Accessibilité : les Jeux olympiques et paralympiques réussiront-ils là où 40 ans de lois pour l’accessibilité universelle ont échoué ?
Ce n’est un secret pour personne que l’accessibilité universelle, en Île-de-France comme ailleurs, n’existe pas ! Les personnes en situation de handicap doivent se contenter d’une fraction congrue des espaces et opportunités que recèle la région capitale. Paris 2024 et les défis urbanistiques et architecturaux qu’ils entraînent viendront-ils changer la donne ?
À Bobigny, sur le site du stade départemental de La Motte, derrière l’hôpital Avicenne, c’est un espace sans commune mesure qui s’apprête à ouvrir ses portes : le pôle de référence inclusif sportif métropolitain (Prisme), un temple dédié à la pratique handisport. L’équipement, dont les courbes ressemblent à des ailes de papillons, est vaste de 15 000 m². Il comprendra notamment une salle dédiée à la pratique de la boccia (jeu de balles pratiqué en fauteuil roulant), de la danse et de l’expression physique, une salle de musculation, une salle d’armes avec un espace dédié au tir à l’arc, un mur d’escalade, un grand dojo, mais aussi une salle vidéoludique et un espace de balnéothérapie. Ce pôle sportif s’accompagnera également d’un centre de recherches dédié au sport et à la santé. Une grande halle, équipée de gradins, sera une référence pour l’accueil de compétitions handisport. Mais avant cela, le bâtiment sera utilisé pour les entraînements des sportifs, pendant la période des compétitions olympiques et paralympiques.
Unique en Europe, cette infrastructure est la figure de proue d’une politique de grands travaux qui a placé l’accessibilité universelle comme condition à tout projet mené dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Comment pourrait-il en être autrement ? Alors que 4 400 athlètes paralympiques (de 184 nations) s’apprêtent à montrer leurs talents dans les 19 sites des Olympiades, il en va de l’image de la ville hôte que leur accueil soit sans obstacle. C’est pourquoi la Solideo, l’établissement français public en charge de la livraison des ouvrages olympiques et paralympiques, créé par la loi du 28 février 2017, a consacré 12 % de son budget total à l’accessibilité universelle. Les villages olympiques – situés au nord de Paris – ont donc été pensés comme 100 % accessibles à tous types de handicap, moteurs, sensoriels, intellectuels. Les sites d’entraînements et de compétition neufs ont été conçus dans la même direction : ainsi le centre nautique, l’Odyssée, livré en 2021 à Aulnay-sous-Bois, ne se contente pas d’être accessible, il disposera également, à destination des personnes malvoyantes ou aveugles, de rampes aux couleurs contrastées et d’un chenil pour les chiens guides disposant d’une partie vitrée et d’une arrivée d’eau. Quant à certains bâtiments anciens accueillant des athlètes (sites qui grâce à des dérogations n’étaient toujours pas accessibles à tous et toutes), ils ont pu être rénovés en ce sens. Ainsi le centre sportif Max-Rousié (Paris XVIIe) s’est vu enfin doté d’un ascenseur, le stade Pierre-de-Coubertin (Paris XVIe) construit dans les années 1930 sera accessible à tous grâce à de nouvelles rampes et des travaux d’insonorisation. Dans le XXe arrondissement, la piscine Georges-Vallerey, construite pour les JO de 1924, profitera aussi d’une mise en accessibilité, avec ascenseur, signalétique et guidage pour les athlètes comme pour les sportifs occasionnels.
Les Jeux : un « accélérateur d’accessibilité » selon Solideo
« Depuis que nous avons commencé à travailler, en septembre 2018, nous souhaitions utiliser l’échéance de 2024 pour laisser un héritage. Notre stratégie sur l’accessibilité a été élaborée après une grosse veille sur ce qui a été fait ailleurs (à Londres entre autres) et en collaboration avec un groupe de travail d’experts et de concernés qui nous ont fait remonter ce qui pouvait être vertueux. La maîtrise d’ouvrage est selon nous un tremplin pour l’héritage commun : cette question doit être parmi les priorités des politiques publiques pour les Jeux et pour l’avenir », explique Pierre-Antoine Leyrat, devenu expert accessibilité à la Solideo après une carrière associative sur la question. « Nous avons rédigé un cadre stratégique coconstruit avec les structures associatives et ministérielles, en collaboration avec les collectivités impliquées dans les Jeux. Nous avons travaillé avec le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement), des experts privés, des universitaires pour arriver à cette conception universelle. Notre ambition était de considérer l’ensemble des situations et des besoins et de traiter l’intégralité de la chaîne avec un même niveau d’ambition pour chacun des projets, qu’il s’agisse de bâtiments sportifs, tertiaires (presse, logistique), de logements ou d’établissements recevant du public. En créant cette synergie, on peut aller plus loin et le chantier pourra servir d’exemple dans les territoires. »
La Solideo a aussi beaucoup travaillé sur la communication, afin que les collectivités comme les bénéficiaires soient au même niveau de connaissance : « Beaucoup de personnes en situation de handicap ne se déplacent pas ou ne profitent pas des équipements qui leur sont accessibles par manque d’information : il n’était pas question que cela se répète pour les infrastructures conçues dans le cadre des JOP », souligne l’expert. Solideo a également développé un pôle innovation pour atteindre ce qu’elle décrit comme une « résilience urbaine » : « Nos projets ne doivent pas être des palliatifs, des itinéraires bis mais bien offrir une plus-value d’usage : l’accessibilité doit être évidente, de première intention ». Pour tous les projets en rénovation, plus compliqués à gérer par définition que les projets neufs, Solideo ne s’est pas contenté des diagnostics d’accessibilité mis à disposition entre autres par la ville de Paris, mais a constitué une équipe d’expert et un groupe d’usagers pour orienter les choix stratégiques.
Village des athlètes : un futur quartier que tout le monde pourra partager à égalité
Entre Saint-Ouen et Saint-Denis, c’est un tout nouveau quartier qui est sorti de terre et qui dès 2025 accueillera plus de 6 000 habitants répartis en 2 000 appartements familiaux. Des bâtiments de toutes tailles qui accueilleront avant cela plus de 14 000 athlètes de tous pays. Qu’il soit porteur de handicap ou non, chacun pourra se promener dans les allées du quartier, équipées d’assises tous les 50 mètres pour les personnes fatigables et de cheminements et signalétiques multisensorielles pour se sentir en sécurité. Chacun pourra siroter un verre sur son balcon (sans marche) ou prendre une douche bien méritée (au même niveau que le sol de la salle de bains aussi large qu’agréable). Le fait que ce quartier appartienne au futur de l’Île-de-France, c’est ce qui rend fier Pierre-Antoine Leyrat : « Ce sera un quartier de vie agréable pour les gens et ça pourra être mis en avant auprès des collectivités pour dire que l’accessibilité universelle, c’est possible, ce n’est pas utopique. Nous sommes partis sur une politique de 100 % de logement accessible en allant bien plus loin, donc, que les attentes réglementaires en vigueur. La loi ELAN, votée en 2018, est revenue à 20 % de logements accessibles dans le neuf, un véritable retour en arrière par rapport à la loi de 2005. Nous avons réfléchi avec les promoteurs à la structure des logements, les zones de dégagements, les largeurs de couloirs, la position des interrupteurs, les contrastes pour les malvoyants tout en prenant en compte les exigences environnementales (beaucoup de bâtiments sont en structure de bois). » L’expert espère que cela aura permis de faire entrer l’accessibilité universelle dans le logiciel des promoteurs : « Aujourd’hui, il faut repenser l’évolution des logements et l’accessibilité devient cruciale, avec le vieillissement de la population, le télétravail. Les JOP ne seront pas une baguette magique mais je le vois comme une marche forcée : j’espère que tout le monde comprendra aujourd’hui que tous les échelons de la vie sociale doivent être accessibles à tous et toutes. »
Une politique d’accessibilité à marche forcée… qui patauge depuis quarante ans
L’accessibilité universelle promise par les organisateurs des JO et la Solideo a beau être saluée de tous côtés, certains n’y voient que la démonstration d’une inaction globale sur la politique d’accessibilité depuis des dizaines d’années. En avril dernier, le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe (CEDS) avait conclu à une violation par la France de la Charte sociale européenne en raison du manquement des autorités à adopter des mesures efficaces dans un délai raisonnable en ce qui concerne l’accès aux services d’aide sociale et aux aides financières, l’accessibilité des bâtiments, des installations et des transports publics, et à développer et adopter une politique coordonnée pour l’intégration sociale et la participation à la vie de la communauté des personnes handicapées (article 15 § 3).
« La décision disait qu’en France, les personnes handicapées étaient toujours perçues comme des objets de soin et non comme des sujets de droit. Ça m’avait marqué », se souvient Nicolas Mérille, conseiller national Accessibilité, conception universelle & qualité d’usage au sein d’APF France handicap. « Quand Paris a obtenu l’organisation des Jeux en septembre 2017, on l’avait salué et espéré que ce soit mobilisateur pour avancer sur le sujet de l’accessibilité. Quand on fait le rétroplanning, la première loi date de 1975 et elle n’a pas été appliquée, celle de 2005 n’est pas appliquée non plus et la dernière réforme de 2014 non plus. Il n’y a toujours pas de pénalité, de procédures pour la mettre en application. Donc cela fait 48 ans que les lois ne sont pas appliquées pour tous les bâtiments neufs et existants, y compris les ERP et les transports. Lors de la dernière Conférence nationale du handicap, où le président de la République a indiqué qu’il s’engageait pour l’accessibilité, on a demandé une pleine et entière responsabilisation de l’État pour faire appliquer la loi, impliquant des contrôles et des sanctions. Que le Conseil de l’Europe se prononce à l’unanimité sur une violation des droits fondamentaux, cela prouve que nos constats sont objectivés par une instance européenne : tout humain doit avoir la liberté d’aller et venir. »
S’il n’a pas de mots assez durs pour qualifier les effets délétères de la loi ELAN sur l’accessibilité des logements neufs, le militant est néanmoins satisfait de la façon dont Solideo a travaillé de concert avec les concernés. « Depuis sa création, on a été réunis pour présenter des projets : ça a permis de réfléchir ensemble, d’avoir moins de craintes. On a été invités avec le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis pour la conception du Prisme ou le futur ISPC des Mureaux (l’Institut de Santé Parasport Connecté). Quand on voit cette façon de travailler et son résultat avec un village olympique en accessibilité universelle, il faut saluer cet héritage-là qui est construit dans le cadre des JOP. »
Un point noir, pour l’expert d’APF France Handicap : le transport. Dès novembre 2021, le Premier ministre de l’époque, Jean Castex, annonçait une mesure importante à destination des personnes en situation de handicap : le triplement de la flotte des taxis équipés d’ici 2024 grâce à des primes à l’acquisition répondant aux mêmes caractéristiques que la prime à la conversion électrique. L’objectif du gouvernement : « Favoriser la bonne livraison des Jeux et renforcer son héritage social ». Mais communiquer sur les taxis roulants (ou volant) pour le transport des personnes handicapées, n’est-ce pas un constat d’échec ? « Les Jeux olympiques et paralympiques coïncident avec une échéance légale : selon l’ordonnance de 2014, le 26 septembre 2024 est la date à laquelle les transports publics existants doivent être rendus accessibles », souligne Nicolas Mérille.
En dehors du tramway, idéal dans la pratique pour les personnes à mobilité réduite ou déficientes visuelles, la politique concernant l’accessibilité au bus (les nouveaux bus achetés pour la deuxième couronne ne comptent qu’une place équipée au lieu de deux pour la petite couronne et Paris) est insuffisante. L’accessibilité est désastreuse pour ce qui est du métro (3 % des stations sont accessibles) et le RER (Île-de-France Mobilités a débloqué 1,5 milliard d’euros pour rendre accessibles 35 à 40 % des arrêts, rassemblant 80 % du trafic). Nicolas Mérille espère que les Jeux olympiques feront office d’électrochoc pour la société française dans son ensemble pour « constater l’état d’inaccessibilité de la société pour les personnes en situation de handicap qui n’ont pas les mêmes choix dans leur mode de transport, dans leurs sorties, leurs démarches, qui doivent développer des compétences, des capacités d’adaptation et d’anticipation phénoménales pour se déplacer en ville au quotidien. Trois lois inappliquées et une convention internationale pas respectée, cela devrait être répété aussi fort que l’accessibilité universelle présentée dans le village olympique. »
Référence : AJU010h4