Au CESDIP, « la recherche est notre raison d’être » !

Publié le 04/01/2024

Cesdip

Le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) est une unité mixte de recherche du CNRS créée en 1983. Il émane du Service d’études pénales et criminologiques du ministère de la Justice (SEPC) établi en 1969. En France, le CESDIP occupe une place particulière dans le paysage des laboratoires de sciences humaines et sociales (SHS) du fait de sa spécialisation, sur les institutions pénales et des déviances, mais aussi du fait de sa structuration sous tutelle du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du ministère de la Justice (MJ), de l’Université de Versailles Saint-Quentin (UVSQ) et de Cergy Paris Université (CY). Plus de cinquante ans après ses débuts, ses champs de recherche sont au cœur de nos questionnements contemporains.

Le CESDIP est implanté à Guyancourt, dans l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, à proximité de la faculté de droit et science politique et de l’UFR des sciences sociales. Il réunit des chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs, techniciens, personnels administratifs mais aussi des doctorants, chercheurs associés et des personnels contractuels. Comme indiqué sur son site : « la mission essentielle du CESDIP est de contribuer à la production d’une sociologie pénale reconnue internationalement ». Dans le détail, le CESDIP explore plusieurs axes de recherche : justice pénale et les institutions pénitentiaires ; prévention et sécurité urbaine ; migrations, minorités, discriminations ; déviances et engagements.

Professeur de sciences politiques et directeur du CESDIP, Jacques de Maillard travaille sur les questions de police et de sécurité publique, mais aussi sur les relations police-publics ou encore la coproduction des politiques locales de sécurité et de prévention. « Notre singularité relative, par rapport à d’autres centres de recherche en sciences sociales, dit-il, tient au fait que nous sommes thématisés. Le CESDIP réunit des politistes, des sociologues, des historiens, des juristes, des universitaires, des chercheurs au CNRS… autour des questions de la déviance et de son traitement par les institutions. Cette organisation est plus fréquente en Belgique, en Angleterre ou aux Pays-Bas. Le deuxième point qui nous singularise relativement, est le fait qu’il y ait un lien entre société civile, recherche, pouvoirs publics et médias. Nous avons une visibilité collective sur des spécialisations – radicalisation, questions de police, questions pénitentiaires – qui contribue à ce qu’on fasse de la recherche en lien avec les institutions. Nous sommes attachés au fait que nos résultats de recherche ne soient pas contenus uniquement dans des rapports ou des publications académiques mais qu’ils aient un public plus large. »

Ayant également comme tutelle le ministère de la Justice, qui ne contraint cependant ni la conduite des recherches ni la diffusion de leurs résultats, ce centre de recherche peut également répondre à des sollicitations ou des orientations des pouvoirs publics. « Nous travaillons toujours de manière indépendante, précise Mathilde Darley, directrice adjointe du CESDIP, et majoritairement sur des recherches que nous initions. Mais nous pouvons également être sollicités sur des thèmes identifiés par nos institutions partenaires comme présentant un manque en matière de recherche. Dans la mesure du possible, s’il y a un besoin, on essaye de mobiliser des équipes pour y répondre. Cela fait aussi partie de notre singularité que d’avoir ce dialogue avec nos institutions partenaires. »

Déviances, sécurité et justice pénale

« Les recherches du CESDIP s’attachent donc à comprendre le fonctionnement et la production des institutions pénales, de la justice pénale, de la police, de la gendarmerie, et plus largement des institutions qui prennent part à la prévention et au traitement des atteintes aux personnes, aux biens et à la sécurité », peut-on lire sur le site. Ce laboratoire interdisciplinaire poursuit des travaux, depuis sa création, sur la « quantification de l’activité judiciaire » et « sur le fonctionnement des institutions judiciaires et leur impact sur les justiciables ». Ainsi, un certain nombre de recherches s’intéressent, par exemple, à l’intégration de la justice pénale dans différentes politiques publiques. « Elles étudient notamment la pénalisation ou la dépénalisation de certaines pratiques, les modes alternatifs de résolution des problèmes et conflits, ainsi que les effets produits par ce traitement différencié des infractions. » Les désordres, notamment urbains, et leurs régulations constituent un autre thème central au sein du CESDIP, tout comme les interactions entre les institutions pénales (police, justice), mais aussi entre ces dernières et leur public-cible.

Depuis les années 1980, ce dernier a évolué en intégrant comme objets de recherches l’arrivée des nouvelles technologies : fichiers de police numérisés, police scientifique, cybersurveillance, cybercriminalité, big data, caméras piétons, etc. Les ressorts genrés et racialisés sont également interrogés. C’est le cas des recherches d’Emmanuel Blanchard, maître de conférences au département de science politique de l’Université de Versailles Saint-Quentin et à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, qui a travaillé sur les stéréotypes genrés accompagnant le contrôle policier des populations colonisées, ou de celles de Mathilde Darley sur le contrôle et la qualification policier et judiciaire du proxénétisme et de la traite des êtres humains. « L’analyse des discriminations, et plus généralement des politiques et pratiques administratives en direction de minorités, s’est imposée depuis une vingtaine d’années comme l’un des axes forts des recherches menées au CESDIP ». Dans ce cadre, différents travaux développent une approche intersectionnelle.

Objet « traditionnel », la question des déviances tient elle aussi compte des évolutions profondes des sociétés contemporaines mais aussi de nouveaux profils et intérêts de chercheurs et chercheuses. « Une des innovations importantes au CESDIP ces dernières années réside dans le développement des recherches qui investissent la question des engagements civiques et du rapport à la citoyenneté », ainsi que celle des « radicalités violentes ». « Plus ancien et plus important centre de recherches français sur ces questions », le CESDIP tient donc sa « force » d’une triple ouverture : dans les méthodes (aussi bien quantitatives que qualitatives), dans les disciplines et dans les aires géographiques couvertes. « Nos recherches couvrent toutes les échelles, du local à l’international, ajoute Jacques de Maillard.

En Île-de-France, René Levy travaille sur la transformation de la police en Seine-et-Oise au début du XXe siècle. Certains travaux récents ont par exemple porté sur les politiques locales de prévention à la sécurité dans les Yvelines et en Seine-Saint-Denis. D’autres encore travaillent sur l’exploitation de l’enquête de victimation de la région Île-de-France. Plusieurs recherches s’inscrivent à l’échelle nationale, telle celle visant à évaluer les actions conduites par la Mission de lutte contre la radicalisation violente de la DAP. Enfin, la dimension internationale, voire transnationale, est également très présente : différents projets actuellement conduits avec des partenaires internationaux portent sur les expériences de citoyenneté, sur les modes de contrôle des forces de police ou encore sur les opinions publiques et la question de la délinquance dans différents pays européens ».

Accessibilité des données

Pour mener à bien ces travaux, les données sont indispensables. En France, la difficulté d’accès est assez variable, avec des institutions « plus ou moins ouvertes » et des « autorisations qui prennent plus ou moins de temps ». « Mais j’ai l’impression que l’établissement de relations long terme, que ce soit avec la police, la justice et les collectivités territoriales, font que nous n’avons pas d’exemple dans le laboratoire où l’accès n’ait pas pu se faire, même si les accès sont loin d’être garantis et demandent du temps », affirme Jacques de Maillard. En revanche, pour tout ce qui est données administratives, il y a une procéduralisation et une sécurisation juridique des données, qui font que ça peut prendre du temps. Nous faisons face à plusieurs tamis successifs de double sécurisation juridique et numérique. Il peut donc y avoir un décalage entre la production d’une enquête et son utilisation par les chercheurs. Le RGPD joue en effet un rôle très important dans nos recherches, ce qui allonge les autorisations d’utilisation. Il y a enfin des données que nous n’avons pas. Si on compare la France avec d’autres pays, nous avons un niveau de transparence très incomplet. »

En complément de la statistique officielle, le CESDIP peut être amené à développer ses propres outils et bases de données pour des analyses plus approfondies. En 2015, dans le cadre du programme de recherche sur les Interactions entre science, innovation, société (ISIS) de l’Université Paris-Saclay, le CESDIP a ainsi créé un Observatoire scientifique du crime et de la Justice (OSCJ) qui présente des séries longues sur l’insécurité et la justice.

« Produire des effets de long terme »

Au CESDIP comme ailleurs, les recherches peuvent prendre des mois, voire des années à aboutir. « Nous considérons que la recherche s’inscrit dans une temporalité longue, nous dit Jacques de Maillard. Celle que je mène avec Félicien Faury sur les vidéos de contrôle du travail des policiers (Visions of policing) dure par exemple depuis 36 mois. Nous avons aussi des échéances avec des rapports d’étapes, des publications intermédiaires, etc. Mais l’horizon reste relativement long. » À l’instar de cette étude menée par une équipe de chercheurs français, dirigée par Fabien Jobard et René Lévy (CNRS-CESDIP) qui a, pour la première fois en 2009, testé scientifiquement l’existence de contrôles au faciès dans la police nationale française. « L’étude s’est déroulée à Paris, sur des sites très fréquentés et où la présence policière est forte : dans et autour de la Gare du Nord et de la station Châtelet-les-Halles. Le résultat est une confirmation du fait que les contrôles de police se fondent sur l’apparence des personnes : leur sexe (on contrôle surtout les hommes), leur âge (on contrôle surtout les jeunes), leur habillement (on contrôle surtout des styles comme « hip-hop » ou « gothique ») et la couleur de leur peau (on contrôle davantage les « Noirs » et les « Maghrébins ») », détaille la publication.

Près de quinze ans après, cette étude était présentée devant le Conseil d’État à la suite de sa saisie par six ONG (dont Amnesty International, Open Society et Human Rights Watch) pour faire cesser ces contrôles au faciès. Elles réclamaient notamment la création d’un « système d’enregistrement et d’évaluation des données relatives aux contrôles d’identité, et de mise à disposition de toute personne contrôlée d’une preuve de contrôle ». Le Conseil d’État a reconnu le 11 octobre 2023, l’existence de ces pratiques discriminatoires tout en estimant que la question dépassait son pouvoir dans le cadre de cette procédure. « Travailler sérieusement permet de produire des effets de long terme, constate Jacques de Maillard. Cette recherche l’illustre bien. On a mis du temps pour la faire et elle a des effets bien au-delà de son horizon de publication. » Mathilde Darley complète : « Certains sujets qui se distinguent par une grande inertie des pouvoirs publics, comme le contrôle au faciès, s’inscrivent malheureusement dans une actualité très longue. »

Le CESDIP est régulièrement sollicité pour des interventions médiatiques du fait de ses spécialités et de sa visibilité collective. Mais, insiste Jacques de Maillard, « la recherche est notre raison d’être. Par rapport à d’autres intervenants dans l’espace public, nous ne sommes ni formés, ni préparés à cela. On le fait en plus de ce qui fait le cœur de notre travail : la recherche, l’enseignement, l’administration de la recherche, etc. Mais il nous importe de porter la voix des sciences sociales et des travaux de plus long terme dans l’espace public, surtout sur nos sujets qui sont très liés à l’événementiel, à l’émotion et au court terme. On joue ce jeu. Mais on est aussi très soucieux de bien différencier les scènes. Et on est attentifs à ne pas être amenés sur des registres non nécessaires, ou qui ne sont pas ceux d’un centre de recherches. Cela peut être aussi très chronophage. Or notre priorité est de faire du travail académique ! »

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