Prud’hommes d’Évry : « un salarié absent 4 mois et 29 jours de manière répétée serait protégé ad vitam aeternam ! »

Publié le 10/12/2024
Prud’hommes d’Évry : « un salarié absent 4 mois et 29 jours de manière répétée serait protégé ad vitam aeternam ! »
Viacheslav Yakobchuk/AdobeStock

Madame T. a été licenciée de l’agence immobilière dans laquelle elle exerçait, sans avoir commis aucune erreur. Ce qui lui est reproché : des arrêts maladie répétés et prolongés qui auraient désorganisé le service. Son avocate demande que le licenciement soit reconnu comme étant « sans cause réelle et sérieuse » et réclame 26 000 euros d’indemnités afférentes.

« Je n’avais pas vu l’heure. Sans vous priver de votre droit de défense, je vous demanderai d’aller à l’essentiel », prie la présidente des conseillers prud’homaux aux seuls deux avocats encore présents dans la salle en cette fin d’après-midi. À l’instar des audiences qui ont précédé, il s’agit là encore d’un dossier porté par une salariée qui conteste son licenciement. Le motif invoqué par l’entreprise : des absences prolongées ou répétées qui auraient entraîné la désorganisation du service. « Un dossier juridiquement assez intéressant », reconnaît l’avocat de l’agence immobilière mise en cause dans sa plaidoirie.

Première à prendre la parole, Me Isabelle Kuok Bellamy rappelle le contexte du licenciement de sa cliente : Madame T. a été embauchée en 2016 comme agent de gestion locative. Au fur et à mesure, ses missions s’étoffent, elle travaille beaucoup et effectue même des ventes et des signatures chez le notaire. En 2020, elle tombe malade en raison d’un Covid long, qui l’a contraint à être arrêté à plusieurs reprises par son médecin. Son dernier arrêt maladie commence le 16 avril 2022 et moins de quatre mois plus tard, le 8 août 2022, elle est licenciée.

Pour expliquer qu’il s’agit là d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’avocate de la salariée invoque deux raisons. La première, c’est le non-respect de la clause de garantie d’emploi figurant dans la convention collective de l’immobilier qui, selon l’interprétation de la plaignante, rend impossible un licenciement avant les cinq mois d’arrêt maladie. « De manière subsidiaire, il faudrait que l’entreprise prouve la désorganisation causée par les absences », explique Me Kuok Bellamy. À ces mots, l’avocat adverse lève la tête vers sa consœur et lui jette un regard noir. « Maître », gronde gentiment la présidente de séance à qui les gros yeux de l’avocat n’ont pas échappé. Sa consœur poursuit son raisonnement : « Madame était très impliquée et elle a proposé la mise en place de réunions à propos de l’organisation du service. » Elle ajoute qu’après son licenciement, un alternant a été embauché et non un salarié en CDI « alors que c’est une condition de la jurisprudence ».

Au total, Me Isabelle Kuok Bellamy demande que la société verse un peu plus de 26 000 euros à sa cliente, dont la majeure partie correspond à l’indemnité due pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de sa cliente.

Au tour de l’avocat représentant l’agence immobilière :

« — J’ai un petit peu réagi, parce qu’il y a un gap entre les conclusions écrites et ce qui a été plaidé, commence-t-il. On vient me dire que Madame a été licenciée parce qu’elle travaillait trop et était fatiguée !

— Pas totalement, relève la présidente avec une moue.

— Ce n’est pas ce que j’ai plaidé, confrère, renchérit l’avocate de Madame T.

— C’est ce que j’ai compris. »

Il poursuit sans se démonter, résumant la situation de son point de vue. Pour la petite agence qu’il défend – trois salariés –, c’est moins la durée de la dernière absence que leur répétition qui pose problème. D’autant que, selon ses calculs, la salariée a été absente 15 mois au total. « Et dans ce cas, la garantie d’emploi tombe », assure-t-il, demandant d’être fidèle à « l’esprit du texte ». Pour convaincre son auditoire, il propose un raisonnement par l’absurde : « Sinon, un salarié absent 4 mois et 29 jours de manière répétée serait protégé ad vitam aeternam ! »

Il répond ensuite au second argument de sa consœur : pour justifier le recrutement d’une alternante plutôt que d’un salarié en CDI, il rappelle le contexte de « recrutement difficile, deux ans après le Covid » et rappelle que l’alternante a été embauché un an plus tard. « J’ai formé quelqu’un pour remplacer la salariée », assure l’avocat.

Il conclut avec quelques mots pour la salariée, bien qu’absente à l’audience. « Je comprends l’insatisfaction de Madame T. Elle était peut-être très impliquée mais on ne lui reproche rien. Elle était juste absente. » Il se montre ensuite grand prince, expliquant qu’il aurait pu demander des dommages et intérêts parce que la salariée a tardé à remettre ses clés. « L’employeur me l’a demandé, mais je n’ai pas voulu », assure-t-il.

« — Je peux ajouter quelque chose ?, demande l’avocate de la plaignante une fois la prise de parole de son confrère terminée.

— Oui.

— L’état de santé de Madame n’a été évoqué que pour le contexte. Sinon, on aurait plaidé une nullité. Et concernant l’embauche en CDI, on n’a pas de dépôt de preuve de recherches. »

L’audience se termine sur ces mots, en attendant le délibéré quelques mois plus tard. Les conseillers prud’homaux donneront raison à Madame T. : le licenciement est intervenu moins de cinq mois avant le début de son arrêt maladie, alors que devait s’appliquer la garantie d’emploi. Le conseil de prud’hommes condamne la société à verser un peu plus de 20 000 euros à leur ancienne salariée.

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