Paris : les forêts urbaines, promesses et déconfiture
En juin dernier, une première forêt urbaine a été inaugurée place de la Catalogne, dans le XIVe arrondissement de Paris. Un projet de plantation qui fait partie d’un vaste programme de plantation d’arbres dans la capitale, qui ne convainc pas les défenseurs de l’environnement.
Au milieu des années 1980, les abords de la gare Montparnasse sont un vaste chantier. À l’ombre de la tour, terminée en 1973, les projets immobiliers de résidences et de bureaux pullulent. L’architecte espagnol, Ricardo Bofill, à qui l’on doit le quartier Antigone à Montpellier et les espaces d’Abraxas à Noisy-le-Grand créé de grands immeubles organisés en cercle autour d’une toute nouvelle place, la place de la Catalogne. À l’austérité des bâtiments répond une place minérale, toute de béton vêtue.
Dans les années 1990, quand les jardins Atlantique, suspendus au-dessus des rails de la gare, sont construits à quelques encablures de là, la place garde son apparence de triste rond-point. Il aura fallu attendre 2023 pour qu’un vaste chantier ne vienne chambouler cette triste tranquillité. En juin 2024, Anne Hidalgo a fait le déplacement pour inaugurer ce qui devient la première forêt urbaine construite ex nihilo en plein cœur de la capitale. À la place du béton, des rangées de chênes, merisiers ou charmes (470 arbres selon la mairie) et à leurs pieds – inaccessibles au public – des milliers de plants de fougères. 4 000 mètres carrés de forêt qui ont pour vocation, non seulement d’apporter du bien-être visuel aux habitants et visiteurs, mais aussi d’engendrer un « rafraîchissement de la température ambiante jusqu’à 4 degrés », précise la mairie.
Des forêts urbaines dans un plan massif de plantations d’arbres
En juin dernier, la mairie de Paris se félicitait d’avoir planté 11 3000 arbres en six ans et par là même se réjouissait de se rapprocher d’une promesse de campagne d’Anne Hidalgo, qui avait promis de planter 170 000 arbres dans la capitale d’ici 2026. Bords de périphériques (plus de 50 000 arbres plantés), verdissement des rues et des portes de la capitale, plantation le long des rues et des boulevards, agriculture urbaine sur les toits, cours d’écoles oasis, façades végétalisées, de maigrelets arbrisseaux et de jeunes arbres peinent à prendre racine dans des espaces urbains hostiles.
Annoncé de façon tonitruante en juin 2019, le concept de forêts urbaines en plein Paris semblait pourtant bien séduisant pour assurer un bilan très vert à sa municipalité et verdir l’image d’une cité bonnet d’âne de la verdure. En effet, selon une étude de l’Agence européenne pour l’environnement, basée sur 37 capitales européennes, la part du territoire urbain couvert par la cime des arbres s’élevait en moyenne à 30 % en 2018. Paris plafonnait, quant à elle, à 20 % : pas idéal pour une ville qui venait d’être sélectionnée pour héberger les Jeux olympiques d’été 2024.
« La nature reprend ses droits sur la cité », affirmait le communiqué de presse de la mairie en présentant son plan de forêts urbaines : quatre sites emblématiques furent tout de suite sélectionnés comme transformables (avant que toute étude ne viennent le contredire) : le parvis de l’Hôtel de ville, les voies sur berge, la place Henri Frenay près de la Gare de Lyon et de l’Opéra Garnier. Tout de suite, les associations et spécialistes de la place des arbres en ville levèrent les sourcils…
Des espaces artificiels et inutiles
« Les mots sont importants : on dit « forêts urbaines » or il faut un minimum de km2 pour désigner un ensemble comme une forêt. Là on est sur des surfaces petites, de 1 000 m2 ou 5 000 m2 : ce sont des bosquets, au mieux. Ils parlent de l’écosystème forestier et c’est aussi un abus de langage : sur la place de la Catalogne on ne risque pas de voir de sitôt des hérissons et des daims. Ce n’est pas un écosystème, c’est décoratif. Lors des premières réflexions sur les forêts urbaines, nous avons eu des échanges lunaires : aucun des sites envisagés n’était possible car ils étaient tous dénués de sous-sol car occupés par des parkings, des lignes de métros ! Nous avons eu des discussions surréalistes où il fallait expliquer que les arbres demandent du sol, du vrai sol ! Avec Photoshop, on peut mettre un arbre sur le Pont d’Iena, mais la réalité c’est que c’est impossible ! Ils ont dépensé plusieurs millions d’euros d’études techniques avant de trouver in fine des sites pour leurs forêts urbaines, le premier : place de la Catalogne et un deuxième sur le tracé de la petite couronne dans le XXe arrondissement », se souvient Tangui le Dantec. Il enseigne l’écologie appliquée et est le fondateur du collectif Aux arbres citoyens, dédié spécifiquement à la protection et à la sensibilisation des arbres en ville. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la santé urbaine et l’histoire des parcs et jardins en France. Selon lui, la politique de forêts urbaines et de plantations de milliers de jeunes arbres en ville n’est pas une solution idéale. « Il s’agit d’une politique quantitative et non qualitative, souligne-t-il. On a un effet d’annonce de planter 170 000 arbres en 10 ans, ce qui n’a pas de sens : il n’y a pas la place à part si on joue avec les mots. Un arbre, par définition, c’est une plante adulte qui fait sept mètres de haut. Donc un olivier dans un pot, ce n’est pas un arbre, une forêt Miyawaki – comme on en a planté sur les bords du périphérique avec trois pieds par mètres carrés, ce n’est pas une forêt d’arbres qui dans la nature sont espacés de 25 mètres. Il faudrait la surface du XVIIe arrondissement à la Mairie de Paris pour parvenir à planter autant d’arbres matures ». Le spécialiste ne mâche pas ses mots pour désigner une politique de greenwashing : « des forêts Miyawaki ont été plantées porte de Montreuil et tous les arbres sont en train de mourir, supplantés par une espèce exotique envahissante, les ailantes ». Tangui le Dantec dénonce aussi certains choix menés dans la capitale. « Les maires ont le droit sur le choix des essences plantées, dans le XIIe arrondissement, l’édile a choisi pour les bords d’une avenue des sapins du Colorado, espèce qui vit à 200 m d’altitude (la moitié sont morts), qui par sa forme conique prend beaucoup de place, qui a des racines traçantes et dont les épines bouchent les caniveaux. Elle a également choisi des mimosas d’Australie envahissants qui n’ont rien à faire à Paris » !
Penser une politique végétale cohérente pour une ville du futur
Tangui le Dantec regrette autre chose, concernant le site de la place de la Catalogne, qui a coûté 10 millions d’euros : le fait que les êtres humains en soient exclus. « Le bienfait du rafraîchissement ne pourra pas être ressenti par les habitants : les arbres ont un effet rafraîchissant sur une dizaine de mètres autour du tronc ». « Les forêts urbaines ne sont pas un gadget, mais véritablement des puits de carbone et des lieux pour rafraîchir et mettre à l’abri la population », avait expliqué Anne Hidalgo lors de l’inauguration de la place en juin. Un argument poumon vert dont doute Tangui le Dantec : « les services écosystémiques d’un arbre, son travail de dépollution de l’air et du sol, est proportionnel à la surface foliaire, à sa taille et à son âge : un grand tilleul sur le boulevard n’a rien à voir avec un petit arbrisseau qui n’aura jamais la place de dépasser les 5 mètres de haut. Voilà pourquoi la question n’est pas de planter un certain nombre d’arbres, mais de planter le bon arbre au bon endroit et de bien s’en occuper ». Le spécialiste considère qu’en lieu et place d’une forêt urbaine, construire un vrai parc, façon baron Haussmann, serait une bonne solution pour les arbres comme pour les habitants. Quelque chose qui ressemble plus au deuxième site de forêt urbaine, inauguré en juin, sur une ancienne friche ferroviaire dans le XXe arrondissement. Le Bois de Charonne, nouveau parc de 3,5 hectares sur les abords de la Petite Ceinture, est doté de plus de 2 000 arbres, 6 000 jeunes plants forestiers et 122 arbres tiges. Selon Tangui le Dantec, le site semble plus viable, même s’il reste circonspect sur les essences choisies : « ils ont voulu reconstituer une forêt tempérée plus classique avec des chênes, des hêtres, des charmes, et juste à côté des espèces plus boréales comme des boulots, et méditerranéennes comme des oliviers… on sent un côté expérimental mais je pense qu’il y aura des enseignements intéressants à tirer de ce site », concède-t-il.
Alors que le climat se dérègle, les arbres qui sont là depuis plus de 380 millions d’années, sont les premières vigies. Régulièrement, l’association de Tangui le Dantec répertorie les arbres morts dans la capitale. Températures, champignons, maladies, sécheresse, les arbres paient cher le prix des activités humaines. « Les forêts urbaines sont une chose, mais les arbres de Paris ne vont pas bien en général. Et en partie parce que la ville de Paris ne les entretient pas, les moyens déployés pour leur entretien baissent. Le nombre de bûcherons élagueurs a diminué de moitié depuis le mandat de Bertrand Delanoë, alors qu’ils ont toujours plus de travail ».
Le spécialiste ne perd pas espoir pour autant : « Il faudrait que Paris cesse les grands projets pharaoniques, la bétonisation, arrête de densifier la ville face aux risques environnementaux que nous connaissons à présent. Qu’elle prenne exemple sur Lyon ou Angers qui font des choses intéressantes dans leur politique urbaine végétale ».
Référence : AJU014p5