La rigueur des écritures en matière d’appel prud’homal

Publié le 20/06/2024
La rigueur des écritures en matière d’appel prud’homal
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Selon l’article 910-4 du Code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité, les parties doivent présenter, dès les premières conclusions, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. Méconnaît cette disposition la cour d’appel qui accueille une demande de nullité d’un licenciement aux motifs qu’elle tend aux mêmes fins que celle formée au titre d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et que l’obligation faite aux parties de présenter l’ensemble de leurs prétentions sur le fond, dès les conclusions mentionnées aux articles 908 à 910 de ce code, ne s’applique pas aux moyens qu’elles développent à l’appui de leurs prétentions, alors qu’elle constate que cette demande n’était pas présentée dans les premières conclusions du salarié.

Cass. soc., 28 févr. 2024, no 23-10295

« La forme, c’est le fond qui remonte à la surface »1.

La procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel oblige les parties à faire valoir par écrit leurs moyens et leurs prétentions. Il en résulte que le juge d’appel n’est valablement saisi que par des prétentions et moyens figurant dans des conclusions régulièrement déposées et signifiées. À ce titre, les écritures d’appel constituent une étape délicate de la procédure que les avocats des parties doivent parfaire. L’arrêt rendu le 28 février 2024 par la chambre sociale de la Cour de cassation, en matière prud’homale, en est une nouvelle illustration.

L’affaire concernait une salariée engagée en qualité de receveur de transport en commun le 13 novembre 2003 par la société Keolis. Le 26 février 2016, son contrat de travail est rompu pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de reclassement. Rappelons que la déclaration d’inaptitude intervient lorsque le médecin du travail, après avoir échangé avec le salarié et l’employeur2, constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste occupé n’est possible et que l’état de santé du salarié justifie un changement de poste3. Cet avis d’inaptitude oblige, en principe, l’employeur à proposer au travailleur un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel4. Toutefois, l’employeur est dispensé d’exécuter son obligation de reclassement en cas d’impossibilité de proposer un emploi de reclassement conforme aux exigences légales, en cas de refus par le salarié de l’emploi proposé dans les conditions imposées par le législateur ou lorsque l’avis du médecin du travail mentionne que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi5.

La salariée, accompagnée d’une organisation syndicale, saisit le conseil de prud’hommes d’une demande d’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle fait valoir que l’obligation de reclassement n’a pas été respectée par l’employeur. Le conseil de prud’hommes fait droit à sa demande et lui octroie la somme de 25 000 €. L’employeur interjette appel du jugement. En cause d’appel, la salariée intimée demande à titre principal de prononcer la nullité de la rupture de son contrat de travail compte tenu de sa qualité de travailleuse handicapée – le licenciement constituant alors une discrimination fondée sur l’état de santé – et à titre subsidiaire le prononcé d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’octroi de 45 000 € en réparation du préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l’emploi. L’employeur soulève en défense l’irrecevabilité de la demande de nullité du licenciement car celle-ci n’a pas été formulée dans les premières écritures mais seulement dans des conclusions ultérieures.

La cour d’appel de Lyon écarte l’argument de l’appelant6. Elle considère que la demande de nullité doit être accueillie puisqu’elle tend aux mêmes fins que celle formée au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et que l’obligation faite aux parties de présenter l’ensemble de leurs prétentions dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910 du Code de procédure civile (CPC) ne s’applique pas aux moyens qu’elles développent à l’appui de leurs prétentions.

Au soutien de son pourvoi, l’employeur argue que la demande de nullité d’un licenciement pour discrimination et la demande visant uniquement à la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse constituent des prétentions distinctes. Or, dans ses premières conclusions d’intimée, la salariée n’avait pas demandé réparation pour licenciement nul, de sorte que cette prétention était irrecevable. En somme, l’employeur invoquait une violation de l’article 910-4 du CPC. Saisie du pourvoi, la chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel. Elle accueille le moyen de l’employeur : si la salariée n’a pas invoqué dans ses premières conclusions la nullité du licenciement, cette prétention présentée dans des conclusions ultérieures n’est pas recevable.

La solution de la Cour de cassation est particulièrement intéressante en ce qu’elle donne des indications tant sur le contenant des prétentions des parties (I) que sur le contenu des conclusions des parties (II).

I – Le contenant des prétentions des parties

Parce qu’elle affirme qu’une prétention au fond n’est recevable qu’à la condition d’être présentée « dès les premières conclusions », la Cour de cassation en infère que la cour d’appel a violé l’article 910-4 du CPC alors « qu’elle avait constaté que dans ses premières conclusions du 31 mars 2020, la salariée n’avait pas demandé la nullité de son licenciement ». C’est la raison pour laquelle elle approuve l’analyse de l’employeur. Mais que faut-il comprendre par la notion de « premières conclusions » ? Pour y répondre, il faut d’abord porter le regard sur les différents actes accomplis par les parties pour introduire l’instance d’appel.

En matière prud’homale, comme en droit commun, l’appel peut être interjeté dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement7. L’appel est formé par déclaration unilatérale ou par requête conjointe8. La déclaration d’appel doit notamment préciser, depuis le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible9. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser que l’acte d’appel qui se contente de mentionner « appel général » ou « appel total » ne répond pas aux exigences de l’article 901, 4°, du CPC et est entaché d’irrégularité10. Dans une telle hypothèse, l’intimé pourrait obtenir la nullité de la déclaration d’appel11. Cette nullité, qui ne figure pas parmi la liste limitative de l’article 117 du CPC, ne peut être qu’une nullité pour vice de forme, charge à celui qui l’invoque de démontrer un grief. En outre, dans une situation comme celle-ci, une autre sanction est aussi applicable : la cour d’appel peut constater l’absence d’effet dévolutif et confirmer le jugement critiqué12.

Dans l’arrêt commenté, la déclaration d’appel ne semblait susciter aucune difficulté : l’employeur précisait les chefs du jugement qu’il souhaitait voir réformer, à savoir la condamnation par la juridiction prud’homale à payer à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et manquement à son obligation de reclassement. La déclaration formée par l’employeur valait donc demande d’inscription au rôle et entraînait la saisine de la cour13.

Des difficultés ont surgi sur l’orientation de l’affaire, qui suit ici une procédure avec mise en état. Dans ce cadre, l’article 908 du CPC prévoit que l’appelant doit remettre ses conclusions au greffe dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel. Conformément à l’article 909 du même code, l’intimé dispose également de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident. Dans le premier cas, la sanction est la caducité de la déclaration d’appel relevée d’office par le juge. Dans le second cas, la sanction est l’irrecevabilité des conclusions relevée d’office par le juge. Ces conclusions, adressées à la cour, « déterminent l’objet du litige »14. En vertu de l’article 910-4, ces conclusions doivent contenir l’ensemble des prétentions au fond des parties. Il s’agit là du principe de concentration temporelle des prétentions.

En l’espèce, le problème tient à la conception restrictive que les hauts magistrats adoptent de la notion de « premières conclusions ». Il a été remarqué, à juste titre, que le premier alinéa de l’article 910-4 du CPC s’intéresse indistinctement aux conclusions déposées dans les délais impartis pour conclure ; « de sorte qu’aucune irrecevabilité ne menacerait des prétentions ultérieures aux initiales, pour peu que les unes et les autres soient formulées dans des conclusions déposées dans les délais Magendie »15. Pourtant, ce qui désarçonne dans cette affaire, c’est que la chambre sociale de la Cour de cassation prend soin de préciser la date des premières conclusions, à savoir le 31 mars 2020. Autrement dit, elle semble signifier que par « premières conclusions », il faut entendre « les toutes premières conclusions » et non « toutes les premières conclusions ». La Cour de cassation semble donc privilégier le premier jeu de conclusions pour la présentation des prétentions sur le fond. Elle ne laisse aucune marge de manœuvre : les juges d’appel ne doivent statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif des premières conclusions et ne peuvent examiner les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion16. Ainsi, les parties doivent présenter leur prétention sur le fond dès les premières conclusions échangées, qu’importe finalement qu’une communication se poursuive. Les premières conclusions sont le contenant des prétentions sur le fond, ce sur quoi le juge se basera pour prendre sa décision.

Cette prise de position, sur le contenant, soulève des questions au regard de la nouvelle réforme de la procédure d’appel. En effet, l’alinéa 1er du nouvel article 915-2 du CPC, issu du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 et applicable pour les instances initiées à partir du 1er septembre 2024, dispose que « l’appelant principal peut compléter, retrancher ou rectifier, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans les délais prévus au premier alinéa de l’article 906-2 et à l’article 908, les chefs du dispositif du jugement critiqués mentionnés dans la déclaration d’appel. La cour est saisie des chefs du dispositif du jugement ainsi déterminés et de ceux qui en dépendent » (nous soulignons). Ce texte dit donc deux choses : 1°/ les premières conclusions peuvent compléter, retrancher ou rectifier les chefs du dispositif du jugement expressément critiqué ; 2°/ l’extension du périmètre de l’appel ne peut intervenir que dans les premières conclusions matériellement remises dans le délai imparti à l’appelant pour conclure. Si l’on suit le raisonnement adopté dans l’arrêt commenté, l’appelant ne pourrait pas ajouter des chefs du dispositif du jugement critiqué par le biais d’autres conclusions que celles qui ont été déposées dans les délais impartis. En outre, l’alinéa 2 du nouvel article 915-2 du CPC poursuit en indiquant qu’« à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 906-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. L’irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures ». Cela signifie-t-il que les toutes premières conclusions permettront non seulement d’étendre l’effet dévolutif de l’appel mais également de déterminer les prétentions sur le fond ? Ou faut-il, a contrario, retenir une conception duale de la notion de premières conclusions au sein même du texte, le premier alinéa visant uniquement les toutes premières conclusions échangées pour compléter les chefs du dispositif expressément critiqués par les parties et le second alinéa visant largement toutes les premières conclusions déposées dans les délais impartis pour le fond ? Si la première branche de l’alternative a le mérite de la simplicité et de la clarté, un avis des hauts magistrats, postérieurement au 1er septembre 2024, serait bienvenu.

Le surgissement de ces questions témoigne de la complexité de la matière procédurale. Car il semble bien que les conclusions d’avocat sont des actes de communication qui ont « pour objectif de transmettre un message tant à l’adversaire qu’au juge »17. En imposant que les prétentions sur le fond soient présentées dès les premières conclusions, la Cour de cassation tend à assurer l’efficacité du message. Les premières écritures lèvent les incertitudes et les difficultés quant aux (réelles) demandes des parties. De ce point de vue, la décision commentée doit être accueillie avec un certain soulagement.

Par-delà le contenant, l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation questionne aussi sur le contenu de ces conclusions d’appel qui mérite tout autant de retenir l’attention.

II – Le contenu des conclusions des parties

L’arrêt ici signalé s’intéresse au contenu des conclusions. L’on se demande si l’intimée qui a omis de demander la nullité du licenciement dans ses premières conclusions peut le faire dans des conclusions ultérieures. Selon les juges lyonnais, l’article 910-4 ne s’oppose pas à ce que les conclusions de la salariée soient jugées recevables, dès lors que les prétentions y figurant, à savoir l’indemnisation pour nullité du licenciement, tendent aux mêmes fins que celles formulées au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Qu’entendaient-ils signifier par-là ? La formule n’est pas anodine. Les juges du fond semblent transposer, dans cette affaire, la mécanique applicable dans le contexte de l’article 564 du CPC. En effet, ce texte énonce que « les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions ». Or, l’article 565 précise que ne constituent pas des prétentions nouvelles les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge. À première vue, le rapprochement opéré par les juges du fond est donc pertinent dans la mesure où la haute juridiction a pu décider, dans le passé, que « la cour d’appel, qui a constaté que les demandes formées par la salariée, au titre d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, puis d’un licenciement nul, tendaient à l’indemnisation des conséquences de son licenciement qu’elle estimait injustifié, en a exactement déduit que ces demandes tendaient aux mêmes fins et que la demande en nullité du licenciement était recevable »18. Dans ces conditions, n’apparaît-il pas cohérent d’appliquer cette jurisprudence à la concentration temporelle des prétentions sur le fond en appel imposée par l’article 910-4 ? Des objections ne manquent pas de surgir.

La Cour de cassation invite à faire une application rigoureuse de l’article 910-4. C’est là que réside, pensons-nous, l’intérêt de la solution commentée. Selon la chambre sociale, la cour d’appel ne saurait admettre une prétention ultérieure au seul motif qu’elle poursuit le même résultat que la prétention antérieure, faute pour une telle exception d’être prévue par le texte. Le régime de la concentration des prétentions de l’article 910-4 n’est pas similaire à celui prévu aux articles 564 et 565 du CPC. Ainsi, la prétention de l’intimée n’est recevable qu’à la condition d’être présentée dès les premières conclusions, la cour ne pouvant statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif de ces conclusions.

Une question se pose alors nécessairement : ce principe de concentration des prétentions s’applique-t-il aux moyens nouveaux formulés lors d’un jeu de conclusions ultérieur ? Non. Pour la Cour de cassation, dans la procédure ordinaire avec représentation obligatoire en appel, les parties peuvent, jusqu’à la clôture de l’instruction, invoquer de nouveaux moyens19. L’intimé peut, par exemple, invoquer de nouveaux moyens dans des conclusions récapitulatives pour obtenir le rejet des prétentions de l’appelant. En cas d’exercice de cette faculté, les nouveaux moyens doivent être présentés de manière formellement distincte20. La position n’est pas sans rappeler l’article 563 du CPC qui prévoit que « pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ». Une distinction subtile est ainsi opérée entre « prétention » et « moyen ».

Qu’est-ce qu’une prétention au fond ? Le Code de procédure civile n’en donne pas de définition. Il ressort simplement de l’article 4, alinéa 1er que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions des parties ». Après la liaison de l’instance, les parties n’ont plus le droit de modifier librement l’objet du litige en formulant de nouvelles prétentions. C’est pourquoi l’alinéa 2 dispose que l’objet du litige est fixé par les prétentions des parties telles qu’elles figurent d’emblée dans l’acte introductif d’instance du demandeur et dans les conclusions en défense du défendeur. En appel, comme indiqué précédemment, ces prétentions doivent être récapitulées dans le dispositif des conclusions, la Cour ne statuant que sur les prétentions contenues dans le dispositif. De ce point de vue, la prétention est « l’objet concret de la demande qu’un plaideur adresse au juge »21 : celui-ci demande des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, celui-là demande la requalification de son contrat de travail à temps partiel en temps complet, ou encore la nullité d’une convention de forfait. Le moyen, quant à lui, vient au soutien de la prétention. Il est un argument articulant le fait et le droit et dont la conclusion s’oppose au succès des prétentions adverses. Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, l’objet de la demande de la salariée, dans ses premières conclusions, portait sur des indemnités de licenciement injustifié. Au vu de l’arrêt, il est difficile de comprendre exactement comment la prétention était formulée, mais l’on peut penser que la salariée évoquait la méconnaissance par l’employeur des dispositions relatives au reclassement qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse. Seule cette prétention était dans les débats. Or, il semble que cette prétention ait évolué puisque la salariée demande, par la suite, la nullité de son licenciement en raison de son état de santé, licenciement discriminatoire prohibé par l’article L. 1132-1 du Code du travail. Ce second fondement n’est pas un moyen venant au soutien de la demande antérieure. Il s’agit d’une prétention à part entière.

Une telle approche n’est-elle pas cependant contestable ? Ne pourrait-on pas avancer que « la prétention au fond » est unique, en ce qu’elle consiste en l’indemnisation du licenciement, la salariée souhaitant que le juge tire les conséquences indemnitaires de l’illicéité de son licenciement ? Dans ce cas, seul le moyen différerait ? À dire vrai, le doute n’est guère permis, au regard de la solution de la Cour de cassation. La demande en nullité d’un licenciement discriminatoire et la demande visant uniquement à la reconnaissance de l’absence de cause réelle et sérieuse d’un licenciement reposent sur des fondements (textuels) différents. D’ailleurs, en droit du travail, les conséquences de ces demandes ne sont pas les mêmes : dans le second cas, le juge octroie une indemnité dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés en nombre de mois de salaires, en fonction de l’ancienneté du salarié22 ; dans le premier cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail, le juge lui octroie une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois23. Ces deux demandes sont donc distinctes. La solution aurait été certainement différente si, par exemple, la salariée arguait, au soutien de sa prétention en licenciement sans cause réelle et sérieuse, que l’employeur n’avait pas consulté le comité social et économique avant d’engager la procédure de licenciement, l’omission de cette formalité substantielle viciant la rupture24.

La Cour de cassation appelle donc à une interprétation stricte du texte : est recevable la seule prétention présentée dans les premières conclusions, prétention qui peut être développée dans des conclusions ultérieures. Selon M. Vincent Orif, cette règle peut se comprendre « car il y a déjà eu un premier débat contradictoire devant le conseil de prud’hommes et que l’évolution du litige devrait être réduite entre la date du jugement et celle de communication des premières conclusions. Néanmoins, la durée actuelle de l’instance d’appel peut soulever des difficultés en restreignant l’accès au juge d’appel »25. C’est pourquoi il est heureux d’avoir prévu des exceptions. Complément bienvenu au principe de concentration, l’alinéa 2 de l’article 910-4 ajoute ainsi que « néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 783, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ».

Ces dispositions font corps, en faisant comprendre ce qui est attendu de la part des parties dans le cadre de la procédure d’appel, et ce au titre de la rédaction des écritures. La prescription prévue par l’article 910-4 du CPC obéit, dans l’optique de la chambre sociale de la Cour de cassation, à une interprétation stricte. Dès lors, en matière d’appel, le formalisme gagne du terrain présentant la face favorable de la sécurité et celle plus discutable de la rigidité.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Citation attribuée à Victor Hugo (1802-1885).
  • 2.
    C. trav., art. L. 4624-5.
  • 3.
    C. trav., art. L. 4624-4 et C. trav., art. R. 4624-42.
  • 4.
    C. trav., art. L. 1226-2, en cas d’inaptitude d’origine professionnelle et C. trav., art. L. 1226-10, en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle.
  • 5.
    C. trav., art. L. 1226-2-1 et C. trav., art. L. 1226-12.
  • 6.
    CA Lyon, 9 nov. 2022, n° 19/08636.
  • 7.
    C. trav., art. R. 1461-1.
  • 8.
    CPC, art. 900.
  • 9.
    CPC, art. 901, 4°.
  • 10.
    Cass. 2e civ., avis, 20 déc. 2017, nos 17-70034, 17-70035 et 17-70036 : Dalloz actualité, 12 janv. 2018, obs. R. Laffly ; GPL 6 févr. 2018, n° GPL312s7, obs. S. Amrani-Mekki ; JCP E 2018, p. 173, note P. Gerbay ; Procédures 2018, n° 69, note H. Croze.
  • 11.
    Cette nullité peut être couverte par une nouvelle déclaration d’appel, laquelle ne peut intervenir après l’expiration du délai imparti à l’appelant pour conclure conformément aux articles 901-4, alinéa 1 et 954, alinéa 1 – Cass. 2e civ., avis, 20 déc. 2017, nos 17-70034, 17-70035 et 17-70036.
  • 12.
    Cass. 2e civ., 30 janv. 2020, n° 18-22528 : Dalloz actualité, 17 févr. 2020, note R. Laffy ; D. 2020, p. 576, note N. Fricero.
  • 13.
    CPC, art. 901, al. 2.
  • 14.
    CPC, art. 910-1.
  • 15.
    M. Barba, « Principe de concentration temporelle des prétentions en cause d’appel : entre éclaircissements et hésitations », note sous Cass. soc., 28 févr. 2024, n° 23-10295, arrêt commenté : Dalloz actualité, 14 mars 2024.
  • 16.
    CPC, art. 954, al. 3.
  • 17.
    N. Gerbay, « Le formalisme des conclusions : pourquoi pas ? Le ritualisme : non ! », JCP E 2022, p. 1193.
  • 18.
    Cass. soc., 1er déc. 2021, n° 20-13339 : RDT 2022, p. 55, obs. F. Guiomard.
  • 19.
    Cass., avis, 21 janv. 2013, n° 12-00018 : JCP E 2013, p. 135, obs. N. Gerbay ; GPL 19 févr. 2013, n° GPL118z6, obs. B. Travier et S. Guichard ; Procédures 2013, n° 64, note R. Perrot.
  • 20.
    CPC, art. 954, al. 2.
  • 21.
    N. Cayrol, Procédure civile, 4e éd., 2022, Dalloz, spéc. p. 48, n° 115.
  • 22.
    C. trav., art. L. 1235-3, al. 2 et s.
  • 23.
    C. trav., art. L. 1235-3-1, al. 1.
  • 24.
    Cass. soc., 30 sept. 2020, n° 19-13122.
  • 25.
    V. Orif, « Un accès à l’appel prud’homal plus ardu », Dr. soc. 2024, p. 133.
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