Paris et ses meurtrières

Publié le 25/01/2024

En septembre 2023 sortait le livre de Marc Lefrançois, Les grandes criminelles de l’Histoire. De l’affaire des poisons à nos jours (Armand Collin). Si l’ouvrage couvre toute la France, il nous fait découvrir de nombreuses criminelles ayant œuvré dans la capitale. L’occasion de découvrir quelques-unes de ces histoires, parfois glaçantes, parfois désolantes.

Armand Colin

Enseignant de culture générale à l’École supérieure des Pays de la Loire, Marc Lefrançois n’en est pas à son premier ouvrage. Il a notamment écrit Dans l’intimité des Tueurs en série, aux éditions City Édition, en 2014. « Après les hommes, nous dit-il, je trouvais intéressant d’écrire sur les femmes qui assassinent. Surtout, je me suis rendu compte que le crime au féminin fascinait avec des personnages singuliers et ses spécificités ». Avec une écriture romancée, Marc Lefrançois a donc choisi de nous raconter des histoires de criminelles sur une période allant de Louis XIV (XVIIe siècle) à la Ve République (XXe siècle), comme « une introduction à la curiosité ». Parmi elles, nombreuses sont situées à Paris. Pour autant, prévient l’écrivain, cela ne signifie pas que c’est, comme l’on peut parfois se figurer, « la capitale du crime ». Des criminelles, il y en a partout en France !

« J’ai privilégié trois angles pour ma sélection. D’abord, des personnages historiques, ensuite des personnages un peu plus connus, dont il y avait suffisamment de sources, puis l’angle de l’émotion, avec celles qui m’ont semblé épouvantables dans le crime. Je me suis refusé à évoquer des affaires en cours ou trop contemporaines ». Après la consultation de livres déjà écrits, documents audiovisuels, archives judiciaires et coupures de presse, Marc Lefrançois ne prétend pas à l’exhaustivité mais souhaite apporter suffisamment d’informations « pour se faire une idée assez juste du personnage et de son crime ».

Les préjugés autour des femmes criminelles

« Les hommes de loi furent toujours plus cléments envers les femmes lorsque le crime était reconnu », écrit-il dans son introduction. Sans s’appuyer sur des statistiques – qui n’existent pas pour les femmes criminelles avant le XIXe siècle – Marc Lefrançois a pu constater que les femmes subissaient des préjugés, amenant à des situations paradoxales et donc, souvent, à une certaine « clémence » de la justice. « D’un côté, les femmes sont victimes du préjugé de l’ensorceleuse, lié aux figures mythiques de Médée ou Circé. La femme est associée au mal. D’un autre côté, on pensait qu’elles pratiquaient le crime par faiblesse ou par influence. On observe alors une sorte d’indulgence ou une compassion, fruit d’un préjugé misogyne. Cette dualité est assez étrange ». Si les mots femmes et criminalité portent en effet leur lot de préjugés, « les femmes sont capables de tous les crimes, y compris les plus violents et les plus sanguinaires. Elles ont exactement la même palette de comportements criminels que les hommes », répondent alors Véronique Jaquier et Joëlle Vuille, criminologues et chercheuses à l’université de Lausanne (UNIL), dans un article publié en 2010 dans le magazine de l’université de Lausanne, Allez Savoir ! « Il y a des gens qui se refusent à croire à la culpabilité d’une femme dans des crimes violents, le meurtre d’une famille entière par exemple, parce qu’en tant que « porteuse de vie », elle ne saurait donner la mort, et encore moins à ses propres enfants », poursuivent-elles. Le livre de Marc Lefrançois prouve bien le contraire…

Des meurtrières parisiennes

L’une des premières histoires racontées par Marc Lefrançois est celle de la Marquise de Brinvilliers, célèbre par ce qu’on nommera « l’affaire des poisons » au XVIIe siècle. Jugée et exécutée, « La Brinvilliers fut hissée au rang des plus grandes meurtrières de l’histoire de France », écrit Marc Lefrançois. Elle empoisonna successivement son père, ses deux frères et sa sœur, à six mois d’intervalle.

Il y eut également au début du XXe siècle, Marguerite Steinheil, épouse du peintre, Adolphe Steinheil, et maîtresse du président, Félix Faure, mort en sa présence au palais de l’Élysée, le 16 février 1899. Mais son nom apparaît dans ce recueil de criminelles parce qu’elle serait responsable de la mort de son mari et de sa mère, Émilie Japy, tous deux étranglés à la suite d’un soi-disant cambriolage. Après quelques péripéties, elle sera arrêtée le 4 novembre 1908 et incarcérée à la prison de Saint-Lazare. Le 14 novembre 1909, son avocat, après une plaidoirie de plus de sept heures, obtient son acquittement.

Durant la même période, le procès de Jeanne Weber attire également les foules dans la salle des pas perdus du tribunal de Paris, jugée pour « une affaire d’homicide volontaire sur la personne de trois enfants et une tentative de meurtre sur un quatrième ». Ce ne fut que le premier d’une longue série. Surnommée « l’Ogresse de la Goutte d’Or », elle est plusieurs fois acquittée malgré le nombre d’enfants morts après avoir été laissés sous sa garde. Pour la sauver, une parole d’expert : « Le docteur Brouaudel, s’il affirma que les enfants avaient tous eu une contraction des muscles du larynx, qui ne leur permettaient plus de respirer, il ne pouvait affirmer, en revanche, qu’une main criminelle ait pu agir ». Dix enfants au total, dont les siens, sont retrouvés morts à ses côtés. Un ultime procès la déclare finalement irresponsable sur le plan pénal en 1908 et elle est internée en hôpital psychiatrique.

Ces trois histoires singulières, choisies parmi des dizaines d’autres, illustrent combien il n’existe pas « une criminalité féminine », ni un mode opératoire particulier.

L’évolution des enquêtes de police à Paris

Ce livre permet de découvrir ou redécouvrir des éléments de l’histoire policière et judiciaire de Paris. Des personnages secondaires reviennent aussi régulièrement, comme celui de Gabriel Nicolas de La Reynie, premier lieutenant général de police de Paris sous Louis XIV, qui apparaît notamment dans l’histoire de Lady Olympia Guilfort : « La jeune femme, de nationalité anglaise, avait entrepris d’attirer des jeunes hommes séduisants pour s’offrir à eux avant de les faire décapiter par ses tueurs. Elle faisait ensuite momifier ses conquêtes par un apothicaire de sa connaissance (…). Les têtes étaient destinées à être vendues fort cher à des médecins allemands souhaitant étudier les caractéristiques morales des individus selon la morphologie de leur crâne ». La Reynie incarne les débuts des enquêtes presque « scientifiques », en s’appuyant sur des réseaux d’informateurs naviguant entre criminalité et police. Il est même considéré comme « le père de la police judiciaire française ». Il invente le terme de « commissaire de police », et les répartit entre les 17 quartiers de la capitale. Paris lui doit aussi l’éclairage public (des lanternes étaient installées dans les rues sombres), les premières règles de circulation et de stationnement, le pavage des rues et l’adduction de l’eau. « À partir de La Reynie, on voit une évolution du tâtonnement de la police scientifique qui va durer très longtemps. Tant qu’on n’a pas de preuves, l’émotionnel prend le dessus lors des procès. Petit à petit, on découvre une volonté d’apporter des preuves physiques réelles », détaille Marc Lefrançois.

Ces preuves seront d’autant plus cruciales dans les cas d’empoisonnement. Marc Lefrançois termine d’ailleurs son livre par l’acquittement de Marie Besnard, surnommée « l’empoisonneuse de Loudun » – elle aurait tué douze personnes, dont son mari. « C’est une histoire saugrenue parce que c’est une bataille d’experts, nous dit-il. Un siècle après Jeanne Weber, on n’a toujours pas évolué. Dans son cas, un professeur était intervenu dans plusieurs procès et s’était trompé, ce qui avait permis à Jeanne Weber d’être remise en liberté. Avec Marie Besnard, il y a eu cette même incertitude scientifique. Du fait d’erreurs et d’imprécisions, mais également de maladresses, elle est acquittée alors que j’ai l’intime conviction qu’elle était coupable ».

Les grandes criminelles de l’Histoire. De l’affaire des poisons à nos jours offre donc à ses lecteurs et lectrices un échantillon des célèbres meurtrières en France et à Paris. Pour son auteur, cet ouvrage a tout de même un goût de « frustration », celui de n’avoir « pas pu tout traiter ». Mais, dit-il, « c’est un sujet très sombre dont on ne sort pas indemne. Il est difficile de prendre du recul parfois sur la réalité. Ce qui m’a le plus attristé, durant ce travail, c’est qu’on aimerait que le mal ressemble au mal mais il peut prendre la figure de tout le monde. C’est ça le basculement. Ça peut être une femme aimante, une personnalité aimée de tous et toutes »…

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