Extension juridique du domaine du capitalisme

Publié le 21/05/2024
Extension juridique du domaine du capitalisme
Renáta Sedmáková/AdobeStock

Le capitalisme est polymorphe : il peut se présenter sous de multiples formes tout en conservant des caractéristiques juridiques identiques. C’est un même constat qui a donné naissance à la « nouvelle économie comparée », courant de pensée né à la charnière des XXe et XXIe siècles. La chute de l’URSS, en décembre 1991, généralisa l’illusion d’une fin de l’histoire, au profit du triomphe du libéralisme, aussi politique (démocratie libérale) qu’économique (le « libéralisme »). Très vite cependant la réalité poisseuse reprit ses droits car là où, traditionnellement, la comparaison opposait socialisme et capitalisme, il fallait se rendre à l’évidence que le capitalisme ne recouvrait pas une réalité homogène. La nouvelle comparaison portera alors sur les différentes formes que prend le capitalisme (alternative capitalist models).

Au cours de ces dernières années et sans prétendre à l’exhaustivité, des auteurs ont pu parler de « capitalisme de plateforme », de « capitalisme Dubaï », de « capitalisme woke », de « capitalisme criminel »1, etc. Lorsque l’économiste P.-Y. Gomez essaie de définir le capitalisme, il précise : « Nous voilà donc conduits à explorer un objet, le capitalisme, que nous ne savons pas définir a priori et dont nous ne devons pas considérer l’existence comme naturelle puisqu’une telle naturalisation affaiblit la compréhension qu’on peut en avoir. La rigueur exige en conséquence de partir d’une feuille blanche et de considérer que, quels que soient les avantages et les défauts qu’on lui prête, le capitalisme n’est ni évident, ni inévitable, qu’il est le produit de circonstances, et qu’il pourrait fort bien ne pas ou ne plus exister. Il ne se confond pas avec l’économie »2. Reste néanmoins une constante : le rôle déterminant de la propriété privée. À partir de cette constante, il n’est pas possible de dissocier le capitalisme du cadre juridique dans lequel il se développe.

Les Aspects juridiques du capitalisme moderne de Georges Ripert déroulent explicitement cette intuition forte d’un cadre juridique nouveau qui émergea avec les profondes mutations du droit depuis la Révolution française.

Réfléchir sur l’extension juridique du domaine du capitalisme revient à s’interroger sur les mutations du droit positif au regard de ce qui constitue tout à la fois, pour reprendre les termes de P.-Y. Gomez, « un système », « une croyance collective » pour finalement dessiner « une civilisation », c’est-à-dire une nouvelle conception du droit civil3. Déjà, dès 1967, Fernand Braudel avait proposé une pensée pétillante d’intelligence en ouvrant une voie avec Civilisation matérielle, économie et capitalisme – XVe et XVIIIe siècles4 : le capitalisme, laissa-t-il entendre, n’est pas une idéologie, mais un système économique façonné par les stratégies de pouvoirs.

Est-ce parce que le capitalisme se présente comme le système « le plus naturel »5 que les juristes s’abstiennent de le définir ? Le Vocabulaire juridique ne propose aucune définition. Il lui manquerait « une juridicité native », ce qui est contradictoire car le capitalisme « doit son existence au Droit »6. Dans son ouvrage Aspects juridiques du capitalisme moderne, le doyen Ripert se fend d’une distinction caricaturale entre le juriste et l’économiste : à la rigueur du juriste, l’économiste fait figure de « prophète »7. Le juriste peut bien être rigoureux ; il se dispense de préciser les contours de son objet d’étude alors même qu’il rappelle à plusieurs occasions que le capitalisme n’est pas dissociable de son « milieu juridique » : « Le capitalisme a beau dire qu’il ne demande rien, qu’il lui faut simplement la liberté ; il a beau répéter : laisser faire ; il n’aurait rien pu faire si le législateur ne lui avait pas donné ou permis de prendre les moyens propres à la concentration et à l’exploitation des capitaux. Le droit commun ne lui suffisait pas. Il a créé son droit »8.

Est-ce alors pour rester positiviste qu’il faudrait éviter de prendre parti sur les règles qui structurent ou accompagnent l’extension du domaine du capitalisme ? Sans entrer dans le débat sur la neutralité axiologique du droit, nous rappellerons que l’interprétation juridique d’un mot n’est jamais neutre. Elle est porteuse d’une conception de justice qui est toujours discutable. Vouloir éluder le débat sur la dimension juste ou injuste d’une règle ou de l’interprétation d’un mot, c’est sombrer dans un conventionnalisme extrême qui revient à accorder une onction de vérité par l’argument de la légalité du pouvoir en place. Si gratuit peut vouloir dire payant, comme nous l’a expliqué le Conseil constitutionnel9, « le nom qu’on assigne à un objet est le nom juste ; le change-t-on ensuite en un autre, en abandonnant celui-là, le second n’est pas moins juste que le premier »10. Pour le dire autrement, tout peut se justifier au nom de contraintes budgétaires ou du contexte11. Mais ce n’est pas parce que tout est justifiable qu’il faut approuver une subversion complète du sens commun d’un mot. Comme l’expliquait Chaïm Perelman, l’interprétation en droit oscille entre le rationnel et le raisonnable. À partir du moment où les règles sont imbriquées dans l’organisation et le fonctionnement de l’économie, toute interprétation devient soit un acte d’approbation… soit de contestation.

Si le capitalisme est, comme nous l’avons rappelé, à la fois un « système », une « croyance collective », voire « une civilisation », ou pour parler comme le sociologue Marcel Mauss, « un fait social total », c’est parce qu’il constitue un projet politique complet : système de répartition du capital entre ceux qui détiennent les ressources et ceux qui en ont besoin pour produire et assurer leur subsistance, il se conjugue avec le libéralisme, conception du politique qui érige la liberté individuelle en principe cardinal et l’économie de marché, mécanisme régulateur censé assurer la meilleure répartition des ressources et des richesses tout en respectant les droits des individus12.

Comme l’a montré Pierre Rosanvallon, « l’affirmation du libéralisme économique traduit plus profondément l’aspiration à l’avènement d’une société civile immédiate à elle-même, autorégulée. Cette perspective, apolitique au sens fort du terme, fait de la société de marché l’archétype d’une nouvelle représentation du social : c’est le marché (économique) et non pas le contrat (politique) qui est le vrai régulateur de la société (et pas seulement de l’économie) »13.

Dans ce cadre, exposer les facettes de l’extension juridique du domaine du capitalisme, c’est précisément considérer que les règles comme les jurisprudences ne sont pas neutres et qu’une mise en perspective critique est indispensable pour éviter que les règles ne se confondent avec les faits et reviennent ni plus ni moins à se satisfaire de l’ordre établi.

La présente chronique veut à partir, à chaque fois, d’un ouvrage sur le capitalisme, généralement écrit par des économistes, des sociologues ou des journalistes, qui n’articulent pas spécialement leurs propos avec des considérations juridiques, esquisser un tableau critique de ces règles qui accompagnent et structurent le capitalisme avec, en filigrane, la réflexion de Kant en réponse à Adam Smith : « Tout a ou bien un prix, ou bien une dignité. On peut remplacer ce qui a un prix par son équivalent ; en revanche, ce qui n’a pas de prix, et donc pas d’équivalent, c’est ce qui possède une dignité »14.

L’extension juridique du domaine du capitalisme ici exposée, c’est quand la dignité cède sur le prix et que la possibilité de faire valoir ses droits cède sur la nécessité des contraintes financières.

I – Le capitalisme paradoxant : une responsabilité sociale sans les salariés

Le « capitalisme paradoxant »15 décrit l’avènement d’une société traversée en permanence d’injonctions paradoxales : « Dans une relation, l’injonction paradoxale est fréquente. Elle n’est pas en soi pathogène. Elle devient destructrice pour celui à qui elle s’adresse lorsqu’elle devient systématique et lorsque la relation entre le donneur et le receveur de l’injonction se déploie dans un cadre contraignant »16. Les discours lénifiants sur la responsabilité sociale des entreprises engendrent un paradoxe inédit : ils érigent les salariés en parties prenantes de l’entreprise en même temps que leurs droits sont considérablement amoindris.

A – Les salariés et le calcul de la participation

Par une décision du 24 janvier 202417, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l’article L. 3326-1 du Code du travail en vertu duquel « le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Ils ne peuvent être remis en cause à l’occasion des litiges nés de l’application du présent titre ». Derrière l’apparente neutralité des écritures comptables, il y a un enjeu : le calcul de la participation des salariés. À la suite d’opérations sciemment dissimulées aux salariés, les syndicats avaient obtenu en appel qu’une opération de prêt, donc de réduction du bénéfice imposable en raison du paiement des intérêts d’emprunts par l’entreprise, leur soit inopposable afin de pouvoir obtenir un nouveau calcul de la participation18. La cassation avait été prononcée au visa de l’article L. 3326-1 du Code du travail aux motifs surprenants : « Attendu, selon ce texte, d’ordre public absolu, que le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l’entreprise sont établis par une attestation de l’inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes et qu’ils ne peuvent être remis en cause à l’occasion des litiges relatifs à la participation aux résultats de l’entreprise (…), quand bien même l’action des syndicats était fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de la société »19. Une fois les comptes arrêtés fixant le montant du bénéfice net et des capitaux propres, quand bien même ces comptes seraient la conséquence de manœuvres de la part de l’employeur, les salariés ne disposent d’aucune voie de droit pour obtenir l’effectivité des règles en matière de participation.

Cette solution était très critiquable pour plusieurs raisons. Le bénéfice net se calcule par la soustraction des impôts que l’entreprise doit acquitter. Le calcul de la participation dépend du bénéfice net comme du montant des capitaux propres. Toutes les opérations, et notamment les emprunts qui augmentent les charges de l’entreprise, réduisent mécaniquement le montant de la participation. Énoncer que l’article L. 3326-1 du Code du travail relève de l’ordre public absolu, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’y déroger, revient à accorder une présomption quasi irréfragable de sincérité aux comptes de l’entreprise sous prétexte qu’ils ont été certifiés par un tiers, en l’occurrence un inspecteur des impôts ou un commissaire aux comptes. Pratiquement, sauf à ce que l’entreprise en fasse une demande expresse auprès de l’administration fiscale20, l’effectivité des règles en matière de participation dépend du commissaire aux comptes. Les écritures comptables, actes constatifs deviennent des actes performatifs : elles ne se contentent plus de décrire les opérations mais leur confèrent le pouvoir de créer une situation de droit.

L’extension du domaine juridique du capitalisme est ici complète. La comptabilité n’est pas un instrument neutre. Max Weber l’a parfaitement montré : la recherche du profit repose sur la mise en œuvre de moyens rationnels, dont l’outil comptable – « il n’y aurait pas eu de capitalisme s’il n’avait pas été possible d’utiliser une de ces manières de faire, la « comptabilité en partie double »21. L’utilisation contemporaine des normes comptables a été identifiée comme un moyen indispensable pour obtenir le profit le plus élevé. Les juges prennent acte ici de cette mutation.

Mais ce n’est pas tout. Le principe fraus omnia corrumpit qui est supposé permettre de contester une manipulation des règles au détriment des droits d’individus vaut dans tous les domaines… sauf en droit du travail – en somme, près de 20 millions de personnes voient leurs droits restreints. Comme s’il était inconvenant de vouloir soulever le voile de l’apparente neutralité des comptes. « Fraude juridique » avait dénoncé un éminent magistrat22 et une restriction des droits qui s’est révélée être la contrepartie fournie par des magistrats à la société en cause dans le conflit qui les rémunérait indirectement23.

Dans ce contexte, la décision du Conseil constitutionnel n’en est que plus scandaleuse : « Les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif ». D’une part, elle présuppose au mépris du réel que l’administration fiscale est l’organe régulateur des relations au sein de l’entreprise. Plutôt que de censurer le texte et de reconnaître un droit d’agir aux salariés ou à leurs syndicats, la haute juridiction encourage la délation auprès de l’administration fiscale – l’administration fiscale, qui contrôle les déclarations effectuées pour l’établissement des impôts, peut, le cas échéant sur la base de renseignements portés à sa connaissance par un tiers (c’est nous qui soulignons). D’autre part, nous sommes clairement dans une situation où les personnes concernées ne peuvent pas agir mais cela ne constitue pas une atteinte disproportionnée ! Toutes choses étant égales par ailleurs, si le législateur décidait de supprimer la possibilité de se constituer partie civile, il serait possible de soutenir que cela ne constitue pas une atteinte disproportionnée à un recours effectif à partir du moment où les victimes peuvent écrire au procureur de la République. En résumé, les salariés sont des parties prenantes à l’entreprise à condition de ne pas en bousculer son outil cardinal : la comptabilité.

B – Les salariés et le droit aux congés payés

Autre injonction paradoxale que la jurisprudence du Conseil constitutionnel illustre une nouvelle fois, la primauté du droit communautaire sur le droit interne n’exclut pas de maintenir dans l’ordre juridique un texte contraire au droit communautaire à partir du moment où il limite les droits des salariés.

En l’occurrence, la question était la suivante : un salarié peut-il acquérir ses droits aux congés payés lorsqu’il est en arrêt maladie ? La Cour de cassation avait signalé dès son rapport annuel de 201324 et également dans ceux de 2014 à 2019 qu’il était nécessaire « de modifier l’article L. 3141-5 du Code du travail afin d’éviter une action en manquement contre la France et des actions en responsabilité contre l’État du fait d’une mise en œuvre défectueuse de la directive ». Les juges communautaires avaient en effet considéré que la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 « n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, de courte ou de longue durée, pendant la période de référence et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période… S’agissant de travailleurs en congé de maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par la directive n° 2003/88 elle-même à tous les travailleurs (…) ne peut pas être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État…Les travailleurs absents pour une cause de maladie, situation imprévisible et indépendante de leur volonté, ne sauraient être exclus du droit aux congés payés »25. Face au silence du législateur, par un arrêt en date du 13 septembre 202326, la Cour de cassation a écarté les dispositions du droit interne non conformes au droit communautaire. Dans son communiqué, elle a précisé qu’« en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail ; la prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile ».

Là où les congés payés dépendent en droit français du temps de travail effectif, ils sont en droit communautaire la conséquence du statut de salarié. Pour le dire d’une autre manière, la subordination du salarié a pour corollaire l’acquisition de droits qui ne saurait fluctuer en fonction des périodes de travail effectif. Seule limite prévue : « L’absence du salarié ne peut avoir pour effet d’entraîner une réduction de ses droits à congé plus que proportionnelle à la durée de cette absence » (C. trav., art. L. 3141-6).

La question de la constitutionnalité des articles du Code du travail considérés par la Cour de cassation comme incompatibles avec le droit communautaire a été transmise au Conseil constitutionnel ; ces textes ont été déclarés conformes à la Constitution27. Injonction paradoxale s’il en est qui finalement n’a qu’un seul intérêt : limiter le coût de l’exercice des droits par les salariés pour les entreprises quitte à rendre inéluctable les actions en responsabilité de l’État28, bref, étendre ce qui constitue le paradoxe le plus flagrant des règles applicables dans le capitalisme contemporain : la privatisation des profits et la socialisation des pertes29.

II – Le capitalisme de plateforme

« Le capitalisme de plateforme »30 constituerait la mutation contemporaine du capitalisme dans sa recherche incessante du profit – « les plateformes désignent des infrastructures numériques qui permettent à deux ou à plusieurs groupes d’interagir. Elles agissent donc comme intermédiaires entre différents usagers : clients, annonceurs publicitaires, prestataires de services, producteurs, fournisseurs et même des objets physiques »31. L’auteur distingue :

• les plateformes publicitaires ;

• les plateformes nuagiques ;

• les plateformes industrielles ;

• les plateformes de produits à la demande ;

• et enfin, les plateformes allégées, comme Uber, qui sont au cœur de cette chronique. Ces plateformes redonnent corps au marché des travailleurs journaliers et obligent les travailleurs qualifiés « d’entrepreneurs indépendants » d’accepter toutes les tâches pour survivre.

Chaque modèle entraîne un bouleversement des règles applicables au secteur concerné. Le législateur est alors obligé de se demander s’il change les règles applicables pour maintenir les droits des individus ou s’il préfère que la plateforme impose ses règles. Autrement dit, accepter et se soumettre à l’évolution technologique du capitalisme ou au contraire essayer d’affirmer la primauté du droit sur des modèles économiques dont la rentabilité repose sur l’éviction des règles, notamment sociales, applicables aux individus.

Dans ce cadre, le législateur français a rajouté un chapitre dans le Code du travail consacré à la « Responsabilité sociale des plateformes » (C. trav., art. L. 7342-1 à 7342-7) qui n’a pas de portée pratique. Une directive européenne beaucoup plus ambitieuse a été proposée : « Ce cadre inclut des procédures appropriées permettant de veiller à ce que le statut professionnel des personnes exécutant un travail via une plateforme soit correctement déterminé, conformément au principe de primauté des faits ; il prévoit aussi une présomption réfragable de relation de travail (y compris une inversion de la charge de la preuve) pour les personnes qui travaillent par l’intermédiaire de plateformes de travail numériques qui contrôlent certains éléments de l’exécution de leur travail. Cette présomption légale s’appliquerait dans toutes les procédures judiciaires et administratives, notamment les procédures engagées par les autorités nationales compétentes pour faire respecter les règles en matière de travail et de protection sociale, et pourrait être réfutée en prouvant l’absence de relation de travail au sens des définitions nationales. Ce cadre devrait profiter à la fois aux faux et aux vrais travailleurs indépendants qui exercent leur activité via des plateformes de travail numériques »32. Les discussions sur l’adoption de ce texte sont révélatrices de l’inconsistance de la notion de responsabilité sociale comme des tendances régressives du droit contemporain afin de privilégier la dynamique capitaliste au détriment des droits des individus.

III – Le capitalisme « woke » : quand les sociétés font la société

Dans son ouvrage Le Capitalisme woke. Quand l’entreprise dit le bien et le mal33, Anne de Guigné, journaliste au Figaro, tente de montrer comment les « grandes entreprises occidentales participent… au vaste exercice de la définition du bien commun » ; ce qui, selon elle, illustre le capitalisme woke.

Devenu en quelques années une composante du débat publique, le wokisme, issu du passé simple du verbe anglais to wake, se réveiller, est un mot-valise, fourre-tout diront certains, qui désigne le fait d’être sensible aux questions de justice sociale (au sens large) et aux discriminations, en particulier le racisme34, dans la société. En bref, cela rassemble toute prise de position en défense des minorités et des causes « sociales ». Jean-Claude Michéa y voit un « néolibéralisme culturel »35, dans lequel « la gauche et l’extrême gauche contemporaines… trouvent leur catéchisme de substitution » à la critique marxiste du capitalisme. Faut-il rappeler que, selon Marx, le capitalisme crée une société individualiste et atomisée suscitant les fils invisibles qui enserrent les individus dans des classes (capitaliste, ouvrier…), dont les relations hiérarchiques créent des rapports de domination.

Mettons de côté, quoiqu’elles soient fondamentales, les analyses philosophiques et psychanalytiques de « la religion woke »36, qui démontrent les dangers d’une idéologie identitaire qui s’attaque directement à la rationalité. S’il est un fait que « ce qui était naguère qu’une curiosité américaine est devenu, à une vitesse extraordinaire, le discours officiel de nos élites », le droit n’est pas (pas encore ?) asservi à cette idéologie et continue à offrir un cadre plus mesuré.

Il y aurait toutefois matière à discussion sur les dangers de porter atteinte à des institutions telles que celle de l’état civil, afin de répondre à cette irrationnelle idée que seule compte la conscience que l’on a d’être femme, homme ou n’importe quoi d’autre contre l’évidence du corps dans lequel nous venons à être (théories du genre). La relativisation de l’état civil constitue une magnifique aubaine pour toutes les opportunités de fraude et conduirait sans doute à une instrumentalisation de l’identité. Mais cela demeure trop éloigné de nos propos sur le capitalisme (quoique permettre de brouiller l’identité faciliterait indiscutablement la fraude fiscale !).

Il n’en demeure pas moins que les analyses précitées pointent du doigt le fait que, dans le sillage woke, les entreprises, réceptives, s’adaptent parfaitement comme le relève leur emploi d’un vocabulaire mettant en avant des notions comme la diversité, l’équité, l’inclusion, etc… Emploi dont on peut questionner la sincérité.

Dans son Dictionnaire des mots haïssables37, Samuel Piquet offre la définition suivante : « Progressisme arrivé à maturité ». Au-delà de la jolie tournure sarcastique, cela n’éclaire guère. En revanche, sa définition du wokefishing est plus concrète, s’agissant d’un comportement qui « consisterait à feindre un engagement féministe, antiraciste, animaliste ou plus largement progressiste pour attirer des militants dans ses filets ». La pente naturelle de cette définition est un rapprochement avec « la notion de “séduction” » car, poursuit-il, « il est rare en effet qu’on tente de séduire autrui en révélant d’emblée tout ce qui est susceptible de lui déplaire ».

Le woke capitalism38 serait donc un capitalisme éveillé (au moins sur le terrain du marketing) aux injustices, personnifié par les entreprises manifestant leur soutien aux causes activistes, dites de « justice sociale » et de défense des groupes minoritaires. La campagne publicitaire de Nike, avec Colin Kaepernick, joueur de football américain qui n’a plus été recruté dans aucun club après avoir posé un genou à terre durant l’hymne américain lors de matchs de la NFL (en 2016), est une magnifique illustration de récupération marketing, la publicité mettant en avant le slogan « believe in something, even if it means sacrificing everything ».

En pratique toutefois, le terme de capitalisme woke, que présente l’ouvrage d’Anne de Guigné mais également les références américaines précitées, semble bien recouvrir toutes les hypothèses dans lesquelles une cause « sociétale » est intégrée par une entreprise privée dans son organisation et sa communication. Le capitalisme « woke » ne doit-il pas alors être rapproché de la nébuleuse de la RSE, la responsabilité sociale des entreprises ?

Nous laissons de côté le débat sur les termes eux-mêmes constitutifs du sigle, responsabilité sociale/sociétale des entreprises/environnementale, plutôt vain : le phénomène n’étant pas juridique, mais en cours de juridicisation39. La question pertinente est celle de l’identification d’un droit qui manifeste ce phénomène initialement seulement politique et de gestion des entreprises. En outre, si la RSE est petite-fille de la CSR (corporate social responsibility) états-unienne, d’une part, les aspects environnementaux ont toujours été englobés dans le « social » et, d’autre part, nous assistons à un glissement de la responsibility (au sens éthique, moral et philosophique) à la liability (responsabilité au sens juridique). Personne ne propose toutefois de parler de CSL. La responsabilité juridique de l’entreprise est pourtant bien l’instrument de mise en œuvre de la RSE, et c’est ainsi que nous comprenons le titre, très pertinent, de l’article d’Emmanuelle Mazuyer : le droit étant un instrument, ici mis au service d’une conception changeante du rôle de l’entreprise.

Mais alors, en dehors de la RSE (qui ne relève pas en elle-même du mouvement woke), peut-on identifier des mécanismes juridiques qui traduisent ou sont en relation avec ce capitalisme woke mis en avant par l’air du temps ?

A – Des éléments diffus

Sans traduction textuelle, les propos tenus par les élites acquises, avec plus ou moins de sincérité, aux thèmes woke peuvent toucher directement aux institutions juridiques. Ainsi, Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, qui, au moment des manifestations pour Adama Traore, se déclara prêt à mettre un genou à terre (symbole de la lutte contre le racisme aux États-Unis) et indiquant « l’émotion mondiale, qui est une émotion saine sur le sujet, dépasse au fond les règles juridiques »40.

Mais c’est essentiellement sur le terrain de la communication et du marketing que les entreprises s’emparent du sujet, en dehors de toute injonction légale spécifique. Ce sera donc sur le terrain de la réputation et de l’affichage que la diversité, par exemple, est mise en scène dans l’organisation sociétaire : ainsi des programmes internes et des actions de sensibilisation de grandes entreprises envers leurs salariés aux thèmes LGBTQI+ ou autres minorités. Ainsi également des prises de position médiatisées des entreprises sur le terrain racial41. Quant au droit, du travail en particulier, il pose en règle la non-discrimination (principe fondamental qui dépasse les seules relations de travail), mais ne s’aventure pas à exiger la catégorisation identitaire à des fins d’attribution de droits subjectifs.

Il convient d’ailleurs d’éviter tous les parallèles ou les rapprochements, sciemment de mauvaise foi ou par manque de réflexion, avec les mesures visant à assurer positivement la parité42, celles relatives à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées43 ou encore les mesures restreignant ou encadrant la publicité44. Aucune de ces mesures ne peut se rattacher aux idées woke car, à l’opposé de celles-ci, elles ne visent pas à faire disparaître le corps (théorie du genre postulant que seule la conscience du genre importe), ni à enfermer un individu dans sa singularité (théorie critique de la race postulant un racisme systémique), encore moins de potentialiser les identités victimaires (théorie de l’intersectionnalité).

Quant à l’imposant train de mesures lié à la protection de l’environnement, dont le tentaculaire Pacte vert européen, s’il s’inscrit indiscutablement dans la logique RSE, il ne se rattache pas au « capitalisme éveillé », même s’il n’est pas exclu de trouver des « collapsologues » ou des « éco-anxieux » partageant l’idéologie woke.

B – Le capitalisme woke n’est pas la RSE

De ce point de vue, l’ouvrage d’Anne de Guigné met sous une même bannière, celle du capitalisme woke, des éléments radicalement différents en droit : d’une part, le fonctionnement et la responsabilité (juridique) des organisations privées (sociétés commerciales en première ligne, mais également des associations ou fondations, et incluant le secteur public), et d’autre part, l’idéologie woke.

Si cette dernière n’a donc que peu de prise sur le droit (qui conserve une part de rationalité sur le papier du moins), ce n’est pas le cas de la RSE qui intègre progressivement le « droit dur ». La juridicisation et la légalisation (le terme de droitisation serait approprié… s’il ne renvoyait malheureusement à un positionnement sur l’échiquier politique) de la RSE est un simple constat : phénomène initialement sans lien avec les mécanismes juridiques, car relevant de la science de gestion et des sciences économiques, c’est désormais une orientation substantielle des textes en matière de droit des affaires (touchant au droit des sociétés en particulier, mais non exclusivement45).

Mais la RSE ne relève pas du wokisme, sauf à prendre ce dernier terme comme un « éveil à tous les enjeux sociaux » ; ce qui rejoindrait la définition proposée par Samuel Piquet (cité ci-avant) de « progressisme arrivé à maturité ».

Ainsi, lorsque pour exposer ce capitalisme woke, il est fait état de la « démocratie actionnariale » ou encore de la « CSRD »46, la directive imposant des obligations en matière de durabilité, c’est bien du rôle et du fonctionnement des entreprises qu’il s’agit, c’est-à-dire des débats issus des discussions relatives au développement durable et sur la place de l’entreprise au sein des sociétés contemporaines (missions, responsabilité juridique, responsabilité morale (?) ou éthique…), non des théories du genre, ni de la théorie critique de la race, ni enfin de l’intersectionnalité.

Mais si le droit français (et européen) des affaires ne donne pas prise au wokisme, le comportement volontaire des dirigeants et des entreprises commerciales, sur le terrain de la séduction de leurs consommateurs ou de leur image de marque ou encore de la gestion du risque réputationnel s’emparent potentiellement, rassurant leur bonne conscience à peu de frais, de certaines thématiques « sociétales ». Cela n’en fait pas des tenants de la religion woke (qui se croise surtout dans les discours politiques et… universitaires).

Emblématique de cette volonté du monde de l’entreprise d’apparaître tels de « saints patrons » volant au chevet de la société, est le billet publié par quatre représentants du patronat et des entrepreneurs dans La Tribune du 10 décembre 2019. Sous le titre de « L’économie du Bien commun, réponse aux défis de notre pays ! », les signataires indiquaient « il s’agit de viser le bien, ainsi que le plein épanouissement de tous les membres de notre communauté nationale, européenne et mondiale, de notre communauté présente mais aussi de la communauté à venir et des générations qui vont nous succéder »47. L’emphase mise à part, le texte eut peut-être satisfait Charles Fourrier, le père des phalanstères, dont la folle utopie n’allait toutefois pas à viser la planète entière.

À défaut d’un droit des affaires « wokisant », à mettre au crédit de la fonction stabilisatrice du droit, il n’en demeure pas moins que, comme l’écrivait Raymond Aron en 1969, dans Les Désillusions du progrès, « l’apaisement des conflits exige, en tout état de cause, l’élévation du niveau de vie, mais la protestation contre les inégalités, individuelles ou collectives, excessives ou injustifiées, demeure le ressort du mouvement historique ».

Et le droit n’est-il pas qu’un produit de ce mouvement historique ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    Ces déclinaisons valident pleinement le projet méthodologique de la nécessité d’une « nouvelle économie comparée mise en avant par S. Djankov, E. Glaeser, R. La Porta, F. Lopez-de-Silanes, A. Shleifer, “The new comparative economics”, Journal of Comparative Economics 2003, vol. 31, p. 595.
  • 2.
    P. Y. Gomez, Le Capitalisme, 2022, PUF, QSJ, p. 13.
  • 3.
    P. Legendre, Ce que nous appelons le droit. Entretien avec Pierre Legendre, Le Débat 1993/2, n° 74, p. 98-111.
  • 4.
    Prolongeant sa thèse de 1947 (publié en 1949), La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Braudel s’attèle à Civilisation à la demande de Lucien Febvre dès 1952, et si le premier volume paraît en 1967, l’édition définitive attendra 1979. Elle aura un immense retentissement, en particulier aux États-Unis après sa traduction.
  • 5.
    M. Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, 2002, J’ai lu, Livre de Poche, p. 96.
  • 6.
    G. Cornu et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 2021, PUF : « La présence formelle d’un mot dans un texte de Droit (loi, jugement, etc.) n’était ni nécessaire ni suffisante pour l’accréditer comme terme juridique. La référence fondamentale à ce qu’il désigne était seule décisive. Elle permit de reconnaître une juridicité native à tout ce qui doit son existence au Droit, c’est-à-dire, d’une part, à tout ce que le Droit établit (les institutions juridiques), d’autre part, à tout ce qui ne peut se constituer que conformément au Droit (d’où l’entrée sans problème de tous les actes juridiques qui demandent au Droit la définition de leurs éléments constitutifs »).
  • 7.
    G. Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, 1re éd., 1946, LGDJ, p. 5.
  • 8.
    G. Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, 1re éd., 1946, LGDJ, p. 53.
  • 9.
    Cons. const., QPC, 11 oct. 2019, n° 2019-809 : « Il résulte du 13e alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public. Cette exigence ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants ».
  • 10.
    Platon, Cratyle, 384 d.
  • 11.
    Le professeur P. Conte conclut un édito sur le sujet dans lequel il soutient tout et son contraire par un positivisme exacerbé : « Nulle morale, pas plus qu’aucune religion, ne saurait primer sur la loi » : Censure – Les contextes du contexte, Dr. pén. 2024, n° 2, repère 2. Quand le positivisme devient l’argument de la bonne conscience…
  • 12.
    Définition très largement inspirée par la lecture des ouvrages de P. Jorion.
  • 13.
    P. Rosanvallon, Le Capitalisme utopique, 3e éd., 1999, éd. du Seuil, préf., p. II.
  • 14.
    E. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, disponible en ligne.
  • 15.
    V. de Gaulejac et F. Hanique, Le Capitalisme paradoxant. Un système qui rend fou, 2015, éd. du Seuil.
  • 16.
    V. de Gaulejac et F. Hanique, Le Capitalisme paradoxant. Un système qui rend fou, 2015, éd. du Seuil p. 134.
  • 17.
    Cons. const., QPC, 24 janv. 2024, n° 2023-1077.
  • 18.
    CA Versailles, 6e ch., 2 févr. 2016, n° 15/01292.
  • 19.
    Cass. soc., 28 févr. 2018, n° 16-50015.
  • 20.
    C. trav., art. D. 3325-1 : « Sur demande de l’entreprise, l’attestation du montant du bénéfice net et des capitaux propres est établie soit par le commissaire aux comptes, soit par l’inspecteur des impôts ».
  • 21.
    P. François et C. Lemercier, Sociologie historique du capitalisme, 2021, La découverte, p. 528.
  • 22.
    P. Sargos, « La fraude juridique », JCP G 2018, n° 24.
  • 23.
    CEDH, 14 déc. 2023, n° 41236/18, Syndicat National des Journalistes et a. c/ France, pt 52. La Cour constate d’ailleurs que, dans son avis du 19 décembre 2019, le CSM a lui-même considéré comme établie « la participation régulière et rémunérée des trois magistrats aux journées d’études organisées par [la société, ce qui] constituait un lien d’intérêt entre eux » (paragraphe 20 ci‑dessus). S’agissant de la rémunération, il n’est pas contesté que les trois conseillers mis en cause étaient payés par WKF à hauteur d’environ 1 000 euros la journée d’intervention et de 500 à 600 euros la demi-journée. Pour la Cour, outre le fait que le gouvernement n’établit pas en quoi il s’agissait d’une « rémunération forfaitaire conforme aux usages » (paragraphe 38 ci-dessus), les sommes perçues ne sauraient être qualifiées de négligeables, et ce malgré le caractère ponctuel de leur versement, la rémunération versée par WKF pour une journée d’intervention équivalant au montant du salaire mensuel net minimum en France, comme le soulignent les requérants (paragraphe 36 ci-dessus).
  • 24.
    Cour de cassation, rapp. annuel 2013, p. 64-65.
  • 25.
    CJUE, gde ch., 20 janv. 2009, n° C-350/06, Gerhard Schultz-Hoff contre Deutsche Rentenversicherung Bund et Stringer et a. c/ Her Majesty’s Revenue and Customs (C-520/06).
  • 26.
    Cass. soc., 13 sept. 2023, n° 22-17340.
  • 27.
    Cons. const., QPC, 8 févr. 2024, n° 2023-1079.
  • 28.
    CE, ass., 8 févr. 2007, n° 279522, M. Gardedieu : RFDA 2007, p. 361, concl. L. Derepas : « Lorsque la loi inconventionnelle intervient dans le champ du droit privé, la question est plus délicate mais nous semble appeler une réponse analogue. Si une loi inconventionnelle crée un préjudice dans le chef d’une personne privée dans ses relations avec une autre personne privée, cela signifie dans la plupart des cas que cette loi a mis à la charge de la première une obligation que l’application de la norme internationale lui aurait épargnée : la loi peut ainsi, en contradiction avec une norme internationale, prévoir ou prohiber le paiement d’une somme, ou encore restreindre ou étendre la responsabilité civile en-deçà ou au-delà de ce que cette norme permet. Au regard de la norme internationale, la seconde personne aura donc bénéficié d’un enrichissement sans cause ».
  • 29.
    Sur ce principe, P. Jorion, « La sortie du capitalisme », Le Débat 2009, n° 157, p. 17-30.
  • 30.
    N. Srnicek, Le capitalisme de plateforme. L’hégémonie de l’économie numérique, 2018, Lux.
  • 31.
    N. Srnicek, Le capitalisme de plateforme. L’hégémonie de l’économie numérique, 2018, Lux, p. 31.
  • 32.
    PE et Cons. UE, prop. dir. n° 2021/0414, relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme, COM (2021) 762 final.
  • 33.
    A. de Guigné, Le Capitalisme woke. Quand l’entreprise dit le bien et le mal, Les Presses de la Cité, 2022.
  • 34.
    Le mot proviendrait initialement de l’argot noire-américain (ou afro-américain) pour désigner l’éveil au racisme, et plus particulièrement aux discriminations dont faisait alors l’objet de manière institutionnelle la communauté noire aux États-Unis pré-Brown (c’est-à-dire avant 1954, date de la décision de la Cour suprême des États-Unis jugeant contraire à la Constitution la ségrégation raciale). Il est évident que ce n’est pas en un battement de décision de la Cour que le contexte social américain se débarrasse de toutes les discriminations à l’égard de la population noire, expliquant que la destinée du terme ne s’éteigne pas au milieu du XXe siècle.
  • 35.
    J.-C. Michéa, Extension du domaine du capital. Notes sur le néolibéralisme culturel et les infortunes de la gauche, 2023, Albin Michel.
  • 36.
    J.-F. Braunstein, La Religion woke, 2022, Grasset ; adde E. Roudinesco, Soi-même comme un roi, 2022, Seuil.
  • 37.
    Publié aux éditions Le Cherche Midi, 2023.
  • 38.
    V. Ramaswamy, Woke, Inc., Inside Corporate America’s Social Justice Scam, 2023 ; C. Gasparino, Go Woke, Go Broke, The Inside Story of the Radicalization of Corporate America, 2024 ; Xi Van Fleet, Mao’s America, A survivor’s Warning, 2023 ; C. Rhodes, Woke Capitalism : How Corporate Morality is Sabotaging Democracy, 2021.
  • 39.
    E. Mazuyer, « L’instrumentalisation de la responsabilité sociale de l’entreprise en droit français », Les Cahiers de droit 2021, vol. 62, n° 3, p. 653 ; E. Mazuyer, « La responsabilité sociale de l’entreprise et ses relations avec le système juridique », Revue canadienne Droit et Société 2011, vol. 26, n° 1, p. 177 ; adde P. Pailot, « Diane de Saint-Affrique, Loi sur le devoir de vigilance : éléments d’analyse d’une forme de juridicisation de la RSE », Management international 2020, vol. 24, n° 2, p. 109.
  • 40.
    Rapporté par Philippe Foussier, dans sa recension de Jean-François Braunstein, La religion woke, Humanisme 2023/3 (n° 340), p. 116, spéc. p. 118. Dans un autre registre, on observe que les institutions publiques s’affichent partenaires ou promeuvent des actions qui relèvent de ces discours, sans toutefois édicter de normes ou règles juridiquement contraignantes, v. par ex., l’office du tourisme Paris je t’aime, proposant de prendre un billet pour « visiter le Paris LGBTQI », sur le site duquel on trouve les logos de la Ville de Paris, la CCI Paris et Ile de France, la Métropole du Grand Paris, Atout France (Agence de développement touristique de la France, GIE, opérateur de l’État français en matière de tourisme, créé par la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques), et de Choose Paris Region (dispositif facilitant, depuis 2016, l’installation d’entreprises étrangères, mis en place par divers acteurs publics relevant du ministère de l’Économie).
  • 41.
    V., ex. parmi d’autres, « Les géants des cosmétiques tentent de purger leurs marques de tout stéréotype racial », Le Monde, 27 juill. 2020.
  • 42.
    En particulier, L. n° 2011-103, 27 janv. 2011, loi Copé-Zimmermann – L. n° 2021-1774, 24 déc. 2011, loi Rixain – PE et Cons. UE, dir. n° 2022/2381, 23 nov. 2022, dite Women on board, relative à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs des sociétés cotées.
  • 43.
    L. n° 2005-102, 11 févr. 2005, avec, par ex., l’adoption d’un référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA) aux services de communication (internet, intranet, extranet) dont la mise en œuvre contraignante résulte du décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019. On ajoutera la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, la directive n° 2016/2102 du 26 octobre 2016, relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public, ainsi que la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
  • 44.
    Les justifications sont ici la protection des consommateurs, de la santé publique ou encore de la concurrence. Plus récemment sont apparues des contraintes liées à transition énergétique et climatique, soit pour réduire l’empreinte des dispositifs publicitaires (sobriété énergétique, pollution lumineuse, préservation de la biodiversité nocturne, préservations des espaces marins), soit interdire la « publicité relative à la commercialisation ou faisant la promotion des énergies fossiles » (L. n° 2021-1104, 22 août 2021).
  • 45.
    Nous ne reprenons pas l’étrange « droit de la compliance », sur lequel nous reviendrons dans une prochaine livraison. Disons à ce stade, qu’un doute certain (qui n’a rien de pascalien) sur la spécificité de celui-ci en tant que mécanisme juridique nous empêche d’y voir autre chose que l’application des outils classiques d’un système de droit. Ce doute ne s’étend pas au développement des exigences dites « de conformité », qui est une managérialisation du droit (techniquement, ne s’agit-il pas d’un transfert d’une mission de police administrative aux opérateurs privés, pourtant prohibé normalement).
  • 46.
    La Politique privatisée ?, chapitre 6, de A. de Guigné, Le Capitalisme woke. Quand l’entreprise dit le bien et le mal, 2022, Les Presses de la Cité.
  • 47.
    Les signataires : Blandine Mulliez (Fondation Entreprendre), François Asselin (CPME), Geoffroy Roux de Bézieux (Medef) et Philippe Royer (EDC).
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