Pionnière, Ris-Orangis crée un statut de parent isolé

Publié le 05/09/2024
Pionnière, Ris-Orangis crée un statut de parent isolé
Lena/AdobeStock

Fin mai, la ville de Ris-Orangis qui compte 30 000 habitants a voté en conseil municipal une série de 21 mesures visant à reconnaître au niveau municipal le statut de parent isolé. Une initiative qui fait des émules.

Depuis 1921, la carte famille nombreuse apporte aux familles de plus de trois enfants des réductions qui ne sont pas anodines dans des budgets souvent serrés. Les impôts, CAF et communes leur reconnaissent également un statut particulier. Pour les familles monoparentales, qui correspondent selon l’Insee à 23 % des huit millions de familles avec enfants de moins de 18 ans, la situation n’est pas encore optimale. La galère, pour beaucoup, est quotidienne.

Bien sûr, il y a l’allocation de soutien familial (ASF) qui s’élève désormais à 195,85 euros par enfant et par mois pour remplacer ou compléter une pension alimentaire. Bien sûr, il y a la case « T » dans la déclaration des revenus. La majoration du nombre de parts liée à la case T est de : + 0,25 part supplémentaire pour un seul enfant et + 0,5 part pour deux enfants ou plus. De même, le complément de libre choix du mode de garde (CMG) contribue au financement de la garde d’un enfant de moins de six ans par un assistant maternel ou par une garde d’enfant à domicile. Pour les parents isolés, le plafond de ressources pour le bénéfice du CMG est majoré de 40 % et les montants plafond de cette prestation sont majorés de 30 %. Mais au quotidien, les familles ne sont pas prioritaires, les pensions alimentaires sont comptabilisées dans les revenus, la solitude est réelle et la charge mentale décuplée pour les mono-parents.

Depuis 2022, le service public d’intermédiation du versement des pensions alimentaires permet d’assurer le versement des pensions alimentaires… mais il reste des trous dans la raquette : les familles monoparentales restent plus concernées par la précarité. Dans son « Étude sur les familles en 2020 », publiée en septembre 2021, l’Insee notait qu’en 2018, la pauvreté monétaire touchait plus du tiers des personnes vivant au sein d’une famille monoparentale, soit 2,3 millions de personnes. « 41 % des enfants mineurs vivant en famille monoparentale » dans l’Hexagone se trouvaient ainsi en 2018 « au‑dessous du seuil de pauvreté monétaire », une proportion presque deux fois supérieure à celle de l’ensemble des enfants dont la part vivant sous le seuil de pauvreté est estimée à 21 %. L’Insee soulignait également que « dans un tiers des familles monoparentales, le parent avec lequel les enfants résident n’a pas d’emploi ».

Voilà pourquoi une proposition de loi visant à réduire la précarité sociale et monétaire des familles monoparentales a été déposée en avril dernier… mais certaines communes ont pris les devants.

Aider à la parentalité, puis à la monoparentalité

Depuis plus de vingt ans, la commune de Ris-Orangis a mis en place des aides à la parentalité. « Tous les parents ont un jour rencontré des difficultés dans l’exercice de leur autorité parentale, on s’est tous trouvés démunis. Il est difficile d’être parents parfois. Nous menons des politiques publiques, on a un service interne, Tempo, un lieu d’accueil pour l’organisation de visites médiatisées entre parents et enfants, des expertises psychologiques pour les juges aux affaires familiales », rappelle Stéphane Raffalli, maire (PS) de Ris-Orangis qui envisage le politique sur les familles monoparentales comme le prolongement de cet intérêt particulier.

Trois événements distincts ont amené la commune à se pencher sur le cas des familles monoparentales, en l’espace de 10 mois. « En 2012 et 2013, nous avons procédé à l’analyse des besoins sociaux, une photographie de l’état social avec l’aide d’un spécialiste à l’analyse de nos besoins sociaux. Deux sujets ont surnagé : la fracture numérique et la monoparentalité qui touche 30 % de nos familles contre 25 % à l’échelle nationale. Dans notre commune, nous avons 1 700 familles monoparentales, nombreuses et pauvres. Il nous est apparu urgent d’agir », a souligné l’édile. La question revient au moment du Covid quand la commune met en place des outils de démocratie locale, le laboratoire des doléances, avec le sociologue Bruno Latour. Mais ce sont finalement les émeutes de 2023 qui accélère le mouvement. « Nous avons eu à Ris-Orangis trois nuits de tension extrême, sans dégradations. D’un côté, nous entendions des arguments accusant la jeunesse de tous les maux, nous entendions de la droite et de l’extrême droit que les banlieues touchaient des milliards et des milliards, ce qui ne correspondait pas à la réalité. Le profil des gamins ou des jeunes adultes qui avaient participé aux émeutes – le président du tribunal judiciaire de Bobigny l’avait dit au moment où se multipliaient les comparutions immédiates – c’était soit des enfants de l’assistance, soit des enfants dans des familles monoparentales en situation difficile. C’est à ce moment-là que nous avons décidé d’intégrer dans la politique de la ville des mesures pour un nouveau statut du parent solo. Plutôt que culpabiliser les parents, il faut que la puissance publique se substitue à une carence ».

21 mesures pour une politique familiale 2.0

21 mesures, de l’aide à la recherche d’emploi à l’enseignement du français, ont donc été votées en conseil municipal et seront mises en application dans les mois à venir. Une première en France. Certaines concernent l’accès aux droits et à la santé : comme créer un point d’accueil municipal avec des permanences régulières, renforcer le partenariat avec la Caisse d’allocations familiales pour faciliter l’accès aux droits, faire bénéficier les familles d’un accès à internet à tarif préférentiel ou d’un abonnement solidaire, mettre en place des ateliers socio-linguistiques spécifiques pour encourager l’apprentissage de la langue française au sein des familles monoparentales allophones. Les familles bénéficieront aussi d’un accès facilité à un logement adapté avec des possibilités de colocation en collaboration avec les bailleurs sociaux et privés et la construction d’un bâtiment locatif dédié. La commune s’est également engagée à privilégier l’accès à un mode de garde dédié et s’est engagée à retirer le montant de la pension alimentaire du calcul du quotient familial pour les parents solos et à introduire des critères spécifiques pour faciliter l’accès des familles monoparentales aux places en crèches municipales. La commune va aussi encourager le droit au répit pour des parents seuls.

Un travail avec le collectif des mères isolées

Pour bâtir cet arsenal, la commune a travaillé de concert avec le collectif des mères isolées, association basée à Montreuil. « On a reçu un mail de l’adjointe, Semira Le Querec, et après plusieurs visios, elle nous a proposé d’animer une réunion publique de trois heures pour les familles monoparentales de la commune. Des élus, des agents étaient aussi présents et j’ai eu l’impression qu’ils ont pris conscience de beaucoup de choses, du chemin que les personnes concernées vivent devant le juge des enfants. Elles étaient très émues et ont témoigné de situations très difficiles. Nous avons insisté sur le poids des mots : la réalité, bien souvent, c’est plus parent isolé (seul terme qui existe au niveau juridique) que parent solo », nous explique Dorothée Noël du collectif. Si la jeune femme se réjouit de la procédure lancée par la commune francilienne et par le projet de loi, elle espère que certaines choses seront proposées aux parents solos comme la déconjugalisation des aides… « La ville de Ris-Orangis va retirer les pensions alimentaires des revenus, comme l’ont fait Nanterre et Suresnes, par exemple. Le quotient social des communes n’a en effet rien à voir avec le quotient de la Caf. Je viens de déménager de Nanterre à Montreuil et la cantine que je payais 2,65 euros, je la paie désormais 5,90 euros ! Cela change tout dans le budget d’un parent isolé ! », soutient-elle.

Quand la presse a couvert la décision du conseil municipal, le maire de Ris-Orangis a reçu des appels de Marseille et Montpellier, de plusieurs communes essonniennes qui veulent s’en inspirer. La preuve que les changements sociétaux commencent parfois au niveau de la politique ultra-locale.

Plan