Hauts-de-Seine : Quand le Conseil d’État taille les domaines nationaux… au grand dam de l’État

Publié le 12/09/2024
Hauts-de-Seine : Quand le Conseil d’État taille les domaines nationaux… au grand dam de l’État
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En mai dernier, plusieurs décisions du Conseil d’État ont contraint l’État à revoir sa carte des « domaines nationaux » de Meudon et de Saint-Cloud.

Il y a Chambord, le Palais du Louvre et les Tuileries, le domaine de Pau et le château d’Angers, l’Élysée et le Palais du Rhin, le Palais-Royal, le Palais de la cité. Le château de Vincennes et ceux de Coucy (dans l’Aisne) et de Pierrefonds (dans l’Oise). Celui de Villers Cotterêts et de Compiègne, le domaine de Meudon, de Saint Cloud et le château de Malmaison. Ils n’étaient que seize en France métropolitaine. Seize sites, seize domaines nationaux. Selon l’article L. 621-343 du Code du patrimoine, un domaine national est un « ensemble immobilier présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la nation et dont l’État est, au moins pour partie, propriétaire ». Depuis un décret du 24 mai 2024, cinq nouveaux domaines nationaux – tous situés en Île-de-France – sont venus allonger la liste : Versailles, Marly, Saint-Germain-en-Laye, Rambouillet et Fontainebleau. Un tampon qui est censé protéger les joyaux de la nation, car avec toute décoration vient une obligation : « Ces biens ont vocation à être conservés et restaurés par l’État dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique », précise le texte de loi.

Et c’est là où le bât blesse parfois, même si le gestionnaire reste l’État pressé de se défaire de prestigieuses adresses.

Un décret qui fait bouger les lignes

Depuis plusieurs années, l’association nationale Sites et Monuments plaide auprès du ministère de la Culture pour obtenir une définition large et inclusive des périmètres des domaines nationaux, assortis de la protection patrimoniale la plus élevée pour garantir notamment: inaliénabilité, classement au titre des monuments historiques, inconstructibilité de principe et possibilité de préemption d’enclaves privées des domaines nationaux. Elle se bat, avec d’autres associations locales, pour protéger ou retrouver l’intégrité des Domaines nationaux, parfois arbitrairement découpés avec l’accord de l’État. En juin 2022, par exemple, un décret modifiait la délimitation des domaines nationaux de Villers-Cotterêts, Malmaison, Meudon et Saint-Cloud. À Meudon, pour ne citer que ce cas, une parcelle trapézoïdale le long du bassin de Chalais avait été détourée du Domaine national, permettant de fait la construction d’un restaurant sur pilotis… un site qui se trouve désormais dans une situation compliquée.

À la demande des associations, le Conseil d’État a en effet lancé une vague de décrets touchant à la délimitation des domaines nationaux. « Il appartient au Conseil d’État (…) de vérifier que l’autorité compétente n’a pas exclu des parcelles (…) dont l’omission affecterait la cohérence de la protection que ce décret entend instituer », précise de façon générale la plus haute juridiction administrative française, dans sa décision en date du 31 mai 2024. Avec les domaines de Meudon, Saint Cloud, la situation était plus compliquée : le Conseil d’État a choisi d’inclure au Domaine national de Saint Cloud le pavillon de Breteuil (XVIIIe siècle), siège du Bureau international des poids et mesures (conservant le mètre étalon). Les parcelles deviennent incessibles et tous travaux les concernant devront être conduits selon des règles précises. Mais il a également choisi de réintégrer la petite parcelle trapézoïdale de Meudon sur laquelle un petit restaurant a été installé. « Comme le permis de construire a été délivré et exécuté, on pourrait considérer qu’il y a une forme de droit acquis. En intégrant le Domaine, le bâtiment devient donc imprescriptible et inaliénable. À l’issue des trente ans du bail, la parcelle ne pourra pas être vendue et toute modification du bâti devra être validée par les architectes des bâtiments de France et par la DRAC ».

Nous avons plusieurs petites curiosités de ce type dans le décret : « dans la forêt domaniale de Fosses-Reposes, le pavillon du Butard avait été vendu à des particuliers et dans le décret du 24 mai il a été intégré avec ses annexes qui de fait appartiennent à des particuliers. Elles seront soumises à la préemption et l’État pourra au fil des années reconstituer l’intégrité du domaine ».

Forêts, systèmes hydrauliques, dépendances… des sites aux limites parfois floues

Le décret intègre également au domaine les étangs de Ville d’Avray dits « de Corot », partie intégrante du réseau hydraulique alimentant les fontaines du domaine depuis le XVIIe siècle. L’intégration de ces installations – jusqu’alors systématiquement exclues des limites des domaines – pourrait constituer une jurisprudence selon Julien Lacaze, président de l’association Sites et Monuments et ouvrir des possibilités pour les domaines de Versailles, Marly, Saint Germain ou Fontainebleau dont les systèmes hydrauliques (pourtant si indissociables du fonctionnement et de la beauté des domaines) ont également été omis.

Si l’association se félicite de plusieurs avancées, elle regrette entre autres qu’à Saint Cloud (dont le château a disparu dans un incendie) la caserne des « Gardes du corps » n’ait pas été inclue dans le domaine et puisse être modifié pour accueillir bientôt le musée du Grand Siècle. Ce projet, qui sera doté d’une extension futuriste de 1 300 m2 (impossible si la bâtisse avait été intégrée dans le domaine) a été voulue par l’ancien directeur du musée du Louvre, Pierre Rosenberg à la suite de la donation de ses collections d’art au département des Hauts-de-Seine. Il retracera de manière thématique la société française au XVIIe siècle et devrait ouvrir en 2026.

« Ce qui ne nous satisfait pas c’est essentiellement l’absence d’inclusion des forêts domaniales et des réseaux hydrauliques », regrette Julien Lacaze. »L’existence de forêts a, en effet, toujours été déterminante dans l’implantation des différents domaines royaux, aujourd’hui nationaux. La chasse, simulacre de guerre et démonstration de puissance, faisant l’objet d’une législation spécifique, a laissé de nombreuses traces dans ces bois (réseau d’allées en étoile, murs d’enceinte, pavillons de chasse, maisons de garde, arbres remarquables). Les bois ainsi aménagés, raison d’être et prolongement de ces différents domaines, présentent bien, à notre sens, un lien exceptionnel avec l’histoire de la nation ».

L’association avait donc fait passer des amendements en 2016 pour obtenir une validation hybride entre le bâti et l’écologie : « le texte dit que les domaines nationaux doivent être respectés dans les caractères artistiques, historiques paysagers et écologiques (ce qui inclut les forêts) », précise Julien Lacaze. « Au départ, l’idée du législateur était d’inclure les forêts domaniales, mais l’ONF résiste car cela implique un document de gestion et un mode d’exploitation compatibles avec le prestige de forêts parfois ceintes de murs ». Selon le président de l’association, il conviendrait de trouver un terrain d’entente pour allier gestion des forêts et respect des domaines nationaux : « les essences extraites de ces forêts patrimoniales ne devraient être utilisées que pour des chantiers d’exception » !

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