Prud’hommes d’Évry : « Que Monsieur B. a des problèmes d’alcoolisme, je l’ai appris ici ! »

Publié le 20/12/2024
Prud'hommes d’Évry : « Que Monsieur B. a des problèmes d’alcoolisme, je l’ai appris ici ! »
erwangarel.com/AdobeStock

Après 25 ans au service d’une société agroalimentaire, Monsieur B. a eu un accident de la route durant ses heures de travail et sous emprise d’alcool. Il a été licencié pour faute grave. Son avocate clame la nullité du licenciement, qu’elle estime causé en réalité par l’état de santé de Monsieur B.

Comme le veut le « gentleman agreement », les conseillers prud’homaux d’Évry commencent par écouter l’affaire où plaident les avocats venant de loin. Ici, Lyon, pour le compte d’une société agroalimentaire. L’avocate a fait le déplacement pour défendre l’entreprise face à un employé qui conteste son licenciement, demande des rappels de salaires et diverses autres indemnités.

Monsieur B. a été engagé par la société en 1996 en tant que chef de secteur représentant de la marque auprès des grandes surfaces d’une zone étendue de banlieue parisienne. « Son état de santé s’est dégradé en raison d’une dépendance à l’alcool », explique son avocate avant d’en arriver au point chaud du dossier : un accident de la route sans gravité qui a eu lieu en 2021 avec sa voiture de fonction et pendant ses heures de travail, sous emprise d’alcool, et à la suite duquel il a été licencié pour faute grave.

Avant d’entrer dans les détails de cet accident, l’avocate commence par détailler ses demandes d’indemnités et rappels de salaires. Le contrat de Monsieur B. mentionnait 37 heures de travail hebdomadaires (avec 11 jours de RTT) mais « en réalité, il en faisait 44,5 », dépassant selon elle le taux horaire légal. Elle assure qu’elle apporte au dossier des éléments de nature à prouver ses dires, tandis que « la société n’a pas répondu à la sommation de communiquer les agendas papiers de Monsieur B. ». À cela s’ajoute des inventaires effectués de nuit quatre fois par an qui ne lui auraient jamais été payés. Au total, le salarié demande plus de 45 000 euros d’indemnités au titre d’heures impayées ou effectuées de nuit ou en raison du non-respect des durées maximales de travail et des repos obligatoires.

Après ces demandes chiffrées, on en arrive au cœur de l’affaire. Selon l’avocate du plaignant, le licenciement est « doublement nul ». Une première fois, parce qu’il a été prononcé à l’encontre d’une liberté fondamentale : « Aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé », assure l’avocate. De ce côté-ci de la barre, on assure que l’entreprise savait que Monsieur B. souffrait d’une dépendance à l’alcool, puisque la convocation à son entretien préalable avait été envoyée au centre d’addictologie dans lequel il était hospitalisé en cure. Si l’entreprise estimait que Monsieur B. n’était plus apte à effectuer ses missions, il aurait fallu contacter la médecine du travail et penser à un repositionnement du salarié.

Et seconde raison de nullité : « On a refusé à Monsieur B. son droit de se défendre sans justification, ce qui viole une liberté fondamentale. » En l’occurrence, Monsieur B. ne pouvait assister ni de visu, ni en visio à la convocation qui lui a été envoyée, parce qu’il était hospitalisé. Il a demandé à faire ses observations à l’écrit, ce que l’entreprise lui a refusé.

« — Il est incontestable qu’il a été licencié en raison de son état de santé et non en raison d’une inaptitude médicalement constaté, conclut l’avocate du plaignant.

— Ma consœur a terminé exactement là où je voulais commencer, c’est parfait », rétorque la défense de la société agroalimentaire.

De ce côté-là de la barre, le dossier est « factuellement très simple » : « Monsieur B. a été licencié pour avoir consommé de l’alcool sur ses lieux et temps de travail. » Le règlement intérieur interdit la consommation d’alcool, qui est en plus une infraction à l’obligation de sécurité du salarié.

« Que Monsieur B. a des problèmes d’alcoolisme, je l’ai appris ici ! Et je vous mets au défi de prouver que la société en avait connaissance », lance l’avocate de la défense. « On nous parle de convocation envoyée au centre d’addictologie. Mais addiction à quoi ? Je ne le sais pas. À l’alcool ? À la drogue ? Au sexe ? ! » Cette dernière supposition fait sourire l’auditoire.

L’avocate passe ensuite au refus de prendre en compte les écrits du salarié qui ne pouvait pas se rendre à sa convocation d’entretien avant licenciement. « On doit donner la possibilité de se défendre, on ne doit pas recueillir à tout prix le point de vue du salarié », assure-t-elle avant de conclure, grossissant le trait, que « sinon, cela entraînerait la nullité de tous les licenciements de salariés qui ne se présentent pas ».

Quant aux demandes de rappels de salaires et autres indemnités, il ne s’agit que de « demandes opportunes ». « Quand on est salarié depuis 25 ans, on ne dit jamais rien ? », interroge l’avocate de la société. Elle n’a pour sa part « jamais entendu parler d’inventaires effectués de nuit » et explique le refus de communiquer les agendas papiers, parce que la demande serait « disproportionnée » et que la charge de la preuve incomberait ici au salarié.

Trois mois après l’audience, le verdict tombe : Monsieur B. est débouté de toutes ses demandes. Il compte faire appel.

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