Essonne : Derrière la façade d’une résidence flambant neuve, un nouveau vivre ensemble
Inaugurée en juin dernier, la résidence « Les camélias », labellisée « résidence santé » par son constructeur, propose une nouvelle façon de concevoir des lieux de vie intergénérationnels. Un bonus pour les communes.
À une trentaine de kilomètres au sud de Paris, la petite commune de Tigery, 4 500 habitants (qui fait partie de la ville nouvelle de Sénart), séduit chaque année de nouveaux habitants. Elle propose un cadre de vie entre campagne et ville, des écoles, des lotissements, des commerces, des emplois avec des data centers, un centre de formation BMW, un studio de cinéma… et depuis quelques mois, une résidence HLM d’un tout nouveau type qui n’a pas fini de faire des émules.
À première vue, la résidence « Les Camélias » n’a rien de bien révolutionnaire dans une commune où logements privés et sociaux se ressemblent comme deux gouttes d’eau : une façade propre et bigarrée avec plusieurs teintes de brun et quelques murs en pierre apparente, de grandes ouvertures anthracite. Le côté révolutionnaire de la bâtisse de 90 logements ne se trouve pas dans les quelques carrés potagers disséminés dans le jardin commun, dans son isolation thermique imparable, mais dans son label « résidence santé », pensé par le bailleur parisien, Antin Résidences et l’équipe communale.
Une résidence, un lieu de mixité générationnelle
Le bâtiment regroupe en effet 90 logements sociaux de toutes tailles avec 27 logements réservés aux seniors et équipés en fonction, avec douches accessibles, volets électriques, téléconseil médical et accompagnement d’une ergothérapeute en cas de perte d’autonomie. Ces appartements sont disséminés parmi les studios réservés aux jeunes professionnels, de plus grands appartements pour les familles ou les parents solos. De grands espaces sont également mis à disposition de tous et toutes : un jardin avec bancs et jeux d’enfants, un espace de télétravail, une salle polyvalente pour des instants festifs ou des activités coordonnées par le CCAS de la commune (activités d’art-thérapie, conférences, restauration, activité physique, loisirs créatifs, aide à la végétalisation des appartements…). Un espace qui résout de nombreuses questions pour l’équipe municipale : « Nous avons de nombreux habitants âgés en bonne condition physique qui ont du mal à entretenir leurs maisons… Ce parcours résidentiel permettra aussi de libérer des maisons pour de jeunes couples avec enfants qui souhaiteraient s’installer dans la commune. Nous avions déjà une résidence service Marpa de 21 logements avec salle de restauration… mais nous avions envie de créer quelque chose d’intergénérationnel, un endroit où repenser le vivre ensemble », explique Germain Dupont, maire de la commune.
« La salle commune va permettre de créer des moments pour les habitants et les Tigériens, par l’intermédiaire du CCAS. On veut faire de la sculpture sur glaise, de l’initiation au numérique, de la danse de salon, des jeux de cartes… une activité par semaine pour les seniors… et pour les autres ! Des familles ont déjà déménagé et sont arrivées grâce au 1 % patronal, des jeunes en émancipation et plusieurs parents solos qui ne trouvaient pas de logements abordables suite à des séparations ». Ce type de résidence, co-financée par le département, la région et l’agglomération Grand Paris Sud, propose donc un modèle plus en accord avec les évolutions sociétales et climatiques. « Le label « Mon Logement Santé » combine la qualité du bâti à une kyrielle de services adaptés, favorisant le bien vivre, le vivre-ensemble et le bien-être. La qualité de l’air, l’acoustique et le confort d’été ont fait l’objet d’une vigilance accrue », assure Antin Résidences, filiale du groupe Arcade-Vyv. C’est à la suite de la crise sanitaire que l’acteur mutualiste de santé et de prévention sociale a décidé de lancer en 2020 le label « Mon logement santé », garantissant des logements « conçus, construits et gérés pour vivre dans un environnement physique et serviciel promoteur de santé ». À l’instar des Camélias de Tigery, une dizaine de résidences ont été labellisées sur le territoire, dont une dans le XVIIIe arrondissement de Paris et une à Voisins-le-Bretonneux et le groupe ambitionne de devenir leader du logement santé en construisant 1 000 logements labellisés « Logement santé » dès 2024. À partir de 2025, le Groupe Arcade-VYV s’est fixé comme objectifs de produire 10 000 logements par an, dont au moins la moitié labellisée « Mon logement santé »
Les baby boomers, des personnes âgées avec de nouveaux besoins
Architecte et chercheuse en sciences sociales, Manon Labarchede a beaucoup travaillé sur l’évolution de l’habitat des personnes âgées. Elle a coécrit en 2022 avec Maël Gauneau et Guy Tapie Guy « Habitats et vieillissements, des Hommes et des lieux » (éd. Le Bord de l’Eau). Selon la spécialiste, ce modèle de résidence répond à une remise en cause récente du modèle habituel de prise en charge des personnes âgées dans des espaces non mixtes, en hospice, en Ehpad, en résidence service. « Depuis quelques années les habitats intermédiaires sont mis à disposition des personnes en alternative au domicile et à l’Ehpad. Il y a les habitats service avec des appartements indépendants en centre-ville, des résidences intergénérationnelles comme le modèle proposé à Tigery, des collocations et des projets participatifs avec une très forte implication des habitants dès la genèse du projet. Tout cela fait écho à des injonctions de plus en plus fortes à des personnes âgées pour trouver d’autres choix que la prise en charge médicalisée ». L’intergénérationnalité vantée par le concept « Mon logement santé » repose, selon la chercheuse, sur une « utopie sociale », une formule gagnante entre personnes âgées et plus jeunes qui puissent se rendre des services, échanger. « L’architecture d’une résidence peut contribuer à faciliter ce type d’interactions mais ce n’est pas une valeur qui peut se décréter, on peut parfois avec les meilleures volontés du monde à créer de la juxtaposition d’habitants, comme dans une résidence standard. Certaines résidences font des erreurs en réservant les rez-de-chaussée aux logements pour les aînés, créant des espaces réservés dans un ensemble qui se veut mixte, d’autres ne poussent pas assez loin leur objectif. Il existe, par exemple, des logements intergénérationnels sociaux thématisés, par exemple sur la musique avec mise à disposition de salles de répétition et d’ateliers musique, mais les habitants ne sont pas sélectionnés suivant leur affinité à ce thème… Bref, tout doit se jouer dans les espaces communs qui doivent être des endroits agréables pour tous, afin de développer les échanges entre générations ». Selon la sociologue, le bien vieillir est devenu – au-delà de l’échelle des villes – une préoccupation majeure dans la société, sachant que d’ici à 2030 une personne sur six aura plus de soixante ans. « Les politiques de la ville, les élus font partie des acteurs-clés mais la réflexion est beaucoup plus large. Architectes, concepteurs, particuliers tous anticipent le vieillissement. Le « bien vieillir » fait partie des atouts développement des villes. Voilà pourquoi le label « Ville amie des aînés » existe depuis 2019 pour récompenser les municipalités proposant des conditions de vie idéales pour les personnes âgées. Les offres culturelles et sportives, l’offre des transports, l’accessibilité, vantées par les municipalités ne doivent plus s’adresser uniquement aux jeunes et aux familles mais aux personnes âgées. Cela est dû à un véritable changement générationnel : les baby boomers arrivent au grand âge, c’est une génération plus revendicatrice que celle d’avant. Une génération qui a connu le vieillissement de ses parents dans des Ehpad de l’ancienne génération. C’est une génération avec des revendications, un passé militant, qui sait ce qu’elle veut », souligne la chercheuse.
Référence : AJU014r6