Jeux olympiques : trop de monde au balcon ?
L’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 a choisi une cérémonie d’ouverture des Jeux en plein cœur de ville. La FNAIM a récemment soulevé une épineuse question : les balcons des façades historiques longeant la Seine ne sont pas des gradins !
Le 26 juillet prochain, les bords de Seine, à Paris, seront le théâtre à ciel ouvert d’une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques extraordinaire. Sur plus de six kilomètres le long du fleuve, les délégations rassemblant plus de 10 000 athlètes devraient défiler en bateau, de la Bibliothèque nationale de France au Trocadéro. Les quais seront transformés en gigantesques tribunes. Depuis les appartements donnant sur la Seine, les chanceux habitants, ou locataires d’un jour, pourront profiter du spectacle… du moment qu’ils ne gagnent pas les balcons de leurs appartements haussmanniens, qui n’ont pas été construits pour supporter tant d’enthousiasme. En effet, d’après le rapport intitulé : Balcons, paru en 2019, la charge maximale à ne pas dépasser sur ces structures est autour de 350 kg par m2, soit le poids moyen de 4 à 5 hommes.
C’est pourquoi, en mars dernier, le président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM) du Grand Paris lançait une alerte sur la sécurité des balcons. « À partir de mai 2023, nous avons été intégrés aux réunions d’information sur la préparation des Jeux olympiques et nous avons posé la question sur les balcons, de façon anodine. Nous voulions savoir ce que la mairie de Paris et la préfecture de police avaient prévu en matière de sécurité pour protéger les spectateurs. Nous nous attendions à une interdiction d’accéder aux façades, une interdiction d’accès aux balcons. Mais ils n’avaient rien prévu de particulier. Nous avons souligné qu’il existait un risque d’accident par rapport à la surcharge des balcons qui ne peuvent être des gradins, un risque aussi quant aux garde-corps et aux chutes d’objets depuis les balcons qui pourraient toucher les personnes en contrebas », souligne Olivier Princivalle au téléphone. « Il était encore temps, à l’époque, de lancer une campagne de vérification technique des façades à grande échelle : il n’existe pas d’étude sur le nombre de façades concernées, mais on sait qu’on a 6 km de Seine, deux rives, donc 12 km d’immeubles en majorité haussmanniens, datant d’entre 150 et 200 ans. Même s’ils sont bien entretenus dans les quartiers concernés, les balcons sont décoratifs, prévus pour supporter deux personnes le temps d’un café. Les garde-corps ne sont pas prévus pour supporter la poussée prolongée de dizaines d’individus. Nous savions que si nous nous lancions seuls dans une incitation des copropriétés et syndics, nous aurions un taux d’échec de 90 % mais que si la demande émanait de la préfecture, ce serait autre chose. Mais nous avons fait chou blanc. »
À défaut d’une recommandation officielle, une préconisation en porte-à-porte
Malgré ses alertes et malgré les quelques accidents qui ont émaillé l’actualité, d’Angers à Marseille en passant par Ciboure, la FNAIM a essuyé un refus des autorités de l’accompagner dans sa démarche. Sollicitée, la maire de Paris s’abrite toujours derrière le fait que l’entretien des balcons relève de la responsabilité des propriétaires : « Les balcons sont des ouvrages privatifs : leur mise en sécurité et les conditions d’accès ou d’occupation relèvent de la responsabilité de leurs propriétaires. Les ouvrages de balcons ne sont pas visés par des textes particuliers ; les professionnels du bâtiment s’appuient sur une somme de textes normatifs portant sur différents aspects (calcul des charges, règles d’étanchéité, dimension des garde-corps, etc.). En l’absence d’un cadre spécifique, il appartient aux copropriétés et aux syndics de s’assurer de la solidité et de la stabilité des balcons. La réglementation n’impose pas de façon précise de périodicité pour ces contrôles, mais le moindre désordre (fissure, tache d’humidité, etc.) doit inciter la copropriété à réaliser un audit qui permettra de lever le doute sur une éventuelle instabilité », nous dit-on. Une réponse qui ne satisfait pas Olivier Princivalle : « Il sera facile de taper sur les syndics de copropriétaires, si un accident se produit pendant les Jeux. Il nous apparaissait évident, quant à nous, de sensibiliser un maximum de monde sur les risques importants qui existent, mais 10 mois après notre alerte, il n’y a pas eu de dispositions prises au niveau public. Nous avons donc créé une note à destination des occupants des immeubles que nous avons distribuée à nos partenaires, clients et collaborateurs (1 200 professionnels de l’immobilier en Île-de-France). La note comporte une cartographie des zones concernées par les Jeux ; nous avons joint deux photos (l’une avec un balcon dont le scellement est abîmé et fissuré, une autre avec un garde-corps présentant des défaillances). Destinée à être affichée dans les parties communes, elle donne des conseils sur les bons usages des balcons et des garde-corps (pas trop de monde, pas de poussée excessive, interdiction de louer les espaces extérieurs comme des gradins) et invite les personnes à signaler tout désordre visuel sur les points d’accroche ou les façades supportant des balcons. Parce qu’avant de penser à l’effondrement, il faut aussi réfléchir aux risques de chutes de pierres, au décrochement de garde-corps. Il faut responsabiliser les personnes, car les syndics ne peuvent pas constater tous les problèmes sur les façades, depuis le trottoir. La responsabilité est collective », souligne le président de la FNAIM Grand Paris.
À situation exceptionnelle, procédures exceptionnelles ?
S’il concède que, dans le cadre des façades et des balcons, la responsabilité des occupants et des propriétaires reste entière, Olivier Princivalle considère que la responsabilité des autorités doit aussi être questionnée. « Nous allons connaître des situations exceptionnelles sur une zone géographique très resserrée, ce qui implique des usages exceptionnels de la voirie entre autres… et donc un arbitrage politique. Les pouvoirs publics doivent assurer la sécurité générale, y compris pour la circulation des personnes en dessous de ces ouvrages. Il est facile d’exiger des travaux réguliers, de se désengager sur les vérifications nécessaires des ouvrages tout en interdisant depuis le 15 mars 2024 tous travaux sur la zone, tout échafaudage aussi. Quand nous avons lancé l’alerte, il était possible de faire intervenir des cordistes pour faire les vérifications, par exemple. Si la ville de Paris et la préfecture considèrent que ce n’est pas un enjeu de sécurité publique, c’est leur droit. De notre côté, nous aurons tout fait pour sensibiliser les occupants et propriétaires… et pour alerter les pouvoirs publics. »
Concernant la sécurité publique, la ville de Paris en rappelle les contours : « La ville ne peut pas intervenir pour limiter l’accès aux balcons à titre préventif par anticipation d’une éventuelle fragilité, sauf dans les cas urgents ou la ville peut prendre un arrêté de mise en sécurité, qui peut conduire à la réalisation de travaux d’office par la ville. Cette procédure n’est mise en œuvre que si les désordres et les risques sont avérés et que la copropriété n’a pas été en mesure d’y remédier. » Il ne reste qu’à espérer que rien ne se produise. Les pouvoirs de police générale reconnus au maire l’obligent en tout cas, si des circonstances extérieures causent l’accident (dans le cas présent, les festivités exceptionnelles), à assurer que les bâtis ne représentent pas de danger pour les habitants, comme l’a confirmé le Conseil d’État en 2005 : « Considérant que les pouvoirs de police générale reconnus au maire par les dispositions précitées des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales, qui s’exercent dans l’hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d’une cause qui lui est extérieure, sont distincts des pouvoirs qui lui sont conférés dans le cadre des procédures de péril ou de péril imminent régies par les articles L. 511-1 à L. 511-4 du Code de la construction et de l’habitation, auxquels renvoie l’article L. 2213-24 du Code général des collectivités territoriales, qui doivent être mis en œuvre lorsque le danger provoqué par un immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres ; que toutefois, en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage de ses pouvoirs de police générale, et notamment prescrire l’exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées » (CE, 10 octobre 2005, n° 259205).
La jurisprudence administrative rappelle l’exigence de signalement de l’existence d’un danger excédant celui contre lequel les administrés doivent normalement se prémunir : « En vertu de ces dispositions, il incombe au maire de la commune d’assurer la sécurité des promeneurs et notamment de signaler les dangers qui excèdent ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement se prémunir » (CAA Marseille, 18 octobre 2018, n° 17MA00828). Il conviendrait dans ce cadre de veiller à la parfaite information des propriétaires et occupants des immeubles présentant des balcons (dont aucun – fissuré ou non – n’est prévu pour accueillir des supporters, rappelons-le). De même, la mise en place d’un périmètre de sécurité au pied des immeubles, empêchant toute circulation aux abords immédiats de l’immeuble concerné participera à cette mise en sécurité des lieux. Dès lors que la commune et/ou le maire ont connaissance d’un tel risque pour la sécurité des habitants et des passants, il revient au maire d’agir dans les plus brefs délais.
En vertu de ses pouvoirs de police, le maire peut, par conséquent, eu égard à l’urgence de la situation et au risque particulièrement grave et imminent, interdire, provisoirement, l’accès aux balcons, par arrêté. On peut également envisager, toujours par arrêté, d’ordonner que l’accès au balcon soit condamné par l’installation de panneaux provisoires. Depuis mars, en tout cas, près d’une vingtaine de petits tags au pochoir sont apparus sur les façades d’immeubles parisiens, à proximité de Notre-Dame, rue Saint-Didier (XVIe) et rue Simart (XVIIIe). L’inscription, adjointe du symbole des Jeux olympiques, est éloquente : « Attention, chute possible du balcon ! » Quelle que soit la pertinence de cette mise en garde, la mairie de Paris a demandé le nettoyage des messages et le commissariat de Paris Centre a lancé une enquête pour en identifier les auteurs.
Référence : AJU013g8