Urbanisme : qu’est-ce qu’une « mesure de régularisation » au sens de l’article L. 600-5-1 ?

Publié le 05/07/2023
Urbanisme : qu’est-ce qu’une « mesure de régularisation » au sens de l’article L. 600-5-1 ?
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L’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme organise un mécanisme de régularisation des autorisations d’urbanisme en cours d’instance sous l’égide du juge. Dans un arrêt du 4 mai 2023, le Conseil d’État précise que, au sens et pour la mise en œuvre de cet article, la notion de « régularisation » s’entend d’une décision individuelle formellement prise sur le projet. Par suite, la seule évolution favorable d’une réglementation ne peut, à elle seule, être regardée comme une mesure de régularisation de l’autorisation d’urbanisme contestée.

CE, 10e-9e ch. réunies, 4 mai 2023, no 464702

Le mécanisme de régularisation de l’article L. 600-5-1

Reprenant une proposition du rapport Labetoulle publié en 20131, l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme a introduit, dans le Code de l’urbanisme, un article L. 600-5-1 prévoyant un mécanisme de régularisation des autorisations d’urbanisme irrégulières sous l’égide du juge. Celui-ci est mis en œuvre, au cours de l’instruction, lorsque le juge identifie un vice susceptible d’être régularisé et qu’aucun des autres moyens n’apparaît fondé. Dans ce cas de figure, le juge sursoit à statuer afin de laisser au titulaire de l’autorisation contestée la possibilité de présenter une demande de régularisation et à l’Administration de mettre en œuvre une telle mesure. Si le vice est régularisé dans le délai accordé, la requête est rejetée. S’il ne l’est pas, l’autorisation attaquée est annulée.

Conditions de mise en œuvre et innovations de la loi ELAN

En vertu de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, la mise en œuvre du mécanisme est subordonnée à deux conditions : d’une part, un vice entachant l’acte est susceptible d’être régularisé ; d’autre part, les autres moyens ne sont pas fondés.

Sur le premier point, le caractère régularisable du vice s’apprécie « eu égard à la nature et à la portée » de celui-ci2. A par exemple été regardé comme régularisable le vice tenant à l’absence de mise à disposition du public d’une étude d’impact avant la délivrance d’un permis de construire3 ou au non-respect des règles de distance par rapport aux limites séparatives4.

La seconde condition tient au caractère infondé des autres moyens. Il revient donc au juge de constater préalablement qu’aucun des autres moyens (soulevés par le requérant ou le cas échéant d’ordre public) n’est fondé5.

Notons enfin, pour terminer sur l’exposé des conditions, qu’il a été admis par la jurisprudence6 puis confirmé par la loi ELAN7 que le mécanisme de régularisation peut être mis en œuvre « même après l’achèvement des travaux »8.

La loi ELAN a par ailleurs apporté un double changement au dispositif9. D’une part, elle a rendu obligatoire la mise en œuvre du mécanisme lorsque les conditions posées à l’article L. 600-5-1 sont remplies. En effet, en ajoutant à cet article la précision selon laquelle « le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé », le législateur a entendu rendre obligatoire la mise en œuvre du mécanisme lorsque les conditions énoncées à l’article L. 600-5-1 sont remplies. Comme l’indique en ce sens le Conseil d’État, il résulte des dispositions de l’article L. 600-5-1, éclairées par les travaux parlementaires, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée sont susceptibles d’être régularisés, « le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation »10. D’autre part, la loi a prévu qu’il serait désormais remédié au vice entachant l’autorisation contestée, non plus par un « permis modificatif » mais par une mesure de « régularisation ». C’est ce point – plus exactement la question de savoir ce que recouvre la notion de « régularisation » – qui nous intéresse ici.

La notion de « régularisation »

Jusqu’à la loi ELAN, l’article L. 600-5-1 prévoyait que la régularisation intervienne au moyen d’un permis modificatif. La possibilité d’une régularisation était par conséquent soumise aux conditions et limites prévues par le régime du permis modificatif. En particulier, seules des modifications d’une ampleur limitée pouvaient être apportées. La loi ELAN a supprimé de l’article L. 600-5-1 la notion de « permis modificatif », ne laissant subsister que celle de « régularisation ». Celle-ci est plus large et permet d’affranchir les possibilités de régularisation des limites attachées au permis modificatif. Le Conseil d’État en a tiré les conséquences en affirmant qu’un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé « même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même »11.

Une décision récemment rendue par le Conseil d’État est venue apporter un éclairage supplémentaire sur la notion de « régularisation » au sens de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, en précisant la forme que celle-ci doit revêtir.

Les circonstances ayant conduit à la survenance de la question

Les faits qui se trouvent à l’origine de l’affaire sont relativement simples. En 2018, la société Octogone se voit délivrer par le maire de Cépet un permis de construire (modifié par un permis modificatif en 2020) l’autorisant à édifier un bâtiment à usage de logement et de commerce. Ces permis sont contestés par une association de sauvegarde du cadre de vie devant le tribunal administratif de Toulouse.

Le tribunal va estimer qu’un seul moyen est fondé et qu’il est en outre régularisable. Il s’agit d’un moyen reposant sur la méconnaissance d’un article du règlement du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune, en l’occurrence l’article UA 10, relatif à la hauteur des bâtiments. Estimant que ce vice est régularisable, le tribunal administratif met en œuvre l’article L. 600-5-1 : par un jugement avant dire droit du 16 février 2021, il sursoit à statuer sur les conclusions dont il est saisi et accorde à la société Octogone un délai de cinq mois pour régulariser le projet au regard de cette règle de hauteur.

Il se trouve que, durant ce délai, le conseil municipal modifie le règlement du PLU et, en particulier, son article UA 10. Estimant que son projet est conforme à la nouvelle rédaction de cet article, la société Octogone se prévaut de la modification ainsi intervenue et fait valoir qu’elle doit être regardée comme une mesure de régularisation au sens de l’article L. 600-5-1.

Le tribunal administratif refuse de regarder cette modification réglementaire comme une mesure de régularisation et annule en conséquence les permis contestés par un second jugement rendu le 8 avril 2022. Saisi par le pétitionnaire d’un recours en cassation, le Conseil d’État est appelé à trancher la question de principe que cette affaire soulève : une modification du cadre réglementaire intervenue depuis la délivrance du permis contesté peut-elle être regardée comme une régularisation au sens de l’article L. 600-5-1 ?

Il y répond dans un arrêt du 4 mai 2023, publié au recueil Lebon.

La nécessité d’une décision individuelle

Le Conseil d’État indique qu’une autorisation d’urbanisme irrégulière peut être régularisée « dans le cas où le bénéficiaire de l’autorisation initiale notifie en temps utile au juge une décision individuelle de l’autorité administrative compétente valant mesure de régularisation à la suite d’un jugement décidant, en application de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, de surseoir à statuer sur une demande tendant à l’annulation de l’autorisation initiale. En revanche, la seule circonstance que le vice dont est affectée l’autorisation initiale et qui a justifié le sursis à statuer résulte de la méconnaissance d’une règle d’urbanisme qui n’est plus applicable à la date à laquelle le juge statue à nouveau sur la demande d’annulation, après l’expiration du délai imparti aux intéressés pour notifier la mesure de régularisation, est insusceptible, par elle-même, d’entraîner une telle régularisation et de justifier le rejet de la demande » (pt 3).

Ainsi, la mesure de régularisation L. 600-5-1 doit nécessairement prendre la forme d’une décision individuelle, c’est-à-dire d’une prise de position de l’autorité administrative sur le projet de construction concerné. À cet égard, pour conclure que le projet respecte les exigences applicables, l’Administration peut parfaitement se borner à tirer les conséquences d’une évolution réglementaire intervenue entre la délivrance de l’autorisation initiale et le moment où elle se prononce (le pétitionnaire pouvant ainsi, de façon opportuniste, tirer profit d’une évolution de la réglementation favorable à son projet, ainsi que cela a été admis par la jurisprudence12). Mais il est nécessaire qu’elle le fasse par un acte spécifique, constatant que l’illégalité dont se trouvait entachée l’autorisation initiale a été levée. Il en résulte que la seule évolution du cadre juridique, sans prise de position de l’autorité compétente, ne permet pas de regarder le vice comme ayant été régularisé pour la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme.

Cette solution, qui a le mérite de la clarté, se justifie par deux raisons.

D’une part, l’article L. 600-5-1 évoque une mesure de régularisation « notifiée » au juge dans le délai qu’il a accordé après la décision de surseoir à statuer. L’usage de ce verbe semble impliquer qu’une mesure ait été prise spécialement et qu’elle revête un caractère individuel. La notion de « notification » employée ici se conçoit donc par rapport à une décision formalisée. On ajoutera que l’article L. 600-5-2 du Code de l’urbanisme conforte cette interprétation. Il présente en effet le « permis modificatif », la « décision modificative » mais aussi, pour ce qui nous intéresse, la « mesure de régularisation » comme un « acte », évoquant par ce vocable l’adoption d’une prise de position spécifique.

D’autre part, il est de jurisprudence constante que la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction et non à la date à laquelle le juge statue. Par suite, si l’acte était contraire à une norme juridique au moment de son édiction et est devenu conforme à cette norme ou compatible avec celle-ci à la suite d’une évolution des textes, le juge l’annulera néanmoins13. Cette solution ne comporte que de rares exceptions, au titre de la jurisprudence Américains accidentels14, mais le contentieux de l’urbanisme n’est pas concerné par celles-ci. Dans ces conditions, la légalité d’une autorisation d’urbanisme continue de s’apprécier au regard des textes applicables à la date de sa délivrance. Par suite, deux situations peuvent se rencontrer. Si une décision individuelle – modificative ou de régularisation – est prise, elle s’incorpore à la décision initiale et il en sera donc tenu compte dans l’appréciation de la légalité de l’autorisation initiale. En revanche, si aucune mesure individuelle n’est intervenue, une évolution de la réglementation ne peut, à elle seule, être prise en compte.

Le Conseil d’État en tire les conséquences en l’espèce. Il affirme que, en jugeant que la seule évolution de l’article UA 10 du règlement du PLU « ne permettait pas de régulariser les permis de construire litigieux, en l’absence de mesure individuelle de régularisation prise par la commune de Cépet après la modification du plan local d’urbanisme, et en annulant en conséquence les décisions attaquées, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit » (pt 4).

Ainsi, et en conclusion, une évolution favorable d’un texte ne suffit pas à ce que l’autorisation d’urbanisme qui contrevenait à sa version initiale soit regardée comme régularisée. Il est nécessaire qu’une décision individuelle en tire expressément les conséquences sur le projet d’urbanisme contesté.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Ministère de l’Égalité des territoires et du Logement, rapp., avr. 2013, Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, D. Labetoulle, p. 12.
  • 2.
    CE, 22 févr. 2017, n° 392998, Bonhomme et a. : Lebon T. ; BJDU 2017, p. 187, concl. S. von Coester ; JCP A 2017, 2250, note E. Vital-Durand ; Constr.-Urb. 2017, comm. 52, note P. Cornille.
  • 3.
    CE, 3 juin 2020, n° 427781, Sté Compagnie immobilière méditerranée : Lebon T.
  • 4.
    CE, 22 févr. 2017, n° 392998, Bonhomme et a. : Lebon T. ; BJDU 2017, p. 187, concl. S. von Coester ; JCP A 2017, 2250, note E. Vital-Durand ; Constr.-Urb. 2017, comm. 52, note P. Cornille.
  • 5.
    CE, avis, 18 juin 2014, n° 376760, Sté Batimalo et a. : Lebon ; JCP A 2014, 950, note G. Eveillard ; JCP A 2014, 2298, note D. Gillig ; RJEP 2014, comm. 50, note. E. Crépey – CE, 5 févr. 2021, n° 430990, Boissery, Lebon T. ; BJDU 2021, p. 195, concl. L. Domingo.
  • 6.
    CE, 22 févr. 2017, n° 392998, Bonhomme et a. : Lebon T. ; BJDU 2017, p. 187, concl. S. von Coester ; JCP A 2017, 2250, note E. Vital-Durand ; Constr.-Urb. 2017, comm. 52, note P. Cornille.
  • 7.
    L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
  • 8.
    C. urb., art. L. 600-5-1.
  • 9.
    E. Baron, « Focus sur l’évolution des conditions de régularisation des autorisations d’urbanisme (C. urb., art. L. 600-5-1) », JCP A 2019, 2018.
  • 10.
    CE, avis, sect., 2 oct. 2020, n° 438318, Barrieu : Lebon ; JCP A 2020, 2272, note J. Leplanois ; Constr.-Urb. 2020, comm. 121, note L. Santoni ; Dr. adm. 2020, comm. 52, note J. Martin ; BJDU 2021, p. 50, concl. O. Fuchs ; BJDU 2021, p. 56, note F. Poulet. Ce faisant, le Conseil d’État revient sur sa jurisprudence antérieure à la loi ELAN posant que la mise en œuvre du mécanisme d’annulation partielle pour régularisation constituait pour le juge une faculté (CE, 28 déc. 2017, n° 402362, Sté PCE et a. : Lebon T.).
  • 11.
    CE, avis, sect., 2 oct. 2020, n° 438318, Barrieu : Lebon ; JCP A 2020, 2272, note J. Leplanois ; Constr.-Urb. 2020, comm. 121, note L. Santoni ; Dr. adm. 2020, comm. 52, note J. Martin ; BJDU 2021, p. 50, concl. O. Fuchs ; BJDU 2021, p. 56, note F. Poulet. On notera que, par un effet d’entraînement et en vue d’éviter un décalage entre ce que le pétitionnaire peut obtenir dans le cadre du permis modificatif et au titre de l’article L. 600-5-1, la jurisprudence a ultérieurement aligné le champ matériel du permis modificatif sur celui de la mesure de régularisation, CE, sect., 26 juill. 2022, n° 437765, Mme Vincler c/ Cne de Montreuil : Lebon ; RFDA 2022, p. 889, note O. Le Bot ; RDI 2022, p. 539, obs. P. Soler-Couteaux ; JCP A 2022, 2273, note F. Polizzi ; Dr. adm. 2022, comm. 45, note J. Martin.
  • 12.
    CE, avis, 7 mars 2018, n° 404079, Bloch : Lebon ; BJDU 2018, p. 186, concl. X. Domino.
  • 13.
    V., par ex., CE, ass., 8 mars 1985, n° 64393, Alba-Ramirez : Lebon.
  • 14.
    La jurisprudence Américains accidentels et les arrêts rendus dans son sillage concernent des recours formés contre des décisions de refus et dont la finalité réside en réalité, non pas dans l’annulation du refus, mais dans l’injonction qui sera prononcée par le juge en conséquence de cette annulation. Le Conseil d’État estime que, dans de tels cas de figure, si un acte illégal au moment de son édiction est devenu légal par suite d’un changement de circonstances, il n’y aurait pas de sens à l’annuler et à adresser une injonction à l’Administration – par exemple, enjoindre d’abroger un règlement après annulation du refus de l’abroger (CE, ass., 19 juill. 2019, n° 424216, Assoc. des américains accidentels : Lebon) ou enjoindre de communiquer un document administratif après annulation du refus de le communiquer (CE, 1er mars 2021, n° 436013, Podevin : Lebon T.) – puisque, dès le lendemain, l’Administration serait fondée, en droit, à reprendre exactement la même décision. Aussi le Conseil d’État estime-t-il que pour assurer, selon ses propres termes, l’« effet utile » de son intervention dans de tels cas de figure, il y a lieu de fusionner l’office du juge de la légalité et celui du juge de l’exécution en les exerçant tous deux à la date à laquelle il se prononce. On parle d’« appréciation dynamique » de la légalité.
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