Val-de-Marne (94)

À Noiseau, la difficile installation de jeunes agriculteurs

Publié le 09/08/2023
À Noiseau, la difficile installation de jeunes agriculteurs
DiedovStock/AdobeStock

Face aux aléas climatiques, aux contraintes environnementales, à la crise économique et à l’appétit des pelleteuses, de jeunes agriculteurs continuent de croire en l’avenir de l’agriculture francilienne et font le pari de s’installer. Alors que de nouvelles règlementations veulent réduire l’artificialisation des sols, les agriculteurs veulent croire en leur avenir en Île-de-France, mais ce défi rime parfois avec parcours du combattant.

Dans les grandes plaines céréalières, les vallons maraîchers et les champs verdoyants qui cernent la capitale, des générations d’agriculteurs façonnent depuis des siècles le paysage. 49 % de la région est consacrée à l’agriculture, soit près de 569 000 hectares de terres cultivées (dont 89 % sont consacrées aux céréales et tournesol/colza). 45 % du département de l’Essonne est consacré aux cultures céréalières et les Yvelines (70 % de céréaliers). Des terres qui, à l’heure des grandes promesses politiques de sanctuarisation, restent toujours menacées par l’artificialisation des sols. Ces hommes et femmes nourrissent les ventres des millions de Franciliens, tout comme leurs imaginaires. Chaque année, le Salon de l’agriculture fait carton plein (615 000 visiteurs lors de la dernière édition).

Mais l’Essonne agricole pourrait bien être un colosse aux pieds d’argile. Comme sur le reste du territoire, les agriculteurs sont aux premières loges pour prendre de plein fouet les conséquences du changement climatique. Le secteur est également touché par un bouleversement démographique considérable (qui ressemble à celui des médecins traitants) : en effet, d’ici 2027, 45 % des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite. Même s’ils sont nombreux à prendre leur retraite le plus tard possible, il faut se préparer à une vague de 215 000 potentiels départs à la retraite, alors que la dynamique actuelle d’installation ne permettrait même pas d’en remplacer la moitié d’entre eux. Le contexte francilien c’est aussi une pression urbanistique et environnementale sans précédent qui ne renvoie pas un message positif aux jeunes, avides de sécurité : l’emploi dans le secteur agricole y a diminué de 26 % entre 2000 et 2010.

Des exploitations familiales bouleversées

Ludovic Naudier a 18 ans. Il est le fils de l’un des deux agriculteurs de Noiseau (94), 4 700 habitants, qui se situe au milieu de belles plaines céréalières, et son unique repreneur. « J’ai toujours été plongé dans l’agriculture, nous dit-il, quand j’étais petit je collais aux basques de mon père pendant les moissons, puis ça s’est installé. Je me suis inscrit au Lycée agricole de l’Oise (près de Beauvais) et suis sorti avec un bac CGEA en agro équipement ». Quand on lui propose de continuer des études en BTS, il refuse « Je voulais aller directement en exploitation, apprendre sur le tas ». Et pour cause : son père, Frédéric, tient d’une main de maître la ferme de 130 hectares, achetée par son grand-père dans les années vingt. Des céréales et de la betterave à sucre, principalement. Le paternel a connu des aléas, avec les années, des sécheresses, des maladies. « Faut s’accrocher, parfois on ne prend pas de salaire pour pouvoir continuer à payer les factures malgré tout », nous confie celui qui était persuadé jusqu’à récemment que ses deux fils reprendraient la ferme.

C’est désormais entre les seules mains de son benjamin que repose le salut de la terre familiale… et dès la sortie d’école le garçon s’est montré entreprenant. « Quand je suis revenu de l’école, j’avais appris la technique de l’Agriculture de Conservation des sols (ACS). C’est moins de labours (donc une économie de carburant) et on laisse la vie organique faire son travail. Ce sont les vers qui labourent pour nous, et on les nourrit avec des apports de compost. C’est une nouvelle façon de penser l’agriculture qui m’a plu et qu’on a mise en place à la ferme ».

Clément Torpier, 33 ans, gère une exploitation de 180 ha en polyculture (céréales, betterave, maïs, colza, orge et blé) il est aussi président de l’association des jeunes agriculteurs d’Île-de-France et est élu à la chambre d’agriculture de la région. Selon, lui, la reprise ou l’installation d’un jeune agriculteur aujourd’hui n’a rien d’un coup de poker. « Cela s’anticipe, se prépare. Au poker, on prend des risques difficilement mesurables et là, l’objectif c’est d’avoir quelque chose de sécurisé un projet construit et viable en tout point, à la fois sur le plan économique, environnemental et social ». Le cas de Ludovic, avec des jeunes apportant de nouveaux usages dans des exploitations ancestrales, n’est pas rare pour le céréalier. « Un jeune qui souhaite s’installer exige des capitaux importants, on devient entrepreneur du vivant, il faut avoir en tête qu’une exploitation agricole, c’est du matériel, des bâtiments, de la haute technologie et ça a un coup. Comme chaque chef d’entreprise, il faut penser économies et investissement dans des outils de production… Heureusement, il existe des outils, des moyens pour accompagner des jeunes qui souhaitent reprendre ou créer des exploitations. La dotation Jeune agriculteur auprès du conseil régional a été simplifiée et revalorisée pour être à la hauteur du défi démographique agricole. En moyenne, la région installe 50 jeunes par an avec la dotation qui arrive on a installé 73 jeunes l’année dernière des chiffres encourageant sans doute grâce à de nouveaux dispositifs comme le portage de foncier agricole porté par Île-de-France Nature par exemple », explique-t-il. « L’objectif partagé c’est que nos installations doivent être vivables et transmissibles, il faut accompagner les jeunes agriculteurs. Aujourd’hui, on a un point accueil installation, une structure labellisée par l’État. Les jeunes sont conviés à des réunions collectives ou individuelles. Il existe 24 réunions collectives sur tout le territoire francilien : pendant une demi-journée, on présente l’agriculture francilienne et tous les acteurs qui gravitent autour ce qui permet d’avoir une vision globale. Ensuite, les jeunes ont tout un dispositif d’accompagnement avec des conseillers spécialisés qui les accompagnent sur un business plan et une étude économique pour construire une installation qui tienne le coup (visible sur le site Devenir agriculteur en Île-de-France) ».

Un métier à rendre « sexy », des terres agricoles à sanctuariser

Alors que les aléas climatiques ont touché de plein fouet les agriculteurs d’Île-de-France, ainsi les moissons furent très maigres en 2020, les orages de grêle dans les Yvelines en 2022, maladies sur les betteraves sucrières après l’interdiction des néonicotinoïdes (l’État a annoncé un plan d’action en février dernier…), il peut être compliqué pour un jeune de se lancer avec légèreté. Mais l’association Jeunes agriculteurs tient à montrer que tout n’est pas noir, dans le monde agricole, qui connaît de grandes révolutions technologiques, à même d’alléger les esprits, voire de susciter des vocations. » Aujourd’hui quand on souhaite s’installer on établit un plan d’entreprise sur 5 ans, il faut avoir en tête ces accidents climatiques, l’évolution du climat qui peut générer des choix stratégiques à faire pour la sécurisation du revenu agricole », explique Clément Torpier. « On pense tout de suite au système assurantiel, mais il y a aussi toute la recherche et développement en agriculture, des outils d’aide à la décision… Mon premier outil sur mon exploitation, ce n’est pas mon tracteur ni ma moissonneuse-batteuse, mais c’est mon smartphone ! La digitalisation de notre métier permet de participer à l’agroécologie, je réduis la quantité de produits phyto sanitaires, l’arrosage est réglé… il faut que l’intégralité de la population en ait conscience » !

Selon le céréalier, le nombre de nouvelles installations ne pourra qu’augmenter si le métier d’agriculteur est valorisé dans la société. Le jeune homme déplore qu’encore trop souvent des installations de jeunes soient empêchées pour des raisons de voisinage ou de mauvaise compréhension du métier d’agriculteur. « Je connais un jeune qui voulait monter un atelier de poules pondeuses ouvert sur l’extérieur, nourries au grain, une association de riverains s’est montée contre le projet et le jeune a décidé de monter un bâtiment industriel – sans extérieur – en s’éloignant du village… c’est vraiment dommage » ! Avec l’association agriculteurs d’Île-de-France, Clément Torpier utilise les réseaux sociaux, s’invite dans les classes des collèges, les lycées comme les stands du Salon de l’agriculture pour tenter de faire de l’éducation populaire. Dernièrement, les bénévoles de l’association ont mis en place une « campagne moisson » pour informer les riverains sur la nature des moissons céréalières, sur la raison pour laquelle elles se font par temps sec (même le dimanche) : « Je l’ai distribué à tout mon village : l’objectif c’est d’aller au-devant des interrogations et des critiques, de lancer un dialogue ».

Sanctuariser les terres agricoles… pour conserver les exploitations

Après les affaires du triangle de Gonesse, du Plateau de Saclay, des jardins d’Aubervilliers, touchés par des projets de constructions immobilières, la question de la sanctuarisation des terres agricoles a été lancée depuis longtemps dans le débat public. En juillet, la présidente de région Île-de-France, Valérie Pécresse a présenté son « schéma directeur de la région Île-de-France » (Sdrif), qui planifie à l’horizon 2040 l’aménagement du territoire. Dans ses propositions, des dispositifs pour atteindre la neutralité carbone et le zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050 pour préserver le patrimoine agricole de la région. Le Hic : la préfecture a demandé une mesure dérogatoire à l’indestructibilité en zone agricole, afin d’assurer la construction de cinq centres pénitentiaires… dont l’une va toucher la ferme de Ludovic Naudier et rendre la reprise de l’exploitation familiale bien plus compliquée.

Le bâtiment grignotera 17 hectares de l’exploitation et les fouilles préventives immobiliseront 53 autres hectares pendant 4 ans. Une perte de terres agricoles précieuses et très riches en biodiversité, qui vient porter une estocade aux projections de rentabilité de l’exploitation, pour le jeune homme, qui reste tout de même accroché à son projet. « C’est un projet très embêtant pour ne pas dire stupide quand on connaît les nombres de friches industrielles qui existent. Il va falloir repenser toutes les cultures pour faire plus avec moins, être plus stratégique. Il va falloir penser à réduire l’entretien du matériel en se séparant d’une partie de nos machines… mais je pense qu’il ne faut pas baisser les bras et trouver une solution pour garder les malheurs au loin ». Le garçon s’est rendu en juin dernier au château de Vaux-Le Vicomte (77) pour participer à une table ronde (non ouverte au public) sur la consommation des terres agricoles et viticoles dans le cadre du plan « 15 000 places » de prison. Une combativité qui en dit long sur l’avenir de l’agriculture dans la région : « Notre agriculture peut participer aux deux défis majeurs qui ont préoccupé les Français ces dernières années : la sécurité alimentaire et l’indépendance énergétique (grâce à l’installation de panneaux photovoltaïques sur les toits des bâtiments, la production de biocarburant et l’installation de méthaniseurs). Notre génération a besoin de faire des métiers utiles, qui ont une valeur. Moi tous les jours je sais que je sers à quelque chose. Tous les jours et pour toujours, des gens allumeront leur plaque de gaz pour se faire des pâtes : l’agriculture, c’est l’avenir » !

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