Seniors : quels leviers de croissance pour les entreprises ?

Publié le 18/07/2024
Seniors : quels leviers de croissance pour les entreprises ?
AdobeStock/Natchaya

Le 29 mai dernier, le club Landoy, « think tank » du groupe Bayard dédié à la révolution démographique, présentait deux initiatives en faveur de l’emploi senior : une charte en faveur de l’emploi des plus de 50 ans, soutenue notamment par le groupe l’Oréal, et le premier Index senior en France. Impondérable démographique, une prise en charge idoine du vieillissement s’affirme autant comme un facteur de bien-être que comme un levier de croissance pour les entreprises.

C’est un serpent de mer : l’emploi des seniors, comprendre les plus de 50 ans, grands oubliés, discriminés du monde du travail. Espérant tirer vers le haut d’autres entreprises, le club Landoy présentait le 29 mai ernier deux initiatives dont il est à l’origine. Tout d’abord, la Charte 50+ rassemblant à ce jour 136 entreprises – pour l’instant, de grands groupes comme l’Oréal, Axa, Air France ou encore Lidl France – qui se mobilisent autour de dix engagements en faveur des seniors (formation, maintien dans l’emploi, santé, départ à la retraite…), en attendant que les PME et TPE puissent les rejoindre.

Mariane Kermal-Berthomé, directrice des politiques sociales à la Caisse des dépôts, le rappelle : au cours des tout derniers mois d’une vie professionnelle, les salariés sont attachés à la question de la transmission. La Caisse des dépôts, elle-même engagée dans la vie des collaborateurs âgés, est bien consciente qu’ils sont souvent coincés en début de carrière, par leur implication comme parents, et en fin de carrière, parfois, comme aidant auprès de parents vieillissants. Les enquêtes pour lutter contre les stéréotypes montrent que le sentiment de discrimination lié à l’âge est assez prégnant. « En tant qu’entreprise engagée, nous voulons agir en faveur de l’emploi des seniors, mieux accompagner l’emploi, la formation, la santé et le bien vieillir », précise-t-elle, notamment en vue du passage à la retraite, qui engendre une petite baisse du bien-être. Au programme : l’élaboration d’une feuille de route grand âge, mieux prévenir la pénibilité, favoriser l’approfondissement des compétences, favoriser les mobilités et les parcours professionnels, etc. L’idée de la Charte 50+ est de développer ces bonnes pratiques.

Changer de regard sur le vieillissement

Pour Sybille Le Maire, fondatrice du Club Landoy, l’entreprise est un lieu « d’innovation sociale », même s’il faut aussi compter sur une évolution des mentalités pour relever le « défi collectif des mutations sociales ». « Devant la lenteur de l’évolution du système public, les entreprises seront peut-être plus efficaces », suggère-t-elle. « Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s’est passé », a-t-elle asséné avec humour, percutée par l’acuité de Groucho Marx. Elle prône ainsi un « choc de prévention », avec une « mobilisation sur les enjeux de transition démographique ». Les questions sont vertigineuses – « que veut dire vivre 100 ans ? Que faire de ces 15 ans supplémentaires ? » –  mais indispensables. Car si les entreprises s’engagent, c’est qu’« elles sont aussi pragmatiques et qu’elles comptent », reconnaît-elle. D’ici 2050, l’Europe va perdre 40 millions d’habitants et 8 pays dans le monde vont capter 50 % de l’augmentation démographique, dont un seul un sera situé dans l’hémisphère nord : l’Inde. Dans ces zones, « les entreprises françaises sont peu présentes. Le capital humain devient un facteur déterminant des entreprises », ce qui pose la question du sourcing : « où vais-je sourcer mes talents ? », s’interroge-t-elle.

Pour le monde de l’entreprise, mieux accompagner le vieillissement entraîne sûrement « des adaptations au niveau des RH », afin de rendre le travail plus attractif. Mais mieux intégrer les seniors, c’est renforcer la cohésion, l’attractivité et in fine, la compétitivité de l’entreprise. « S’adapter au changement démographique, ce n’est pas un luxe », mais une nécessité pour « remporter les victoires de demain pour la réindustrialisation et la compétitivité », a-t-elle déclaré.

Un sujet de plus en plus visible ?

Preuve que le sujet est dans l’air du temps, moins de 30 entreprises étaient signataires de la Charte 50+ il y a deux ans. Mais la mobilisation porte, notamment avec l’engagement de la French Tech, un « acte courageux », comme en a témoigné Vincent Huguet, CEO de Malt, entreprise « jeune » de la french tech qui regroupe 250 000 consultants freelance. « Quand on monte une start-up, on part de zéro. On a tendance à recruter des jeunes, ce qui est une erreur à mon avis ». Erreur corrigée car Malt compte de plus en plus de personnes de plus de 50 ans. « Dans un an, la moitié du comex sera constitué de plus de 50 ans, que nous recrutons dans les DRH, le marketing », explique-t-il. Certes, il y a l’idée du coût –ils sont plus chers que des jeunes – mais c’est une idée à nuancer. « Certains d’entre eux ont « déjà » fait carrière, ont accumulé un patrimoine, et ont envie d’aller sur une entreprise plus agile, de donner du sens à leur engagement professionnel ». Sans forcément exiger des salaires mirobolants. Même enthousiasme pour Alexandra André, directrice générale de la French Tech Grand Paris, qui a une énorme marge de manœuvre puisque « le secteur ne recrute que 2,7 % des seniors », reconnaît-elle, et seulement à des niveaux CMO ou CFO.

Vincent Huguet est convaincu qu’il ne faut pas se passer des talents des plus de 50 ans. De plus en plus nombreux sont ceux qui veulent travailler comme indépendants. Le risque ? Perdre des gens, mais aussi des savoir-faire, des compétences, comme de vieux langages informatiques qui ne sont plus maîtrisés par personne… Les start-ups peuvent vouloir garder un lien et les conserver dans leur pool de talents. « Il y a des personnes qui souhaitent donner une journée de coaching, de mentoring (en retraite, mais souhaitent travailler en freelance) avec un enjeu économique pour les petites entreprises qui ont vite grandi, et pouvant continuer de le faire ». Conclusion : les entreprises, même issues de l’écosystème start-up, ont besoin de personnes expérimentées.

Dépasser les mots et s’engager pour des actions concrètes

Hervé Navallou, président de l’Oréal France, se satisfait de l’augmentation des entreprises engagées depuis deux ans. Pour lui, c’est l’occasion de renforcer la prise de conscience collective des enjeux liés à la transition démographique et sociale du sujet. « Il n’y a pas de concurrence de cette nature sur un tel sujet », veut-il croire.  Cette charte signifie que « chaque entreprise prend l’engagement de travailler à intensifier les dispositifs déjà existants ou en inventant de nouvelles approches ». Depuis leur signature, 85 % des entreprises qui n’avaient pas d’actions dédiées l’ont fait. 165 actions ont été développées par les signataires, comme le programme mis en place par Axa pour valoriser la place des 50 ans et plus, le dispositif à destination des collaborateurs aidants par la Poste ou encore le programme L’Oréal for all Generation, autour de l’intergénérationnel et l’employabilité à tout âge.

Quelle que soit la motivation des seniors, cette question est incontournable. Les plus de 45 ans formeront bientôt 50 % population mondiale et 50 % des métiers de demain sont encore inconnus. Tout reste à faire, spécialement pour les femmes. Leur durée de vie est plus longue que celle des hommes, mais elles ont souvent eu des carrières hachées et reçu des salaires inférieurs. Elles risquent ainsi de devenir des « vieilles pauvres », a dénoncé Sybille Le Maire, marquée par le fait que « 30 % des femmes reçoivent des pensions inférieures à 890 euros mensuels. Cet avenir sombre est incompatible avec une société qui doit avancer et être plus égalitaire ».

L’index : une étude inédite et exclusive

Sur l’index volontaire, 27 entreprises, représentant 567 000 salariés dans de nombreux secteurs (cosmétiques, alimentaire, conseil, médias, etc.) ont accepté de partager leurs données de manière anonyme. Yvonne Herbin, directrice des études et de la prospective au sein du groupe Bayard, a tenu à préciser que le but de l’étude n’était pas de juger, mais d’objectiver les engagements des entreprises. Côté résultats : elles comptent 32 % de seniors, ce qui est conforme aux moyennes de l’INSEE. « Ce sont des entreprises engagées historiquement, importantes », souligne Yvonne Herbin. Les autres indicateurs sont en revanche assez révélateurs de la sous-représentation des seniors. Sur la formation, le taux atteint les 28 %, soit 4 points de moins que la proportion des plus de 50 ans. Ainsi, « le taux de formation est inférieur de 20 % au total des salariés ». De même, sur la mobilité, le taux des seniors est de 22 %, soit de 10 points inférieurs. Seul 1/5 des plus de 50 ans ont bénéficié d’une mobilité en 2023. Les indicateurs de recrutement sont également en berne avec seulement 21 %, soit 11 points de moins. « Le recrutement est un indicateur qui symbolise toutes les autres tensions », estime Yvonne Herbin. La conclusion de ces chiffres est sans appel : « les 50 ans et plus, qui sont sortis du travail, sont aussi les plus exposés au risque de ne pas y revenir. L’âge est même le facteur le plus discriminant, devant l’obésité, le handicap ou l’origine ethnique. Alors qu’avoir des collaborateurs âgés, c’est aussi profiter d’une richesse émotionnelle, intellectuelle, économique donc financière », dans un mouvement gagnant-gagnant. Finalement, conclut Sybille Le Maire, face à une vieillesse inéluctable, « la compétition aura lieu entre les pays qui ont tiré le meilleur parti du vieillissement et les autres, ceux qui ne le percevront pas seulement comme un coût ».

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