Hauts-de-Seine, bataille rangée autour de l’avenir de la Tour Insee
Promis à la destruction, le tripode Insee haut de cinquante mètres et situé à Malakoff (92) suscite une vraie bataille rangée entre l’État et la commune soutenue par un collectif d’habitants.
Dans la grande histoire, il y eut la bataille de Malakoff, qui opposa pendant la guerre de Crimée les troupes françaises et britanniques aux Russes. Et puis il y a la bataille de la petite histoire, qui fait grand bruit : celle de la réhabilitation de la Tour Insee, ce gigantesque tripode de verre et de béton comme catapulté par les années 1970, en bordure du périphérique parisien. Sans que l’avis de la commune ne soit demandé à l’époque.
Comme un point de repère pour l’entrée de Paris, pour les trains à destination de la gare Montparnasse, la tour de 50 mètres de haut et 35 000 mètres carrés de surface de bureaux, construite en 1974, par les architectes Serge Lana et Denis Honegger, dans un style propre à ces années-là, est désespérément vide depuis 2015 ! L’année où les 1 200 salariés de l’institut de sondage ont plié les gaules pour emménager dans des locaux flambant neufs non loin de là, à Montrouge.
Le bâtiment a été promis à la destruction pour laisser place à une nouvelle tour censée accueillir les 1 800 fonctionnaires du ministère de la Santé et de la Prévention dès 2027. Un projet ambitieux que de premiers coups de pioche, pour des opérations de désamiantage avant démolition, viennent de rendre plus concrets. Problème : le projet suscite l’indignation dans la commune. Il faut dire qu’à l’heure où la région parisienne se prépare à recevoir les Jeux Olympiques en mettant en avant entre autres sa politique de réhabilitation d’immobilier existant tels le campus de Jussieu, la tour CIT de Montparnasse et surtout la tour Pleyel à Saint-Denis, le projet de Malakoff a de quoi étonner…
Une aberration écologique ?
Un collectif d’habitants, baptisé « Insee pas fini », s’est très rapidement organisé pour s’opposer à cette démolition reconstruction qualifiée d' »aberration écologique ». En mai dernier, un collectif a invité les citoyens à signer une pétition pour s’opposer à cette démolition à venir. « En lieu et place de ce tripode de 32 500 m² de bureaux et de 50 mètres de haut sera édifiée une énième barre, d’une superficie équivalente, et toujours à usage de bureaux, qui viendra prolonger le triste mur de verre qui se dresse dorénavant aux portes de Paris », regrette le collectif qui ne fait pas preuve de demi-mesure dans le choix des mots.
« À l’heure où se multiplient les annonces d’un péril climatique imminent, où s’amoncellent les rapports désignant l’activité humaine comme principale source du changement climatique, où s’amenuisent les matières premières, ou surgissent les difficultés financières, les ministères sociaux, émanation de l’État français champion des Accords de Paris, s’apprêtent à rejouer le film Don’t Look Up : Déni cosmique et à illustrer la phrase de Jacques Chirac : « La maison brûle et nous regardons ailleurs » !
Les chiffres cités par le collectif sont en effet révélateurs. Selon lui, le bilan carbone de la démolition d’une structure en béton armé comme celle-ci (48 m de haut et quatre niveaux de sous-sol) serait estimé à̀ 6 000 tonnes de CO2, auquel il faut ajouter le coût écologique de la reconstruction d’un immeuble de 36 000 m2, soit l’équivalent de la plantation de 350 000 arbres. : « environ 50 000 tonnes de béton, des milliers de tonnes d’acier devront être mises à terre, transportées, broyées par près de mille camions pour reconstruire à la même place un immeuble lui aussi en structure béton, d’une superficie similaire et d’un usage identique. Nous le savons aujourd’hui : démolir produit massivement du CO2, principal gaz à effet de serre et le fait de construire en produit plus encore » !
Des arguments qui ont fait mouche auprès des citoyens de France et de Navarre (la pétition a recueilli plus de 18 000 signatures à ce jour) et des équipes municipales passées et présentes, à l’image de l’ancienne élue, Dominique Cordesse, architecte de profession qui avait vu à l’époque les plans de construction de la tour, et a confié à nos confrères du Parisien qu’il s’agissait même d’un « crève-cœur » que de voir le tripode disparaître du paysage. Dans le même esprit, lors de sa réunion officielle le 17 mai 2022, le Conseil régional de l’ordre des architectes avait annoncé s’associer « unanimement et pleinement » à la démarche du collectif : « Par ce vœu, et en dépit de l’état d’avancement du dossier, au regard des enjeux sociaux et environnementaux, des engagements politiques de notre pays et au plus haut niveau de l’État, le Conseil de l’ordre entend sensibiliser les maîtres d’ouvrage et l’État à la primauté absolue de la réhabilitation sur la construction neuve, lorsque cela est possible et viable », avait précisé le Conseil dans un communiqué.
Des arguments en faveur de la réhabilitation balayés en mai par le directeur du projet, Philippe Benoist : « La question de la réhabilitation s’était posée mais le bâtiment est fortement amianté, cela ne permettait pas de reloger l’école ni de réaliser la coulée verte, nous n’aurions de toute façon pu conserver que le squelette du bâtiment, il y aurait donc eu beaucoup de déconstructions aussi »…
David contre Goliath
Ce n’est pas forcément les seuls arguments architecturaux et écologistes qui provoquent l’opposition de la mairie de Malakoff au projet. Bien que 40 % de l’emprise de l’ancien site a été cédée à la commune, par l’État, afin d’y construire une école et un jardin, le projet n’a pas pour autant suscité l’enthousiasme de la maire communiste, Jacqueline Belhomme. Bien avant le projet du ministère, l’État avait planché avec l’équipe municipale sur une autre piste, pour le site de la Tour Insee : vendre le terrain pour ériger une grande tour sur la structure de la première et libérer des espaces verts créant comme une passerelle entre Paris et sa petite voisine. Un projet qui avait été validé des deux côtés du périphérique, et qui a fini par tomber à l’eau quand l’État a décidé d’implanter sur le site son nouveau super-ministère. Mais ce n’est que la première étape de la déconfiture, pour la maire de la commune.
En juillet dernier, plusieurs projets ont été présentés à un petit cercle de décideurs, parmi eux, la première édile de Malakoff qui a préféré quitter la réunion précipitamment, ulcérée de ne pas trouver représentés dans les réalisations les intérêts de sa commune. « Je ne peux pas être la caution de l’État dans la constitution d’un nouveau site qui tourne le dos à Malakoff et ses habitants en créant une ligne Maginot. L’État va créer un mur, on voulait une ouverture sur Paris. Ça fait deux ans que nous sommes entrés en phase de dialogue compétitif avec l’État (une procédure de marché public dans laquelle l’acheteur dialogue avec les candidats) avec l’espoir d’un projet qui ouvre sur Paris », a-t-elle expliqué à nos confrères du Parisien.
En octobre 2022, la maire a de nouveau tapé du poing sur la table en faisant adopter avec le collectif un vœu en conseil municipal pour demander à l’État l’ouverture d’un véritable dialogue avec la ville et exigeant, de fait, l’arrêt à ce stade de la procédure de démolition. Dans la foulée, elle publie une lettre ouverte adressée au ministre des Solidarités dans laquelle elle s’oppose désormais clairement à la destruction de la tour. « Si celle-ci avait du sens pour laisser place à un projet ambitieux et novateur, nous refusons en revanche de nous voir imposer un bâtiment qui tourne le dos à la ville et renferme ses habitants », écrit l’édile qui se mue en David afin d’attaquer Goliath. La suite de l’affaire est désormais entre les mains de Jean-Christophe Combe et Elisabeth Borne.
Référence : AJU007e3