Chronique autorités administratives indépendantes et libertés fondamentales n° 11 (Juillet-Décembre 2018) (Suite et fin)

Publié le 25/06/2019

Lors du second semestre 2018, les AAI ont été présentes sur la scène politique, médiatique et judiciaire. Elles ont ainsi renforcé leurs partenariats internationaux et contribué aux réformes législatives actuelles (justice, bioéthique et audiovisuel). Elles ont par ailleurs exercé leurs missions au profit de la protection des droits et libertés en agissant en faveur des personnes vulnérables, des usagers des services publics, de la lutte contre les discriminations ou de la protection des données personnelles.

I – Les actualités institutionnelles des AAI

A – Vers une disparition de l’Hadopi ?

B – Partenariats internationaux, institutionnels et associatifs

C – La contribution des AAI aux réformes législatives

1 – La réforme de la justice

2 – La réforme Bioéthique

3 – La réforme de l’audiovisuel

D – L’exercice des missions et la doctrine des AAI

1 – La mise en œuvre des missions et prérogatives des AAI

2 – La doctrine des AAI sur la régulation

CSA : refonder la régulation audiovisuelle

« Une régulation incomplète est une régulation imparfaite ». Ce sont ces termes qui entamaient, en septembre 2018, les notes stratégiques publiées par le CSA à propos de « l’impérieuse nécessité » qu’il y aurait selon lui à refonder la régulation audiovisuelle ; afin qu’elle prenne en considération les mutations opérées par un secteur particulièrement concerné par la transformation numérique et la globalisation. La modification des modes de consommation de programmes audiovisuels, le caractère pléthorique de ceux-ci, la stratégie internationale des acteurs de l’audiovisuel doit conduire le système de régulation du secteur à se moderniser. Ce serait à une triple révolution du secteur que nous assisterions sans en prendre exactement la mesure : technologique, comportementale et économique. La refondation alors proposée reposerait sur trois piliers :

  • l’extension du champ de la régulation aux plates-formes de partage de vidéos, les réseaux sociaux, les plates-formes de diffusion en direct, les plates-formes de streaming et les podcasts, pour notamment protéger les mineurs et combattre les discriminations et les discours de haine ;

  • le changement des méthodes de régulation en favorisant le dialogue avec les acteurs, en œuvrant dans le sens d’une « corégulation » avec eux, en prévoyant des instances de régulation participative pour associer les spectateurs et auditeurs à certaines procédures ou enfin en accroissant les pouvoirs d’enquête du CSA. Il ose même appeler à la clarification de la répartition des compétences entre le législateur (qui devrait s’abstenir d’aller au-delà de la définition des grands principes et des missions de la régulation), le pouvoir réglementaire et le CSA. En définitive, il propose tout bonnement de limiter le recours au règlement à son profit en suggérant « l’application de la loi par le régulateur sectoriel pour une plus grande souplesse et adaptabilité des règles ». Régulation par le droit souple au détriment de la réglementation : c’est là une tendance continue mais dont il faut espérer de ne pas la regretter à terme ;

  • et la modernisation, l’assouplissement et la simplification du cadre actuel pour accompagner la transition numérique de l’audiovisuel (encouragée sur les ondes hertziennes avec la modernisation continue de la TNT et l’amplification du déploiement du DAB+ pour la radio). Derrière la simplification et la modernisation, il faut pourtant essentiellement voir l’effort d’assouplissement des règles dans le sens d’une progressive dérégulation au profit des opérateurs privés. En effet, les ambitions du CSA sont le développement de « l’accès à la ressource publicitaire pour les acteurs traditionnels privés » pour « améliorer leur situation économique » ou la révision du « dispositif anti-concentration (…) de manière à assurer le pluralisme sans entraver l’émergence de médias “globaux” ». Il souhaiterait également revoir le partage des droits d’exploitation entre distributeur et producteur.

Romain VAILLANT

L’ARCEP s’oppose aux géants du numérique : quelles alternatives ?

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a pour devise : « Le réseau comme bien commun ». De son propre aveu, ce bien commun est progressivement happé par l’appétit grandissant des géants du numérique. En ce sens, l’Autorité a publié sur son site internet deux entretiens relatifs à la régulation du numérique, les 17 et 25 septembre 2018, où elle livre un aperçu de ses positions.

Dans le premier entretien, intitulé « Inventons une régulation “Robin des Bois” qui reprenne le pouvoir aux géants du numérique pour le distribuer à tous ! », l’Autorité pointe du doigt l’économie des plateformes numériques, qu’elle accuse de mettre en place « des stratégies de domination (…), c’est-à-dire de servitude volontaire des consommateurs et partenaires ». Sont notamment critiquées la formation d’oligopoles desservant l’intérêt des utilisateurs et la difficulté pour les concurrents à émerger sur le marché.

Pour améliorer la situation, l’ARCEP n’innove pas en proposant une régulation – et non pas une réglementation –, notamment décidée à l’échelle internationale. Sont souhaitées une uniformisation des législations et une obligation au partage des données entre les acteurs du numérique, notamment en faveur d’une meilleure mise en concurrence. Ces idées semblent toutefois difficiles à mettre en œuvre, tant en raison de l’opposition récurrente de nombreux pays anglo-saxons que du respect du droit international.

Dans le second entretien, intitulé « GAFA : “Il faut prendre la Bastille numérique” », l’Autorité désigne plus spécifiquement les auteurs de ces troubles – en visant les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) –, dont l’emprise soulève « une opposition croissante de la part des citoyens comme des gouvernements, que ce soit parce que ces entreprises évitent massivement l’impôt, ou parce que l’économie de plate-forme qu’elles instaurent bouleverse les règles d’organisation de notre économie ». On pourrait conclure que si l’ARCEP se montre inquiète de ce développement des géants du numérique, les lecteurs seront toutefois déçus du manque d’ambition sur les réponses à y porter.

Jordan PUISSANT

CCNE : rapport numérique et santé : quels enjeux éthiques pour quelles régulations ?

Le CCNE a publié ce semestre un rapport « Numérique et santé : quels enjeux éthiques pour quelles régulations ? » élaboré par un groupe de travail du CCNE avec le concours de la Commission de réflexion sur l’éthique de la recherche en sciences et technologies du numérique d’Allistene (CERNA)1. Ce rapport rassemble les conclusions du groupe de travail sur les enjeux éthiques, de plus en plus prégnants, face à l’usage de technologies numériques dans le domaine de la santé.

La doctrine du groupe de travail ne saurait être assimilée complètement à la doctrine du CCNE. En effet, l’une des suggestions sur le CCNE lui-même, conduisant à sa transformation en Comité national d’éthique avec un élargissement conséquent de sa mission aux « enjeux éthiques concernant aussi bien les sciences de la vie et de la santé que les sciences, technologies, usages et innovation du numérique », n’a pas été proposée par le CCNE à l’occasion de son avis sur la prochaine loi de bioéthique. Celui-ci n’est pas allé aussi loin et a envisagé, à cette occasion, un élargissement davantage contenu de sa mission « aux conséquences sur la santé des progrès de la connaissance dans tout autre domaine »2.

Sur le fond, la doctrine du groupe de travail, partagée par le CCNE, reprend un certain nombre de principes communs à la diffusion du numérique3 déclinés et adaptés ensuite selon le secteur concerné : une retenue dans le recours aux instruments législatifs et réglementaires, la recherche d’outils de régulation partagés au niveau européen et international, l’affirmation d’un principe fondamental de garantie humaine du numérique, la garantie de l’effectivité du consentement, la sensibilisation à ces enjeux des professionnels du secteur.

Émilie DEBAETS

CNCDH : avis relatif à l’approche fondée sur les droits de l’Homme, 3 juillet 2018

L’avis rendu par la CNCDH le 3 juillet 2018 a été l’occasion pour celle-ci de formaliser ce qui constitue sa doctrine en matière de protection des droits fondamentaux et qui apparaissait déjà en filigrane de ses publications ses dernières années4. La CNCDH propose une nouvelle approche de l’élaboration et l’évaluation de l’action publique. Deux axes sont alors esquissés : l’affirmation du primat de la personne et la nécessité de prendre en compte les droits de l’Homme dans l’action publique. L’objectif est de garantir la pleine effectivité des droits de l’Homme. Pour ce faire, la Commission propose une série de principes directeurs qui seraient mis en application lors de l’élaboration, l’exécution ou le contrôle de l’action publique. Ainsi, la participation des personnes concernées à la définition de leurs besoins5, la responsabilisation de l’État6, la non-discrimination, l’autonomisation des personnes – entendue comme la restitution de leur capacité d’action – et le respect des normes internationales deviendraient les jalons d’une nouvelle modalité d’action des pouvoirs publics. Cet avis est intéressant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il repose sur une approche multidimensionnelle de l’action publique afin de lutter contre les inégalités qui se sont figées dans le temps. Ensuite, parce qu’il interroge à nouveaux frais la place à aménager aux personnes concernées dans l’élaboration de l’action publique. Enfin, et ce n’est pas le moindre, l’action des pouvoirs publics n’est plus pensée en termes de besoins-carences à combler pour une population, mais en termes de droit à appliquer – et donc de capacité d’action. Pour la CNCDH, constituer les droits de l’Homme en politique semble être une voie pour échapper à une promesse d’impuissance collective.

Hugo AVVENIRE

HAS : « de nouveaux choix pour soigner mieux », première analyse annuelle prospective du système de santé

Le 4 juillet 20187, la HAS a adopté sa première analyse prospective du système de santé intitulée non sans ambition « De nouveaux choix pour soigner mieux ». En effet, depuis une ordonnance de 20178, la HAS doit adresser au Parlement un rapport annuel d’activité incluant une « analyse prospective du système de santé comportant des propositions d’amélioration de la qualité9, de l’efficacité et de l’efficience »10. 21 propositions ont été inscrites dans ce rapport organisé en cinq parties : le développement de la qualité du système de santé, l’évolution de l’évaluation pour de meilleure décision, les réponses spécifiques aux secteurs social et médico-social, des données pour évaluer la qualité, l’efficacité et l’efficience et, enfin, le renforcement de la démocratie participative. À la lecture de ce rapport, « les propositions d’amélioration de la qualité, de l’efficacité et de l’efficience » de notre système de santé sont axées principalement sur un outil : l’évaluation. Celle-ci permettrait, selon la HAS, non seulement de développer la qualité du système de santé, d’aider à la décision notamment pour l’intégration des innovations mais également d’observer les effets de la mise en place d’une nouvelle politique de financement sur la qualité. La HAS ne manque pas de rappeler que ces propositions ne reposent pas uniquement sur son action mais qu’il appartient également aux décideurs (pouvoirs exécutif et législatif) de faire les choix nécessaires pour la mise en œuvre de ces propositions.

Anna ZACHAYUS

II – La protection des droits et libertés fondamentaux par les AAI : des décisions et réflexions convergentes

A – La protection des personnes en situation de vulnérabilité

1 – Les violences sexuelles

CNCDH : avis « Lutte contre les violences sexuelles : une urgence sociale et de santé publique, un enjeu pour les droits fondamentaux », 20 novembre 2018

L’été 2018 a vu l’adoption d’une nouvelle loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adoptée à la suite de plusieurs faits divers judiciaires relatés dans les médias et largement repris par l’opinion publique. Cet avis, adopté dans ce contexte de prise de conscience sociétale à la suite de ces faits divers ainsi qu’à l’affaire Weinstein et au mouvement #MeToo, tente de proposer une vision globale de la prise en charge du phénomène des violences sexuelles afin de les prévenir autant que possible, et de mieux permettre leur identification et leur répression. Ainsi, la CNCDH émet dix recommandations au fil de son avis, de façon très critique.

L’avis de la CNCDH repose sur six axes : prévenir les violences, les identifier et les accompagner, mais aussi redéfinir la place de la justice pénale dans la lutte contre ces violences, améliorer le dispositif pénal en visant directement le consentement et en clarifiant les infractions et enfin prendre en compte la spécificité des victimes mineures.

De façon notable, en s’appuyant sur les exemples suédois et canadien, mais aussi sur la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique de 2011, la CNCDH propose de définir les violences sexuelles par rapport à l’absence d’un consentement libre et éclairé. Une autre modification proposée, elle aussi pédagogique, serait de remplacer le terme d’« atteintes sexuelles » par celui de « violences sexuelles ».

L’idée générale de l’avis se base sur un changement de représentation. En changeant les mots employés par le droit, en clarifiant les dispositions pénales, c’est la vision de la société sur ces violences sexuelles qu’il s’agit de changer.

Sacha SYDORYK

2 – Le DDD et la protection des mineurs

Le Défenseur des droits en faveur d’une justice pénale adaptée à la vulnérabilité de l’enfant

Le DDD constate à plusieurs reprises11 le développement de nouvelles formes de délinquance chez les mineurs, en raison de deux nouveaux phénomènes : la radicalisation et l’isolement des mineurs immigrés. Ces phénomènes lui permettent de préciser les enjeux de la spécificité de la justice pénale des mineurs (JPM) dans le respect de la convention internationale des droits de l’enfant. Il réaffirme de manière constante que l’enfant est un individu en situation de vulnérabilité. Dès lors, l’enfant délinquant est avant tout un enfant en danger. La JPM doit être un moyen de protection systémique des mineurs. Le Défenseur propose alors, dans le respect des avis du Comité des droits de l’enfant de l’ONU12, des recommandations de deux ordres : une lutte curative et préventive pour éviter de mettre les enfants en danger, et une spécialisation toujours plus précise de la JPM.

Pour le DDD, le premier pas de la lutte contre la délinquance des mineurs se situe alors en amont de toute justice pénale à l’aide du développement de la « prévention sociale spécialisée » permettant d’une part une action préventive pro-active et d’autre part d’aller au-devant des mineurs en danger. Ces mécanismes doivent être mis en relation avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour accompagner le juge dans la sanction la plus adaptée.

Le DDD différencie le discernement de l’enfant dans la commission de son acte et le discernement de l’enfant dans sa compréhension de l’intérêt de la procédure pénale. Il considère alors que la fixation d’une majorité pénale à 13 ans est nécessaire. Enfin, le DDD souhaite continuer à garantir une spécificité de la justice des mineurs notamment en privilégiant la procédure de césure du procès pénal, permettant une sanction adaptée à la situation personnelle du mineur.

Jean-Philippe SURAUD

Défenseur des droits : la protection des droits et libertés des personnes vulnérables

Source de division depuis des années, la question de la protection des personnes vulnérables contre toute forme de violence trouve une nouvelle acuité avec la mission « solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2019 sur laquelle se prononce le DDD dans l’avis n° 18-24.

Un souci de protection et de promotion des droits de l’enfant. Le DDD rappelle l’attention toute particulière qu’il porte à sa mission de promotion et de défense des droits et de l’intérêt supérieur de l’enfant. À ce titre, il n’a pas hésité à prendre plusieurs fois des positions publiques en faveur des droits de l’enfant et à rappeler les engagements internationaux de la France. Mais à l’occasion de son activité d’instruction en matière de protection des droits de l’enfant, il a constaté la persistance de violences commises à l’encontre de l’enfant et des cas de défaillance des services. Malgré ses nombreuses recommandations, il relève un statu quo problématique. C’est pourquoi il propose d’inscrire dans la loi la prohibition des châtiments corporels dans tous les contextes. Il appert également nécessaire de renforcer les fonds qui sont alloués aux services concourant à la prévention spécialisée et à la protection de l’enfant, ainsi que la coordination entre les institutions. Enfin, la formation des professionnels doit être une « priorité » afin de les sensibiliser aux violences institutionnelles.

Un souci de protection et de promotion des droits des personnes les plus fragiles. Un constat similaire peut être dressé concernant les personnes dépendantes. En dépit de l’intervention régulière des pouvoirs publics, le DDD note une récurrence et une accentuation des situations de maltraitance envers ces personnes. À l’occasion de multiples saisines, il a pu relever la diversité de ces situations et le non-respect d’une pluralité de droits : droits des malades, droits fondamentaux de l’être humain, le droit au respect et à la dignité ainsi que le droit d’aller et de venir. Plus grave encore, une forme de maltraitance institutionnelle, qui peine à être reconnue et dénoncée, s’ajoute à la maltraitance individuelle. « [E]xtrêmement vigilant aux droits des personnes les plus fragiles », il formule donc un certain nombre de recommandations. Par exemple, le DDD affirme la nécessité d’améliorer la connaissance du phénomène de maltraitance et d’initier une campagne d’information grand public. Par ailleurs, il apparaît fondamental de développer les moyens nécessaires pour améliorer la prise en charge des soins dans les EHPAD, mais aussi de renforcer la coordination des acteurs par la mise en place d’observatoires régionaux.

Thomas ESCACH-DUBOURG

Défenseur des droits : rapport annuel sur les droits de l’enfant et avis sur la proposition de loi condamnant les violences éducatives n° 18-28 du 19 novembre 2018

Le 20 novembre 2018 (journée internationale des droits de l’enfant) a été rendu public le rapport annuel du Défenseur des droits consacré aux droits de l’enfant intitulé « De la naissance à 6 ans : au commencement des droits ». L’originalité du rapport réside dans l’accent mis sur les « tout-petits » dont les droits, les besoins fondamentaux et l’intérêt supérieur ne sont pas assez pris en compte dans les politiques publiques. Le DDD recommande donc d’adapter ces dernières pour répondre aux besoins d’un développement conforme au rythme de chaque enfant, de sécurité et d’affection de l’enfant. Il convient ainsi de rendre obligatoires des études d’impact avant l’élaboration de tout projet de loi concernant les « tout-petits » et d’adopter une stratégie globale visant une culture commune, un décloisonnement des interventions et un renforcement des dispositifs de prévention (accompagnement et soutien de la parentalité, médecine scolaire…). La lutte contre la pauvreté est essentielle car l’effectivité des droits de l’enfant est directement liée à la situation économique et sociale des parents.

Le DDD dénonce aussi les grandes disparités territoriales concernant la place du mineur incapable de discernement dans la procédure judiciaire d’assistance éducative et il recommande la désignation d’un représentant ad hoc pour représenter l’enfant.

L’usage des écrans fait l’objet d’une mise en garde. Le DDD estime que les pouvoirs publics devraient interdire l’exposition des enfants de moins de 3 ans aux écrans dans les lieux les accueillant.

Le rapport souligne l’importance de la protection contre toute forme de violence et préconise l’interdiction par la loi des châtiments corporels pour tous les enfants. Cette préconisation sera suivie d’effet avec la proposition de loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, le 29 novembre 2018, et à propos de laquelle le DDD a rendu un avis, le 19 novembre 2018, dans lequel il approuve le contenu de la proposition mais souhaite que l’interdiction figure dans le Code de l’éducation et celui de l’action sociale.

Enfin, le rapport réaffirme deux nécessités : la fin de l’enfermement des enfants en centre de rétention administrative et la lutte en faveur de l’égalité des sexes.

Hélène SIMONIAN

3 – La protection des personnes en situation de handicap

CNCDH : mise en œuvre de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIPDH)

La France doit prochainement faire l’objet de l’examen par le Comité des Nations unies des droits des personnes handicapées, qui se prononcera sur la conformité de ses politiques à la CIPDH. C’est dans ce cadre que la CNCDH a rendu publique une déclaration sur la nécessaire garantie par les pouvoirs publics des droits des personnes en situation de handicap le 3 juillet 2018 où la rapporteure spéciale sur les droits des personnes handicapées s’est alarmée du choix français d’aborder la situation des personnes handicapées sous l’angle de l’assistanat et du soin, et non des droits fondamentaux. Cette déclaration est également l’occasion pour la CNCDH de s’inquiéter des dispositions de la loi ELAN – qui réduisent le seuil de logements accessibles aux personnes en situation de handicap dans la construction neuve – et du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui annonce des modifications du régime de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés. Confrontée à cette approche française de la situation des personnes handicapées, la Commission a saisi l’occasion de publier le 4 décembre 2018 un guide pratique d’application de la CIPDH pour donner un regain de publicité à la convention et à certaines de ses innovations juridiques13 peu ou pas appliquées par la France. On ne peut que saluer cette publication tant par sa dimension didactique (chaque article de la convention est présenté, contextualisé et accompagné de données chiffrées) que critique (mise en valeur des bonnes et mauvaises pratiques, présentation de l’écart entre la loi n° 2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et les objectifs de la convention, etc.). Il faut enfin noter que ce guide s’inscrit dans la doctrine de la Commission, puisque l’on y retrouve son souci d’une approche « intersectionnelle » des discriminations, la promotion de l’approche de l’action publique par les droits de l’Homme et l’attention portée à la justiciabilité des droits reconnus par la convention14.

Hugo AVVENIRE

ARCEP : la protection des personnes en situation de handicap

Depuis la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, doit être mise à disposition des utilisateurs sourds, malentendants, aveugles et aphasiques une offre de services de communications électroniques incluant, pour les appels téléphoniques, un service de traduction simultanée écrite et visuelle. L’ARCEP veille au respect de ces obligations d’accessibilité, en vigueur depuis le 7 octobre 2018. Pour ce faire, elle avait lancé une consultation publique afin de déterminer les indicateurs devant évaluer la qualité du service de traduction.

Ces indicateurs de qualité permettent d’apprécier l’efficacité du service par la prise en compte du ressenti des utilisateurs en trois axes : la disponibilité du service, le temps d’attente avant mise en relation avec un traducteur et la satisfaction des utilisateurs. Une évaluation de la prestation via un système de notation sera demandée. D’ores et déjà des premières exigences minimales, susceptibles d’être affinées, ont été fixées. Le taux de disponibilité du service doit être de 99 % et celui de prise en charge en moins de 3 minutes de 70 %.

Quentin ALLIEZ

DDD : avis n° 18-27 du 22 novembre 2018 relatif au handicap dans la fonction publique

Après avoir rappelé sa compétence en matière de discriminations fondées sur le handicap, le DDD précise les contours de l’obligation d’aménagement raisonnable qui pèse sur les employeurs de personnes handicapées. Il constate ainsi que si le droit français prévoit cette obligation, il ne pose cependant pas un cadre de référence concernant sa mise en œuvre. Il en ressort que les employeurs ne connaissent pas le contenu exact de cette obligation, par conséquent le défaut ou le refus d’aménagement est la première cause de saisine du DDD dans le domaine de l’emploi public.

Pour faire face à cette difficulté, le DDD met un point d’honneur à rappeler son action en faveur du handicap afin d’aider les employeurs publics à mieux comprendre cette obligation d’aménagement pour la mettre en œuvre efficacement et assurer son respect.

D’abord, le Défenseur souligne un changement dans ses méthodes de travail. Il a ainsi ajouté à ses recommandations de portée individuelle visant à faire cesser une discrimination et réparer le préjudice subi, un volet préventif plus général. De surcroît, il tend désormais à élaborer davantage de recommandations de portée générale adressées à l’Administration dans son ensemble.

Ensuite, le DDD rappelle la publication en décembre 2017 d’un guide intitulé « Emploi des personnes en situation de handicap et aménagement raisonnable » visant à expliquer le cadre juridique de l’obligation d’aménagement raisonnable.

Enfin, il mentionne sa décision cadre n° 2017-001 du 9 février 2017 relative au défaut d’accessibilité numérique des logiciels métiers utilisés par les agents publics. Cela lui permet d’insister sur la nécessité d’équiper la personne plutôt que le poste afin que le matériel spécifique puisse suivre l’agent handicapé en cas de promotion ou autre évolution de carrière.

Le DDD indique finalement ses attentes en matière de réforme de la politique du handicap dans la fonction publique. Celles-ci tournent autour de trois axes :

  • la modification de la loi française afin de mentionner expressément que le refus d’aménagement raisonnable est constitutif d’une discrimination ;

  • une information et une sensibilisation accrues des employeurs publics sur les discriminations fondées sur le handicap, éventuellement permises par ;

  • la mise en place d’une politique de formation à destination des employeurs et des agents des services des ressources humaines.

Valérie PALMA-AMALRIC

4 – La protection des personnes privées de liberté

CGLPL : avis du 22 novembre 2018 relatif à la prise en compte des situations de perte d’autonomie dues à l’âge et aux handicaps physiques dans les établissements pénitentiaires

La question relative aux personnes en situation de handicap ou de perte d’autonomie avait été précédemment étudiée par le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)15, mais 4 ans plus tard, il vient préciser son avis. Bien que minoritaires au sein des établissements pénitentiaires, il n’en reste pas moins que ces personnes et la situation dans laquelle elles sont placées posent un certain nombre de difficultés ayant un impact direct du point de vue des libertés fondamentales et notamment de la dignité humaine. Les exemples donnés en propos liminaires atteignent d’ailleurs clairement le but fixé par le CGLPL : attirer l’attention sur des situations en contradiction totale avec les droits et libertés fondamentaux tels que déterminés par le droit positif.

En effet, le vieillissement de la population, qui n’épargne pas le milieu carcéral, ajouté à une surpopulation dénoncée à de multiples reprises par différents observateurs – dont le GCLPL – aboutit à un constat d’impact démultiplié dans les hypothèses de perte partielle ou totale d’autonomie (avis, p. 1).

À ce titre, le CGLPL plaide fermement pour une politique générale de mise en place de systèmes d’exécution de peines en milieu ouvert pour les personnes handicapées ou âgées de plus de 70 ans (avis, p. 2). À défaut, quatre éléments sont particulièrement mis en valeur afin d’endiguer des situations jugées incompatibles avec les droits et libertés fondamentaux : adaptation des conditions de détention sur tous les aspects de la prise en charge (notamment sur la question de fouilles et plus généralement des mesures d’ordre intérieur), mise en œuvre du principe d’aménagement raisonnable par les établissements (en raison de l’inexistence d’établissement pénitentiaire spécialisé dans la prise en charge de personnes en perte totale ou partielle d’autonomie), mise en place d’un accompagnement humain équivalent à ce qui est constaté en dehors des milieux carcéraux (par le biais par exemple de l’intervention d’équivalents aux aides à domicile professionnels) et renforcement des dispositifs permettant la sortie anticipée de détention avec une volonté nette de systématisation des procédés de repérage de telles situations (avis, p. 4 et 5).

Enfin, le contrôleur rappelle la nécessité de mettre en place des dispositifs d’accompagnements particuliers à la sortie de la détention.

Gaëlle LICHARDOS

HAS : l’adoption du nouveau programme pluriannuel « Psychiatrie et santé mentale »

Faisant suite à celui de 2013-2017, le programme pluriannuel « Psychiatrie et santé mentale » 2018-2023 a été adopté le 13 juin 2018 par décision du collège de la HAS16. Il comporte quatre thèmes, le dernier incluant des thèmes transversaux tels que la e-santé mentale ou l’application de la future procédure de certification V2020. Sur les trois autres thèmes, l’un d’eux s’inscrit pleinement dans la continuité du programme précédent puisqu’il en reprend l’intitulé, « Droit et sécurité en psychiatrie », en insistant en particulier sur l’amélioration de la prise en charge des patients en programme de soins. La HAS relève la diversité des situations dans lesquelles sont mis en place ces programmes, et à la demande de la direction générale de la santé, elle adoptera des recommandations de bonne pratique pour le recours à cette prise en charge, et les modalités de sa mise en œuvre. Ces recommandations ont d’autant plus d’intérêt que le programme de soins est une possibilité de prise en charge du patient en soins psychiatriques sans consentement insérée par la loi de 201117 qui fait l’objet de moins de contrôle par le juge des libertés et de la détention par rapport à l’hospitalisation complète.

Les deux autres thèmes du programme sont nouveaux par rapport au précédent, il s’agit de la pédopsychiatrie et des « troubles mentaux et persistants et handicap psychique ». L’ensemble des travaux sont retranscrits dans un calendrier prévisionnel en annexe avec un récapitulatif des travaux menés lors du précédent programme18, ce qui permet d’avoir une vision d’ensemble des actions menées en ce domaine.

Anna ZACHAYUS

B – La lutte contre les discriminations

DDD : avis 18-21 sur la mise en œuvre de la recommandation CM/rec(2010)5 du comité des ministres aux États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre

Le Défenseur des droits rappelle dans cet avis son action de promotion de l’égalité et d’accès aux droits ainsi que sa recherche constante de l’équité. Dans ce cadre, il se dit fortement engagé en faveur des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, intersexes (LGBTI). L’avis en lui-même est marqué par sa densité et son hétérogénéité. Globalement, l’arsenal juridique français pour protéger les victimes de discrimination est considéré comme satisfaisant, l’autorité se félicite également du plan gouvernemental de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT. Pour autant, le Défenseur considère la mise en œuvre des dispositions spécifiques de la recommandation encore lacunaire, notamment s’agissant de la protection contre les agressions haineuses en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre et du déficit dans le recueil d’information sur ces infractions pénales. Il attire également l’attention sur la nécessité d’une meilleure sensibilisation des acteurs publics et privés sur ce genre de discriminations dans la sphère professionnelle, mais aussi éducative, au sein de laquelle les agissements haineux sont les plus importants. L’éducation à la sexualité doit ainsi être plus efficiente. En matière de santé, le Défenseur observe un défaut de prise en considération des spécificités de santé des personnes LGBT, notamment l’anxiété et la dépression, tout en dénonçant parallèlement la psychiatrisation des parcours de soins à destination des personnes transgenres dans le processus de transition, dont certains soins ne sont, regrette-t-il, pas pris en charge par la sécurité sociale. Enfin, le DDD se prononce de nouveau pour l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes ainsi que pour un changement d’état civil libre et gratuit en mairie pour les personnes transidentitaires.

Finalement, l’autorité enjoint les pouvoirs publics à combattre les discriminations LGBT avec les mêmes convictions républicaines que le racisme, l’antisémitisme ou le sexisme.

Jonas GUILBERT

CNCDH : avis relatif à la lutte contre le racisme et la discrimination dans le sport, 20 novembre 2018

Cet avis marque encore une fois la volonté de la Commission de ne pas s’en tenir à ce qui pourrait être entendu comme une évaluation et protection formelle des droits de l’Homme. La Commission expose comment elle appréhende l’activité sportive : comme un écosystème pouvant être vertueux – puisqu’il peut promouvoir la solidarité, le fair play, l’esprit d’équipe, etc. – mais laissant de la place à des discriminations – que ces dernières soient fondées sur le genre, la racialisation ou le handicap. Le sport, parce que reposant aussi sur la mise en compétition et la sélection, peut ainsi tendre vers une hiérarchisation ayant des traductions sociales directes selon la Commission. Elle souligne ainsi la faible place médiatique faite, encore aujourd’hui, aux sports pratiqués par les femmes par exemple. Elle relève également la persistance de phénomènes d’assignation identitaire, voire de racialisation19, persistants dans le milieu sportif malgré des efforts des autorités publiques et des associations sportives. Les inégalités financières, si elles ne sont pas à l’origine de ces discriminations, « concourent à exacerber à la fois des mécaniques discriminatoires et les mises en concurrence qui en découlent ». Cependant, loin de se contenter d’un constat critique et documenté, la CNCDH expose un ensemble de pistes susceptibles de permettre de lutter contre les discriminations dans le sport. Elle propose tout à la fois d’agir au niveau médiatique, local et éducatif, en impliquant les acteurs publics et privés (locaux et nationaux).

Hugo AVVENIRE

DDD : décision sur le port du foulard dans un centre de droit privé

Dans les litiges qui s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre les discriminations, les problématiques liées aux faits religieux se développent. Le contexte contemporain d’exacerbation des tensions autour de ces questions n’y est pas étranger et le Défenseur des droits n’échappe pas à la règle. Du mois de juillet au mois de décembre 2018, il a rendu plusieurs décisions intéressantes à ce propos. Elles concernaient tout à la fois des menus d’un service de restauration scolaire, des normes de neutralité religieuse inscrites dans les règlements intérieurs de centres de formation, d’une promesse d’embauche conditionnée par une forme de neutralité religieuse et deux refus d’accès à des piscines à deux femmes portant « un burkini ».

L’une des décisions en particulier retient l’attention. Il s’agit de la décision n° 2018-287 du 5 décembre 2018 dans laquelle le DDD demande à la direction d’une école qui dispense des formations sanitaires et sociales et prépare à des professions paramédicales, de modifier son règlement intérieur en supprimant la clause de neutralité pour les stagiaires. Outre cette recommandation, ainsi que celle d’indemniser l’entier préjudice d’une des stagiaires voilées à l’origine de sa saisine, le DDD illustre dans sa démonstration les nombreuses confusions contemporaines qui résultent des évolutions en matière de normes de neutralité et du principe de laïcité. En effet, en raison de la loi du 15 mars 2004 interdisant aux élèves du premier et second degré de manifester ostensiblement leur appartenance religieuse et de la loi El Khomri du 8 août 2016 qui permet d’insérer une norme de neutralité dans le règlement intérieur d’une entreprise, de nombreux centres de formation ont pensé, à tort, pouvoir appliquer de telles normes pour leurs stagiaires. Or faut-il encore souligner que les centres de formation pour adultes ne rentrent ni dans le champ de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation ni dans celui de l’article L. 1321-2-1 du Code du travail.

Cette décision s’inscrit dans le rappel pédagogique du Conseil d’État du 28 juillet 201720 à propos des élèves des instituts de formation paramédicaux et de leur possibilité de manifester leurs convictions religieuses selon les situations dans lesquelles ils se trouvent. Il nous semble qu’apparaît, derrière la récurrence de cette question des centres de formation, le débat à propos de la neutralité des adultes et étudiants dans l’enseignement supérieur.

Pierre JUSTON

C – La Cnil et la protection des données personnelles

Cnil : la géolocalisation publicitaire

Dans le cadre de son activité de contrôle a posteriori, la Cnil a décidé de se saisir ce semestre des activités, en forte croissance, de profilage et de ciblage publicitaire à partir des lieux fréquentés par les personnes. À l’issue de ses vérifications, elle a mis en demeure quatre sociétés et a décidé de rendre publiques ces mises en demeure eu égard à la nature des manquements, au nombre de personnes concernées, à la nécessité d’informer celles-ci et à la volonté d’alerter les professionnels21.

Ces quatre sociétés utilisent une technologie, dénommée SDK, pour collecter des données personnelles, notamment des données de géolocalisation, via les applications mobiles installées sur les smartphones même lorsque celles-ci ne sont pas en fonctionnement. Les données ainsi collectées servent ensuite à effectuer des campagnes publicitaires mobiles auprès de ces personnes.

À l’occasion de ses investigations, la Cnil a à chaque fois constaté que le consentement des personnes n’était pas valablement recueilli, ni au regard de la loi du 6 janvier 1978 ni, désormais, au regard du règlement général sur la protection des données (RGPD)22. Les personnes ne sont pas correctement informées. De plus, elles ne peuvent pas choisir de télécharger les applications mobiles sans le SDK. Enfin, leur consentement à l’utilisation de ces applications ne saurait valoir consentement à la collecte des données à des fins publicitaires via le SDK. Au-delà de ce manquement général aux exigences relatives au consentement, la Cnil a parfois constaté des manquements à la limitation de la durée de conservation et à l’obligation d’assurer la sécurité et la confidentialité des données.

Ces mises en demeure, qui ne constituent pas une sanction, attestent de l’intérêt de cette forme de régulation. Parmi ces quatre mises en demeure, trois ont été clôturées avant la fin de l’année après la mise en conformité des sociétés concernées.

Émilie DEBAETS

Cnil : appel à un débat démocratique sur la vidéoprotection

Le rôle de « chien de garde » de la Cnil ne se limite pas à intervenir lors de réformes législatives initiées par les pouvoirs publics, comme elle l’a fait ce semestre à l’occasion de la réforme de la justice. Elle peut aussi proposer au gouvernement des mesures pour adapter la protection des libertés à l’évolution des procédés et techniques informatiques. Elle a ainsi appelé, dans un communiqué, à la tenue d’un débat démocratique sur les nouveaux usages des caméras vidéo visant à prévenir ou à réprimer les troubles à l’ordre public23. Les nouveaux outils de captation et les nouvelles modalités d’exploitation de la vidéoprotection dans l’espace public (systèmes de vidéo « intelligente », dispositifs de suivi et de reconnaissance d’individus…) sont susceptibles de restreindre la liberté d’aller et de venir anonymement. Or le cadre juridique actuel dispersé de la vidéoprotection, qui ne concerne que certaines technologies et certaines finalités, n’apporte pas de réponse appropriée à ces nouveaux enjeux. Aussi la Cnil a-t-elle invité à un réexamen d’ensemble de cette question par le législateur puis par le pouvoir réglementaire afin de définir « le juste équilibre entre les impératifs de sécurisation, notamment des espaces publics, et la préservation des droits et libertés de chacun ». Elle a d’ailleurs rappelé le caractère « hautement souhaitable » d’un tel réexamen quelques mois plus tard dans son avis relatif au projet d’ordonnance visant à la réécriture d’ensemble de la loi Informatique et libertés24.

Émilie DEBAETS

D – La protection des usagers du service public

DDD : 4e convention des délégués du Défenseur des droits et décision n° 2018-226 du 3 septembre 2018, les préoccupations réaffirmées concernant la dématérialisation des services publics

La 4e convention des délégués du DDD s’est tenue les 17 et 18 octobre 2018, occasion pour réunir le DDD et l’ensemble des bénévoles, délégués du DDD sur le territoire afin d’échanger sur les réclamations qu’ils rencontrent. En présence notamment de Jean-Marc Sauvé et de Mounir Mahjoubi, les principaux sujets abordés et retranscrits dans le dossier de presse sont relatifs à la médiation et la dématérialisation dans les services publics. Ce dernier sujet a fait l’objet d’une décision25 dont l’intitulé révèle la teneur : « Lettre de relance ».

En effet, dans cette décision, le DDD détaille la procédure d’instruction qu’il mène depuis 2017 à la suite de la mise en place du « Plan préfectures nouvelle génération » généralisant les téléprocédures et substituant aux préfectures et sous-préfectures des centres d’expertise et de ressource des titres (CERT) chargés de traiter les demandes de titres dématérialisés après saisie de la demande par l’usager sur le site dédié de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS). Il rappelle les recommandations qu’il avait formulées auprès du gouvernement et qui n’ont pas toutes été suivies d’effet. C’est pourquoi, dans cette décision, le Défenseur « demande au Premier ministre et au ministre d’État, ministre de l’Intérieur, de rendre compte des suites données à ses recommandations dans un délai de trois mois à compter de la date de notification » de la décision. Cette décision est d’autant plus audacieuse que durant la 4e convention des délégués du DDD, le secrétaire d’État Mounir Mahjoubi a présenté le « Plan national pour un numérique inclusif ». Il semblerait donc que le Défenseur n’ait pas vraiment été convaincu par les propositions du plan concernant la garantie de l’effectivité des droits des personnes.

Anna ZACHAYUS

DDD : rapport « Valoriser les déchets ménagers sans dévaloriser les droits de l’usager », novembre 2018

Avancer vers un traitement des déchets plus écologique, oui, mais sans laisser les personnes vulnérables sur le bas-côté ; voilà l’obligation mise en lumière par le DDD dans son rapport.

Celui-ci prend en compte deux nouvelles tendances, l’idée qu’un déchet peut être valorisé et pas seulement détruit (par la réutilisation de la matière première ou par la production d’énergie par exemple), et le concept de zéro déchet (un concept de plus en plus populaire qui vise à faire disparaître les déchets personnels). Ces concepts demandent plus d’efforts au consommateur, qui devient un acteur du service public de traitement des déchets. En amont, cela nécessite de réfléchir à la façon de réduire les emballages lors des achats, et, en aval, de trier et d’amener certains déchets dans des lieux de collecte.

Ces objectifs sont louables, mais le DDD met en avant deux critiques : premièrement, il affirme qu’il ne faut pas laisser les personnes vulnérables en dehors de cette démarche, et, deuxièmement, que ces mécanismes ne doivent pas réduire les droits de l’usager de ce service public : il plaide pour une progression des droits de cet usager en contrepartie de l’augmentation de ses devoirs.

Il ajoute que, même en cas de collecte par apport volontaire, la collectivité doit garantir un niveau de salubrité publique équivalent à celui garanti par la collecte en porte-à-porte. La collectivité doit aussi prendre les dispositions nécessaires pour rendre ces nouveaux modes accessibles aux personnes handicapées et aux personnes âgées ayant des difficultés de déplacement.

Omri SCHWARTZ

ARCEP : la protection des usagers d’internet

Le respect de la neutralité de l’internet fait désormais partie intégrante des missions de l’ARCEP. Son objectif est ainsi d’améliorer les conditions d’accès et d’usage des utilisateurs aux informations et aux contenus qui se trouvent sur internet sans discrimination ni censure de la part de leurs fournisseurs d’accès. Dans cette optique, l’ARCEP, à l’occasion de l’Internet governance forum de novembre 2018, a présenté une application qui rend possible pour chaque citoyen de tester sa propre connexion internet. Baptisé Wehe, cet outil a pour but de tester les conditions d’accès aux sites et contenus internet. Les utilisateurs peuvent participer à la détection d’éventuelles pratiques de bridage de flux de la part des opérateurs. Autrement dit, l’application permet à l’utilisateur de savoir si son appareil ou son fournisseur d’accès respectent ses obligations d’égalité de traitement et de non-discrimination lorsqu’il effectue des recherches sur internet. Les informations sont collectées par l’ARCEP pour identifier des pratiques non conformes.

L’Internet governance forum a aussi été l’occasion pour l’autorité de présenter, à destination des usagers, une fiche informative. Afin de les sensibiliser aux problématiques de la neutralité de l’internet, deux points sont mis en avant sous la forme de tutoriels. D’une part, l’ARCEP présente les moyens de personnaliser l’usage de son smartphone. D’autre part, sont présentées les solutions pour transférer ses données sur un nouveau téléphone. L’objectif de l’ARCEP est que l’usager reprenne le contrôle de ses données.

Quentin ALLIEZ

Notes de bas de pages

  • 1.
    CCNE-CERNA, Numérique et Santé : quels enjeux éthiques pour quelles régulations, 19 nov. 2018.
  • 2.
    Avis 129, Contribution du Comité consultatif national d’éthique à la révision de la loi de bioéthique 2018-2019, 18 sept. 2018.
  • 3.
    Par comparaison, v. Cnil, Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, 15 déc. 2017.
  • 4.
    V. l’avis du 23 juin 2005 sur l’indivisibilité des droits face aux situations de précarisation et d’exclusion.
  • 5.
    Ce principe implique une présence plus importante, et des modalités de prise de parole améliorées, des personnes concernées dans les instances consultatives par exemple.
  • 6.
    Ce principe implique, pour sa part, le développement d’indicateurs permettant de mesurer le respect des droits de l’Homme par la puissance publique.
  • 7.
    Décision n° 2018.0101/DC/DCIP-DIR du 4 juillet 2018 du collège de la Haute autorité de santé portant adoption du rapport d’analyse prospective 2018.
  • 8.
    Ord. n° 2017-84, 26 janv. 2017, relative à la Haute autorité de santé.
  • 9.
    D’un point de vue quantitatif, la qualité est mise à l’honneur, mentionnée à 182 reprises sur les 83 pages du rapport.
  • 10.
    Ord. n° 2017-84, 26 janv. 2017, art. 1.
  • 11.
    Avis n° 16-20 relatif à l’avenir de la prévention spécialisée et avis n° 18-25 relatif à la justice pénale des mineurs.
  • 12.
    Observations finales sur la France du Comité des droits de l’enfant, 23 févr. 2016.
  • 13.
    Par exemple, la « conception universelle des biens et des services », c’est-à-dire « la conception de produits, d’équipements, de programmes et de services qui puissent être utilisés par tous, dans toute la mesure du possible, sans nécessiter ni adaptation ni conception spéciale » comme le dispose l’article 2 de la convention. Ce principe est cependant pondéré par le principe de l’aménagement raisonnable.
  • 14.
    La CNCDH rappelle que le Comité interministériel du handicap et le comité national de suivi des dispositions de la convention sont des instances nationales chargées de s’assurer de l’application de la convention. Par ailleurs, la signature du protocole additionnel de la convention par la France ouvre la voie à une saisine (non juridictionnelle) du Comité des Nations unies.
  • 15.
    CGLPL, Rapport annuel d’activité, 2012, p. 236.
  • 16.
    Décision n° 2018.0084/DC/SA3P du 13 juin 2018 portant adoption du « Programme pluriannuel “psychiatrie et santé mentale” 2018-2023 ».
  • 17.
    L. n° 2011-803, 5 juill. 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
  • 18.
    Par la HAS et l’ANESM ; l’ANESM faisant partie intégrante de la HAS depuis le 1er avril 2018.
  • 19.
    Il existe une « racialisation des compétences » reposant sur l’attribution d’aptitudes, ou d’inaptitudes, sportives de certains groupes de population en raison de caractéristiques physiques ou génétiques supposées ou avérées.
  • 20.
    CE, 28 juill. 2017, n° 390740.
  • 21.
    Cnil, 8 nov. 2018, délib. n° 2018-343 ; Cnil, 18 oct. 2018, délib. n° 2018-344 ; Cnil, 5 juill. 2018, délib. nos 2018-287 et 2018-288.
  • 22.
    Cnil, 30 oct. 2018, déc. n° MED 2018-042 ; Cnil, 8 oct. 2018, déc. n° MED 2018-043 ; Cnil, 25 juin 2018, déc. nos MED 2018-022 et MED 2018-023.
  • 23.
    Cnil, Communiqué, 19 sept. 2018.
  • 24.
    Cnil, 15 nov. 2018, délib. n° 2018-349.
  • 25.
    Déc. n° 2018-226, 3 sept. 2018.
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