activité partielle de longue durée, peuvent entrer en ligne de compte.

Le ministre chargé de l’Emploi pouvait intervenir, par exemple, en cas de modernisation des installations et des bâtiments de l’entreprise, quant à la fixation du nombre d’heures indemnisables au titre de l’activité partielle, et ce conjointement au préfet du département et au directeur départemental des finances publiques, en cas de dépassement du contingent annuel d’heures indemnisables (C. trav., art. R. 5122-7 ancien).

Les dispositions exprimées de lutte contre la propagation du virus Covid-19 s’analyseraient-elles comme une autorisation administrative expresse voire implicite ?

Selon l’annonce du ministère du Travail, à titre dérogatoire, dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19, l’administration accepterait des demandes d’autorisation de mise en place du chômage partiel dans un délai de 30 jours, au lieu de 15, avec effet rétroactif. Dans ce cadre, un décret spécifique était attendu, qui s’accompagnerait d’un dispositif similaire de chômage partiel pour les personnes employées à domicile. Le décret du 25 mars 2020 (D. n° 2020-325, 25 mars 2020) relatif à l’activité partielle, qui entre en vigueur immédiatement, se conforme au principe de non-rétroactivité de la loi.

Le nouveau dispositif d’activité partielle(D. n° 2020-325, 25 mars 2020)

Avec le nouveau dispositif, les motifs de recourir à l’activité partielle sont les mêmes. La réforme est axée sur un certain formalisme et modernise les aspects financiers de l’activité partielle, tout en respectant le principe de non-rétroactivité de la loi.

Le formalisme du nouveau décret

Le décret autorise l’employeur à transmettre l’avis du comité social et économique, s’il en existe dans l’entreprise, dans un délai de deux mois au plus à compter de la demande de placement en activité partielle (C. trav., art. R. 5122-2, al. 6 nouveau).

Désormais, non seulement en présence de circonstance de caractère exceptionnel, mais encore si l’activité est suspendue à cause d’un sinistre ou d’intempéries, le délai de demande d’activité partielle est porté de quinze à trente jours à compter du placement des salariés de facto en activité partielle, non pas uniquement par voie dématérialisée mais « par tout moyen donnant date certaine » à la réception de la demande (C. trav., art. R. 5122-3).

Auparavant, l’article R. 5122-7 du Code du travail prévoyait, pour le cas de modernisation des installations et des bâtiments de l’entreprise, la possibilité pour le ministre chargé de l’Emploi de fixer le nombre d’heures pouvant être indemnisées au sein du contingent annuel d’heures indemnisables, cette limite pouvant être dépassée seulement dans des cas exceptionnels de situation particulière de l’entreprise, en coordination avec le préfet du département et le directeur départemental des finances publiques. Désormais, cette faculté est réservée uniquement au cas d’activité partielle justifiée par la transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise (C. trav., art. R. 5122-7 nouveau).

Il est toujours prévu que le système d’activité partielle est exclu si la baisse ou la cessation d’activité relève d’un conflit collectif de travail au sein de l’établissement d’emploi, le ministre chargé de l’Emploi pouvant octroyer des indemnités et allocations en cas de fermeture de plus de trois jours de l’entreprise ou d’un service par l’employeur, suite à une grève (C. trav., art. R. 5122-8 nouveau). Toutefois, les restrictions du droit à l’activité partielle des salariés en forfait heures ou en forfait jours sur l’année sont supprimées.

L’autorisation d’activité partielle est portée de six mois renouvelables à douze mois renouvelables (C. trav., art. R. 5122-9, I).

Toujours, lorsque l’employeur a, préalablement à sa demande, déjà placé ses salariés en activité partielle au cours des trente-six mois précédant la date de dépôt de la demande d’autorisation, l’autorisation administrative de placement en activité partielle comporte des engagements spécifiques pour l’employeur (C. trav., art. R. 5122-9, II).

Le délai, initialement de quinze jours, à l’expiration duquel l’autorisation administrative implicite était établie en l’absence de réponse de sa part, est ramené à deux jours (C. trav., art. R. 5122-17). Le délai, très court, appelle l’attention sur la question de l’avis du conseil social et économique transmis dans un délai de deux mois et sur la nécessaire célérité du contrôle.

Le nouveau décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l’activité partielle prévoit l’ajout de mentions propres à l’activité partielle au bulletin de paie (C. trav., art. R. 3243-1, I, 1°, nouveau).

La réforme ajoute des catégories de données à caractère personnel enregistrées par l’Agence de services et de paiements pour l’organisation de l’activité partielle et l’élaboration données statistiques et financières (C. trav., art. R. 5122-21).

Les conséquences financières, réformées

Le nouveau décret se veut novateur en ce qui concerne l’indemnité des salariés et l’allocation aux employeurs.

Sauf pour les salariés en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, le taux horaire de l’allocation d’activité partielle du salarié est de 70% de la rémunération horaire brute, d’au moins 8,03 euros, et ne saurait excéder 4,5 fois le taux horaire du salaire minimum interprofessionnel de croissance (C. trav., art. D. 5122-13 nouveau).

Comme auparavant, le paiement direct (C. trav., art. R. 5122-16), par l’Agence de services et de paiement, de l’allocation d’activité partielle aux salariés, en cas de difficultés financières, comme par exemple le redressement ou la liquidation judiciaire de l’employeur, ou bien pour les travailleurs à domicile habituellement employés par plusieurs employeurs, peut être organisé à l’initiative du préfet ou de la DIRECCTE. Dans ce cas, c’est l’Agence de services et de paiement qui remet un document portant les mentions supplémentaires au bulletin de paie aux salariés (C. trav., art. R. 5122-17).

Désormais, pour le calcul de l’allocation d’activité partielle aux salariés en forfait heures ou en forfait jours, il est pris compte, non seulement des jours de fermeture de l’établissement (C. trav., art. R. 5122-19 ancien), mais encore des jours de réduction de l’horaire de travail pratiquée dans l’établissement en proportion de cette réduction (C. trav., art. R. 5122-19 nouveau).

Le taux horaire d’activité partielle à Mayotte, qui était dérogatoire (C. trav., art. D. 5522-87), est abrogé par ce nouveau décret. Les nouvelles dispositions du nouveau décret s’appliquent donc à Mayotte.

Le taux horaire de l’allocation d’activité partielle versée à l’employeur est fonction, pour chaque salarié autorisé à être placé en activité partielle, d’un pourcentage de la rémunération horaire antérieure brute (C. trav., art. R. 5122-12).

La non-rétroactivité du nouveau décret

Il n’est pas contesté que conformément à l’article 2 du Code civil, la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif. Cette absence de rétroactivité est strictement respectée par le nouveau décret entré en vigueur le 25 mars 2020.

Ainsi, l’article 2, I, du nouveau décret dispose qu’il s’applique aux demandes adressées ou renouvelées à l’Agence de services et de paiement à compter de son entrée en vigueur immédiate au 25 mars 2020 (D. n° 2020-325, 25 mars 2020, art. 3), quant à la mise en place de l’activité partielle des salariés depuis le 1er mars 2020. À titre dérogatoire, le nouveau décret tolère l’omission des nouvelles mentions sur les documents d’activité partielle remis par l’employeur aux salariés, pour une durée de douze mois à compter de son entrée en vigueur (D. n° 2020-325, 25 mars 2020, art. 2, II, du nouveau décret).

Conformément au principe de principe de non-rétroactivité de la loi, on serait en présence de deux régimes juridiques distincts pour la demande d’autorisation administrative d’activité partielle : d’une part, le régime des demandes adressées antérieurement au 25 mars 2020 ; d’autre part, celui des demandes « adressées ou renouvelées » à compter de cette date. Il y aurait donc une probable opportunité à décider ou non de procéder à la demande d’autorisation ou au renouvellement de cette demande à compter du 25 mars 2020, sur la base de considérations financières. Dans ce cadre, la chronologie de la procédure de mise en place de l’activité partielle, notamment par rapport à l’articulation des différents délais, semble décisive. Le décret se présente comme actant une modernisation pérenne de l’activité partielle.

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