Article L. 600-2 du Code de l’urbanisme : la modification du projet par suite de l’annulation d’un refus de permis de construire limitée à de « simples ajustements ponctuels »

Publié le 15/03/2023
Urbanisme
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À la suite de l’annulation d’un refus de permis de construire, le pétitionnaire souhaitant faire usage des dispositions de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme ne peut pas modifier son projet au-delà de « simples ajustements ponctuels ».

CE, 6e-5e ch. réunies, 14 déc. 2022, no 448013

La société Eolarmor a déposé une demande de permis de construire pour la démolition partielle, la rénovation et l’extension d’un bâtiment existant en vue de la réalisation d’un immeuble collectif de 12 logements sur le territoire de la commune de Trébeurden (Côtes-d’Armor).

Par un arrêté du 6 juin 2014, le maire a opposé un refus à cette demande.

Par un jugement du 17 mars 2017, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision de refus et enjoint au maire de prendre une nouvelle décision.

La commune a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Nantes.

La société Eolarmor ayant, entre-temps, confirmé sa demande, le maire a, par un arrêté du 9 mai 2017, à nouveau refusé de délivrer le permis.

À la suite d’un protocole transactionnel entre la commune et la société Eolarmor, approuvé par une délibération du conseil municipal en date du 1er février 2018, la commune s’est désistée de l’appel qu’elle avait formé contre le jugement du 17 mars 2017.

Par un arrêt du 16 mars 2018, la cour administrative d’appel de Nantes lui a donné acte de ce désistement.

Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 mars 2017 annulant le refus de permis de construire est donc par suite devenu définitif.

La société Eolarmor a alors confirmé, de nouveau, sa demande de permis de construire et le maire de Trébeurden a délivré le permis sollicité par un arrêté du 20 avril 2018.

Les associations Avenir du littoral et Trébeurden Patrimoine et Environnement ont saisi le tribunal administratif de Rennes d’un recours tendant à l’annulation pour excès de pouvoir dudit permis.

Par un jugement du 7 octobre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs requêtes.

Par un arrêt du 20 octobre 2020, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé ce jugement et le permis de construire du 20 avril 2018.

Saisi en cassation par la société Eolarmor, le Conseil d’État considère, d’une part, que les dispositions de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme « ont un caractère dérogatoire [et] sont d’interprétation stricte. En jugeant que la demande présentée par la société Eolarmor ne pouvait être considérée comme une confirmation de sa demande d’autorisation initiale au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme dès lors qu’elle impliquait une modification du projet dépassant de simples ajustements ponctuels, qu’il s’agissait par suite d’une demande portant sur un nouveau projet et qu’elle devait, dans ces conditions, être appréciée non au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire, mais au regard des règles du plan local d’urbanisme [(PLU)] adopté en 2017, applicables à la date de cette nouvelle demande, la cour administrative d’appel de Nantes, qui a porté sur les pièces du dossier une appréciation dénuée de dénaturation, n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit ».

D’autre part, il estime, au regard des dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, que « lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée sont susceptibles d’être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme. Un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».

Ce faisant, le Conseil d’État apporte une utile précision aux dispositions de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme (I) et réaffirme sa position concernant les dispositions de l’article L. 600-5-1 du même code (II).

I – Une interprétation stricte des dispositions de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme

Faisant une application stricte de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’État précise que la demande de permis de construire présentée par le pétitionnaire pour donner suite à l’annulation du refus dudit permis ne peut être considérée comme une confirmation de la demande initiale au sens de ces dispositions que lorsque cette demande implique « une modification du projet dépassant de simples ajustements ponctuels ».

Pour mémoire, l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme permet au pétitionnaire ayant fait l’objet d’un refus d’autorisation et en ayant obtenu l’annulation devant les juridictions administratives de voir sa demande réinstruite au regard des dispositions d’urbanisme en vigueur à la date d’intervention de la décision annulée.

Par ces dispositions, le législateur a entendu protéger le demandeur qui, s’étant vu opposer à tort un refus d’autorisation, risquait de se voir appliquer de nouvelles dispositions pouvant éventuellement faire obstacle à son projet.

Le pétitionnaire ne peut bénéficier de cette cristallisation du droit antérieur qu’à la double condition que l’annulation juridictionnelle soit devenue définitive et que la demande d’autorisation ait été confirmée dans un délai de six mois à compter de la notification de l’annulation.

Par sa décision du 14 décembre 2022, le Conseil d’État s’est prononcé sur la possibilité pour le pétitionnaire de bénéficier des dispositions de l’article L. 600-2 précité lorsque ce dernier a, à l’occasion de sa demande confirmative, apporté des modifications à sa demande initiale. Comme le rappelle monsieur Nicolas Agnoux, rapporteur public sur cette affaire, cette question n’avait pas encore été tranchée par la haute juridiction.

En l’espèce, la société pétitionnaire s’était vu refuser un permis de construire pour la démolition partielle, la rénovation et l’extension d’un bâtiment existant en vue de la création de 12 logements. Ayant obtenu l’annulation de ce refus devant les juridictions administratives et ayant confirmé sa demande de permis, elle avait finalement obtenu l’autorisation sollicitée.

À l’occasion d’un contentieux sur ce permis, la société pétitionnaire invoquait le bénéfice de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme et, en conséquence, se prévalait des prescriptions d’urbanisme en vigueur à la date de la décision de refus de permis annulée.

Pour rejeter cette demande, le Conseil d’État, suivant la cour administrative d’appel de Nantes, a considéré que la demande comportait des modifications trop importantes, « dépassant de simples ajustements ponctuels », pour être qualifiée de demande confirmative au sens de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme.

La Cour avait relevé les modifications suivantes entre la demande initiale et la demande présentée comme confirmative : « Une réduction de 40 mètres carrés de surface de plancher du projet qui s’établit désormais à 840 mètres carrés, la création d’un niveau supplémentaire en sous-sol, la modification de la hauteur des étages, la diminution de la longueur du dernier étage et des modifications de ses façades, ainsi qu’un changement de la structure et une augmentation substantielle de la hauteur de la toiture du fait de la conservation d’une partie de la toiture existante »1.

Le Conseil d’État en a déduit que le projet était nouveau et que la société pétitionnaire ne pouvait, de ce fait, bénéficier des dispositions de l’article L. 600-2 précité. En conséquence, la nouvelle demande devait nécessairement être instruite au regard des règles du nouveau PLU et non au regard des dispositions en vigueur à la date d’intervention de la décision annulée.

Dans cette affaire, le Conseil d’État n’a pas suivi le rapporteur public, lequel proposait une solution plus souple autorisant le bénéfice des dispositions de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme au pétitionnaire modifiant sa demande « dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même mais dans la seule mesure où ces évolutions ne conduisent pas à porter aux nouvelles règles d’urbanisme une atteinte supplémentaire par rapport à celle résultant du projet initialement prévu ».

Le Conseil justifie le choix de cette interprétation stricte de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme, ne permettant que de « simples ajustements ponctuels » de la demande initiale, par le caractère dérogatoire de ces dispositions.

Si l’arrêt n’apporte aucune précision sur la notion d’« ajustements ponctuels », il permet déjà d’affirmer que les modifications relevées en l’espèce ne sauraient être qualifiées comme telles. Il appartiendra aux juridictions du fond de préciser l’étendue de cette nouvelle notion qui pourrait être éventuellement éclairée par la jurisprudence relative aux modifications autorisées pour un permis de régularisation.

II – La confirmation logique de l’interprétation des dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme

En application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, lorsqu’une autorisation d’urbanisme faisant l’objet d’un recours contentieux est entachée d’un vice susceptible d’être régularisé et que les autres moyens ne sont pas fondés, le juge administratif, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, sursoit à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Cet article dispose également que le juge est tenu de motiver le refus de faire droit à une demande de sursis à statuer.

Par un avis du 2 octobre 2020, le Conseil d’État précisait que ces dispositions pouvaient être mises en œuvre alors même que la régularisation du vice implique de modifier l’économie générale du projet en cause, à condition toutefois « que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même »2.

Le Conseil avait également indiqué que le juge n’est pas tenu de surseoir à statuer si les conditions de l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme sont réunies et qu’il fait le choix d’y recourir et si le bénéficiaire de l’autorisation lui a indiqué qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’une mesure de régularisation.

Par sa décision du 14 décembre 2022, le Conseil fait application de cet avis et confirme la possibilité de régulariser un projet dont l’économie générale serait modifiée dès lors que la mesure de régularisation n’implique pas d’apporter au projet un bouleversement en changeant la nature même.

Le Conseil précise également que le juge administratif n’est pas tenu de motiver son refus de faire usage des dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme lorsqu’il n’a pas été saisi d’une demande de régularisation.

En l’espèce, la société pétitionnaire n’avait pas formé de demande de régularisation et la haute juridiction a considéré que, en statuant sans faire usage de l’obligation de surseoir à statuer pesant sur elle, la cour a « implicitement mais nécessairement estimé que l’un au moins des vices affectant la légalité du permis de construire était insusceptible d’être régularisé ».

Le Conseil estime que le juge administratif n’est tenu de motiver son refus de faire application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme uniquement s’il est saisi d’une demande de régularisation. Il appartient donc aux défendeurs d’invoquer le bénéfice de cet article afin que la juridiction soit tenue de motiver son refus, le cas échéant.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CAA Nantes, 5e ch., 20 oct. 2020, nos 19NT04717 et 19NT04718.
  • 2.
    CE, sect., 2 oct. 2020, n° 438318.
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