Pré-Saint-Gervais : la forêt de la discorde ?
Depuis plusieurs années, le projet immobilier censé succéder aux anciennes usines de salaison Busso est l’objet d’une lutte à échelle locale. Mais depuis le dépôt d’un permis de construire en juillet dernier, les tensions se sont avivées. La position de l’équipe municipale et des opposants au projet sera-t-elle un jour réconciliable ?
Le 10 septembre dernier, 500 manifestants se sont retrouvés au Square Aimé-Césaire du Pré-Saint-Gervais. Et de mémoire de Gervaisiens, on n’avait jamais vu ça ! Leur revendication ? L’arrêt du projet soutenu par la mairie qui consiste à construire une nouvelle zone d’habitation sur l’emplacement de l’ancienne usine de salaison, Busso, fermée en 2012. Sur le papier, le projet a tout pour séduire : il est promu comme permettant la création de logements sociaux mais également la plantation de plus de 2 500 m² d’arbres.
Mais l’association gervaisienne Le Pré en transition, qui promeut la végétalisation en zone urbaine, s’y oppose tout comme le collectif des riverains habitant autour de la zone Busso, et le collectif citoyen Alternative gervaisienne, dans l’opposition municipale. À leurs yeux, le projet ne répond pas aux promesses de départ. « Nous avions signé pour une forêt et nous nous retrouvons avec un ensemble de 29 mètres de haut ! », déplore Emmanuelle Fiée, membre du collectif des riverains de Busso. En effet, le projet va prendre la forme de plusieurs tours, une de 14 m de haut, de trois de 19 m et d’une de 29 m de haut. Et d’une zone de végétalisation, mais plus petite qu’annoncée dans la lettre du maire du 24 décembre 2019, dans laquelle la mairie annonçait avoir obtenu du promoteur immobilier, Cogedim, un espace vert public de 3 317 m². Or le permis de construire indique une surface finale de 2 541 m². Pour Leopold Hourquet, directeur du cabinet du maire Laurent Baron, la position des opposants au projet est « incompréhensible », car il rappelle que des concertations ont été organisées à partir de 2018 afin de proposer un projet basé précisément « sur les attentes des habitants consultés ». Mais de l’avis des opposants, ces concertations ont été décevantes et n’auraient réussi qu’à faire émerger un projet par défaut.
Un manque d’espaces verts
Plusieurs raisons les animent. Tout d’abord, la ville du Pré-Saint-Gervais est très concentrée puisque sa surface n’excède pas les 70 ha pour 17 000 habitants, soit une densité de population de 24 000 hts/km², faisant d’elle la 3e ville la plus peuplée de France, avancent les opposants. La surface d’espaces verts y est largement inférieure aux recommandations de l’OMS de 10 m² par personne, avec seulement 0,48 m² par personne. Avec ces 97 logements supplémentaires, cette proportion baissera encore pour atteindre les 0,39 m² par habitant. Dans une société post-confinement, où le manque d’espaces verts a été une véritable souffrance pour les urbains, ces chiffres semblent dérisoires. « Une vraie préoccupation, qui prend encore plus d’ampleur après cet été caniculaire, commente Emmanuelle Fiée. Les maux sont devenus une réalité : la chaleur a été impossible, le béton accumule la chaleur la journée et la rejette la nuit » ! Olivier Nouvian, le président du Pré en transition, abonde dans son sens. « Des études prouvent que la plantation d’arbres non alignés permet un rafraîchissement de l’atmosphère (jusqu’à 7°) et dépollue l’air sur un rayon de 300 mètres, soit quasiment toute la ville ». Mais à ses yeux, l’essentiel est ailleurs. « On parle beaucoup de biodiversité mais on oublie souvent la santé des citoyens, explique-t-il. Une récente étude menée à Lyon au centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard a montré que la pollution (à l’oxyde de carbone) augmentait de 9 % les risques de cancer du sein ». Alors que le Pré-Saint-Gervais est « bordé par le périphérique sur 2/3 de ses frontières et que la ville est une cuvette », comment la pollution de l’air ne serait-elle pas une donnée préoccupante ? Busso étant le dernier espace disponible constructible de la ville, ses 5 000 m² pourraient constituer « une forêt urbaine et un poumon vert » !
À la place de ce projet « idéal », seulement 2 541 m² d’arbres seront plantés, dans lesquels seront incluses les parcelles privées. Le différentiel entre le métrage initial et la surface du permis de construire, qui a interrogé les opposants au projet, provient des mesures qui ont été « affinées » entre-temps et de la présence d’une zone tampon rattachée à la copropriété séparant les espaces verts publics et privés, précise le cabinet du maire.
La technique de plantation choisie est également contestée. Car si la méthode Miyawaki, imaginée par le botaniste japonais éponyme, permet de replanter rapidement des espaces verts, une étude menée en Europe – loin du climat asiatique -, sur l’efficacité de la méthode en Méditerranée montre un taux de mortalité de 61 à 84 % des arbres douze ans après la plantation. Traduction : le rendu final de l’expérience prendra plutôt l’apparence d’arbres parsemés que d’une « vraie » forêt. Selon les détracteurs du projet, adieu, donc, l’îlot de fraîcheur tant espéré. Là encore, Leopold Hourquet défend le projet municipal : si cette méthode a été choisie, c’est qu’elle est comparable « au système capitaliste appliqué à la nature : il met les arbres en compétition pour qu’ils cherchent le soleil le plus rapidement et ainsi, poussent le plus vite possible ». Mais, reconnaît-il, « toute plantation sur un terrain bétonné passera par une phase où les plantes sont jeunes et petites, il faut l’accepter ». Dans ces conditions, il faudra « attendre une dizaine d’années pour avoir une canopée fermée ».
La question des logements sociaux
L’autre reproche adressé au projet porte sur le nombre de logements sociaux qui seront mis à disposition des Gervaisiens : la ville ne pouvant attribuer que 20 % des 29 logements sociaux (sur les 97 logements imaginés) en contrepartie de la garantie communale, cela représente seulement 6 logements pour les Gervaisiens. Leopold Hourquet ne dément pas ce chiffre, mais assure qu’on « ne peut pas réduire la politique de la ville à ces logements ». Et d’évoquer le travail réalisé avec les autres acteurs de l’attribution des logements sociaux, État, bailleurs ou Action logement, afin de « permettre de reloger les 1 400 personnes actuellement mal-logées dans notre ville ».
Le financement du projet semble poser aussi question. À la fermeture de l’usine en 2012, le propriétaire avait scellé un accord avec un promoteur pour un projet de 140 logements et un gymnase. La ville s’y était opposée. Par le biais de l’Établissement public foncier d’Île-de-France (Epfif), elle avait donc fait préempter le terrain pour un montant de 9 M€. Un portage temporaire de trois ans, qui a été dépassé depuis décembre 2020. Dans ce laps de temps, d’autres modes de financement auraient pu être trouvés, estiment les membres d’Alternative gervaisienne. « Les carences en espaces verts de notre ville en font la candidate idéale pour recevoir de multiples subventions. C’est une question de volonté politique », expliquent-ils dans un tract. Emmanuelle Fiée regrette de son côté que « le fond vert de 1,5 milliard et le fonds régional n’aient pas été sollicités par la ville ». Avec ces financements croient-ils, la forêt urbaine aurait pu devenir une réalité.
Mais Cogedim étant le promoteur du projet, envisager un autre montage financier signifierait rembourser les 9 M€ mis sur la table. Des contraintes économiques qui auraient bloqué le projet en l’état. Dès décembre 2019, la hauteur des tours posait problème. Face à cela, la Cogedim avait proposé trois options de négociation : augmenter le nombre de logements libres, baisser le nombre de logements sociaux ou baisser la hauteur des tours, mais en abandonnant de la surface d’espaces verts pour compenser. Sur ce point Leopold Hourquet reconnaît que pour des questions de rentabilité, il a été impossible de revoir la hauteur des tours à la baisse, car cela aurait impliqué de diminuer le nombre de logements ou d’augmenter leur prix. Cependant, il relativise l’impact esthétique soulevé par les riverains, par la proximité de bâtiments de hauteur similaire dans les environs directs.
Une pomme de discorde ?
Depuis l’été, les tensions se sont avivées. « Tout s’est enflammé cet été avec l’accord du permis de construire », confirme Emmanuelle Fiée. Un recours gracieux contre le permis de construire a été déposé en septembre par 46 personnes des 70 membres du collectif. « C’est un mode de contestation contre un projet d’urbanisme dans le but d’éviter le tribunal, rappelle Me Sébastien Le Biero, avocat qui a porté le recours, une façon de se tourner vers l’auteur du permis de construire quand différents problèmes de légalité se posent ». Dans ce recours gracieux, plusieurs points étaient soulevés, notamment la crainte que la forêt ne soit pas sécurisée et que les arbres puissent être abattus par la copropriété dans le futur, mais également portant sur l’impact du projet sur les monuments historiques par rapport à sa volumétrie, enfin l’incertitude de construire sur un sol qui n’a pas été dépollué, précise l’avocat. Leopold Hourquet explique que la ville a rejeté en bloc l’ensemble des arguments du recours gracieux. L’affaire ira-t-elle au contentieux ? « Les requérants ont jusqu’au 20 décembre pour saisir le tribunal », précise l’avocat, qui aurait préféré constater une position d’écoute de la part de la ville. Il rappelle par ailleurs que si l’affaire va au contentieux, « la Cogedim ne pourra pas construire pendant des années »…
Grégoire Roger, d’Alternative Gervaisienne et professeur d’histoire, glisse : « Historiquement, la ville avait développé un modèle architectural de cité-jardin, un vrai bijou comprenant des logements et des jardins verts. Un siècle plus tard, il n’en reste que des parcelles. La ville pourrait profiter de ces crises pour se réinventer, se réadapter. Elle pourrait rester visionnaire. Rien n’est figé », veut-il encore croire.
Référence : AJU006v3