Chronique des arrêts de la cour administrative d’appel de Nancy (Octobre 2016-Mars 2017)

Publié le 21/12/2017

I – Actes administratifs unilateraux

Légalité de la décision du ministre de l’Intérieur demandant aux directeurs de casinos de faire cesser l’exploitation de machines à sous dans les fumoirs.

CAA Nancy, 20 déc. 2016, n° 15NC00876, Société casino de Blotzheim ; CAA Nancy, 20 déc. 2016, n° 15NC00921, Société Amnéville loisirs. Dans deux décisions distinctes du 20 décembre 2016, la cour administrative d’appel de Nancy est amenée à statuer sur la question de la compatibilité aux dispositions du Code de la santé publique de l’installation de machines à sous dans des salles réservées aux fumeurs dans les casinos de Blotzheim et d’Amnéville. Dans deux courriers, adressés à la direction de ces établissements le 23 août 2013, le directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur avait indiqué que « l’usage d’une salle aménagée expressément réservée aux fumeurs n’est pas compatible avec la réglementation des jeux dans les casinos » et qu’il y avait donc lieu de retirer les machines à sous des emplacements réservés aux fumeurs. Dans deux autres courriers adressés aux mêmes destinataires en date du 25 novembre 2013, le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère avait confirmé « les termes du courrier en date du 23 août 2013 » en rejetant la demande indemnitaire résultant de la perte de recettes causée par l’interdiction de fumer.

Les sociétés requérantes avaient demandé au tribunal administratif de Strasbourg l’annulation de ces décisions et elles avaient présenté des conclusions indemnitaires. Ces requêtes avaient été écartées par les premiers juges au motif que les décisions litigieuses n’étaient pas de nature à faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Il avait également rejeté les demandes indemnitaires au motif que ces courriers n’étaient pas entachés d’illégalité. Ce raisonnement est censuré par la cour. Les juges considèrent, d’abord, que les actes contestés sont des décisions faisant grief et qu’ils peuvent donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (I). Ils annulent ensuite les décisions intervenues le 23 août 2013 en raison de l’incompétence de leur auteur (II). Ce vice d’incompétence n’entache pas, en revanche, la régularité des décisions du 25 novembre 2013, lesquelles pouvaient légalement interdire aux directeurs de casinos d’exploiter des machines à sous dans les fumoirs (III).

I. La recevabilité du recours pour excès de pouvoir dirigé contre les lettres du 23 août et du 25 novembre 2013

En première instance, le tribunal administratif de Strasbourg avait considéré que les décisions contestées ne pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir dès lors qu’elles ne feraient qu’interpréter la réglementation applicable aux casinos. Cette solution était pour le moins contestable. En effet, le fait qu’un acte administratif se borne à interpréter le droit positif n’implique pas pour autant qu’il ne présente aucun caractère décisoire. C’est cette solution qui a été retenue par l’arrêt de section du Conseil d’État Duvignères du 18 décembre 20021 dont il résulte que « l’interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d’instructions l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ». En revanche, il résulte du même arrêt que « les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ».

Certes, les actes contestés dans la présente affaire ne constituent ni des circulaires ni des instructions. S’ils sont en principe inattaquables, c’est parce qu’ils relèvent du droit souple et qu’ils sont donc normalement dénués d’effets juridiques. Toutefois, s’agissant de ces actes, le recours sera néanmoins recevable dès lors qu’ils présentent des éléments décisoires ou – comme les circulaires – dès lors qu’ils présentent un caractère impératif. Tel est le cas de courriers ou de communiqués de presse qui sont en principe inattaquables, à moins qu’ils ne contiennent des éléments d’impérativité. Le Conseil d’État a ainsi pu juger, près de 10 ans avant l’arrêt Duvignères qu’un communiqué par lequel la Commission des sondages donne l’interprétation des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre, au moyen de dispositions impératives à caractère général peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir2. De même, dans un arrêt du Conseil national des médecins du 26 septembre 20053, il a été jugé que si les recommandations de bonnes pratiques établies par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la Santé n’ont pas, en principe, le caractère de décision faisant grief « elles doivent toutefois être regardées comme ayant un tel caractère, tout comme le refus de les retirer, lorsqu’elles sont rédigées de façon impérative ». Cette formulation a été précisée par le Conseil d’État dans ses récents arrêts d’assemblée du 21 mars 2016 Société Fairvesta International GMBH et a. ainsi que Société NC Numéricable4 dont il résulte que « les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu’ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ».

En l’espèce les courriers du 23 août 2013 et du 25 novembre 2013 ont bien un caractère impératif puisqu’ils mettent en demeure les établissements concernés de retirer immédiatement les machines à sous installées dans les fumoirs. Les jugements attaqués, qui ont opposé une fin de non-recevoir tirée de l’absence d’intérêt à agir contre les actes contestés sont donc annulés. La cour choisit ensuite de faire usage de son pouvoir d’évocation pour trancher directement le litige.

II. L’illégalité pour incompétence des décisions du 23 août 2013

Les décisions intervenues le 23 août 2013 avaient été prises sur délégation du ministre de l’Intérieur par son directeur de cabinet en application du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement. En application de l’article 2 de ce décret un ministre peut donner délégation à son chef de cabinet pour signer tout acte, à l’exception des décrets, mais seulement « en ce qui concerne les affaires pour lesquelles délégation n’est pas donnée à l’une des personnes mentionnées à l’article 1er ». L’article 1er vise quant à lui différentes autorités qui peuvent également recevoir une délégation de la part des ministres et notamment « les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs, les chefs des services à compétence nationale ». Ainsi, la délégation de signature consentie à un directeur d’administration centrale exclut-elle la possibilité pour un directeur de cabinet – comme à l’ensemble des autorités visées à l’article 2 du décret – de signer un acte relatif à des affaires relevant du périmètre de cette délégation.

Or, les décisions du 23 août 2013 prises par le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur relevaient de la réglementation de la police des jeux, matière déléguée par le ministre au directeur des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère. Les décisions du 23 août 2013 sont donc illégales en raison de l’incompétence de leur auteur.

Notons également que la cour rappelle qu’une décision prise sur recours gracieux ne peut avoir pour effet de régulariser la décision initiale, sauf en cas de recours administratif préalable obligatoire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En conséquence, en tout état de cause, les décisions du 25 novembre 2013 ne pouvaient avoir eu pour effet de régulariser les décisions du 23 août 2013.

III. La légalité des décisions du 25 novembre 2013

Contrairement aux décisions du 23 août 2013, celles intervenues le 25 novembre 2013 n’étaient pas entachées d’un vice de compétence. Il était toutefois nécessaire, avant d’aborder les questions de fond, de déterminer si l’annulation des premières décisions ne devait pas, mécaniquement, entraîner l’annulation des décisions subséquentes prises sur recours administratif. Les juges vont toutefois appliquer en l’espèce la règle définie par le Conseil d’État à l’occasion de l’arrêt SA des transports en commun de Bayonne du 5 octobre 19835, selon laquelle l’annulation de la décision initiale n’entraîne pas l’annulation de la décision prise sur recours hiérarchique dès lors qu’elle régularise le vice d’incompétence initial.

Sur le fond, les juges doivent ensuite déterminer si la présence de machines à sous, installées dans le local fumeur d’un casino, est conforme aux dispositions de la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme – dite loi Évin – dont les dispositions ont été codifiées dans le Code de la santé publique.

Selon l’article L. 3511-7 du Code de la santé publique il « est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif (…) sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs ». Ces dispositions sont précisées par l’article R. 3511-1 du même code qui mentionne que cette interdiction s’applique « dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail ». Toutefois, à titre d’exception l’article R. 3511-2 prévoit que « l’interdiction de fumer ne s’applique pas dans les emplacements mis à la disposition des fumeurs au sein des lieux mentionnés à l’article R. 3511-1 et créés, le cas échéant, par la personne ou l’organisme responsable des lieux ». Ces emplacements doivent néanmoins présenter les caractéristiques visées par l’article R. 3511-3. Il doit ainsi s’agir de « salles closes, affectées à la consommation de tabac et dans lesquelles aucune prestation de service n’est délivrée ». En outre, « aucune tâche d’entretien et de maintenance ne peut y être exécutée sans que l’air ait été renouvelé, en l’absence de tout occupant, pendant au moins une heure ».

Il existe très peu de jurisprudence concernant les salles réservées aux fumeurs. Dans un arrêt SAS du casino du palais de la Méditerranée, la cour administrative d’appel de Marseille a néanmoins eu l’occasion de considérer que relèvent de ces dispositions « tout emplacement réservé aux fumeurs, alors même qu’il serait situé à l’intérieur de la salle des machines à sous du casino ».

De son côté, l’article 68-27 de l’arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos dispose que « tout casino qui exploite les machines à sous dans un local distinct doit au moins employer dans cette salle un caissier et affecter un membre du comité de direction au contrôle de ces jeux ». La cour considère logiquement que toute salle close au sens du Code de la santé publique constitue nécessairement un local distinct au sens de la réglementation des jeux. Ainsi, au regard de cet arrêté, la présence de machines à sous dans une salle réservée aux fumeurs nécessite la présence d’au moins deux membres du personnel du casino, lesquels seraient exposés au tabagisme passif, ce qui est contraire aux dispositions susvisées du Code de la santé publique. Les demandes des sociétés appelantes sont en conséquence rejetées.

La décision par laquelle l’administration reconnaît l’imputabilité au service d’une maladie ou d’un accident, est une décision individuelle créatrice de droits

CAA Nancy, 13 oct. 2016, n° 16NC00764, Service départemental d’incendie et de secours de Moselle. Le retrait et l’abrogation des actes administratifs fait l’objet de règles complexes qui prennent en compte non seulement la technique utilisée par l’Administration pour faire sortir de vigueur un acte, mais également le caractère créateur de droit ou non de cet acte.

Dans la présente affaire, un sapeur-pompier volontaire avait subi un accident, reconnu imputable au service en 2010. L’agent avait ensuite fait une rechute le 14 avril 2011 qui, par un arrêté du président du conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de la Moselle du 7 février 2012, avait été rattachée, à son accident du 15 avril 2010 et reconnu imputable au service. Toutefois, à la demande de l’assureur du SDIS, une nouvelle expertise avait été diligentée et elle avait conclu à l’absence de relation directe, certaine et exclusive entre l’accident du 15 avril 2010 et la rechute.

Au vu de cette expertise, le président du conseil d’administration du SDIS avait pris, le 9 décembre 2013, un arrêté retirant l’arrêté précédent du 7 février 2012. Il avait ensuite, par un nouvel arrêté du 28 avril 2014, retiré l’arrêté du 9 décembre 2013 et prononcé l’abrogation de celui du 7 février 2012.

Ce qui est en cause dans la présente affaire c’est donc la possibilité d’abroger un acte créateur de droits, catégorie dont fait incontestablement partie une décision reconnaissant l’imputabilité au service d’un accident ou d’une maladie6. Depuis l’arrêt de section Coulibaly du 6 mars 20097, le Conseil d’État a pratiquement aligné le régime de l’abrogation des actes administratifs individuels créateurs de droits sur celui du retrait. Auparavant, il résultait de l’arrêt de section Soulier du 6 novembre 20028, que si les possibilités de retrait étaient strictement limitées dans le temps, l’abrogation des actes créateurs de droit était possible à toute époque dès lors que les conditions prévues pour l’édiction de ces actes ne sont plus réunies. Désormais « sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’Administration ne peut retirer ou abroger une décision expresse individuelle créatrice de droits que dans le délai de 4 mois suivant l’intervention de cette décision et si elle est illégale ». Ce sont les mêmes règles qui avaient été définies par l’arrêt d’assemblée Ternon du 26 octobre 20019 à propos du retrait des actes créateurs de droit, ces règles étant désormais codifiées à l’article L. 242-1 – pour l’abrogation – et L. 243-3 – pour le retrait – du Code des relations entre le public et l’Administration.

Pour autant, si l’arrêt Coulibaly dénote un rapprochement des règles d’abrogation et de celles du retrait des actes créateurs de droits, l’alignement n’est pas total. C’est ce qui explique que le président du SDIS de la Moselle, après avoir voulu dans un premier temps retirer l’arrêté du 7 février 2012, avait finalement choisi la voie de l’abrogation. Selon son analyse, en effet, la décision reconnaissant l’imputabilité au service de l’accident subi par l’agent serait une décision conditionnelle. Or, il résultait de la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur du Code des relations entre le public et l’Administration que de telles décisions sont créatrices de droits, mais seulement dans la mesure où la condition, fixée par l’acte lui-même ou par le texte le régissant, est satisfaite, que la condition dont elles sont assorties soit suspensive ou résolutoire, explicite ou même implicite10. Toutefois, si au-delà du délai de 4 mois qui suit son intervention, une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n’est plus remplie ne peut pas être retirée, elle peut en revanche être abrogée, ce qui a été confirmé par l’article L. 242-2 du Code des relations entre le public et l’Administration.

À l’occasion d’un arrêt O. du 2 avril 201311, la cour administrative d’appel de Paris avait certes considéré que la décision par laquelle l’Administration reconnaît qu’une maladie est imputable au service peut être abrogée « lorsque les conditions qui ont conduit à reconnaître l’imputabilité de cette maladie au service ne sont plus réunies ». Toutefois, en l’espèce, il n’est pas question que les conditions qui ont présidé à l’adoption de l’arrêté du 7 février 2012 aient évolué. Ce qui a changé, en effet, c’est seulement la qualification des faits par le SDIS qui sont considérés comme constitutifs d’un accident de service par cet arrêté, qualification remise en cause par l’arrêté du 28 avril 2014, soit plus de 4 mois après l’intervention de l’arrêté abrogé. La reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident ne résultant pas d’une fraude – circonstance qui aurait permis d’abroger sans condition de délai la décision du 7 février 2012 – la cour confirme le jugement du tribunal administratif de Strasbourg annulant l’arrêté du 28 avril 2014 en tant qu’il abroge cette décision.

II – Contrat et marchés publics

Le caractère définitif du décompte général dans les marchés à bon de commande

CAA Nancy, 27 déc. 2016, n° 16NC00002, Société CCR Schmitt. Le décompte général définitif dans les marchés de travaux pose de nombreuses difficultés qu’illustre l’arrêt Société CCR Schmitt rendu par la cour administrative de Nancy le 27 décembre 201612. Le 27 février 2012, le marché conclu entre cette société et l’office public de l’habitat de Mulhouse avait été résilié aux torts de l’entreprise. Suite à cette résiliation, un litige est apparu à propos du décompte général définitif adressé par la personne publique, qui laissait apparaître un solde négatif de plus de 28 000 €.

À l’occasion d’un arrêt de section Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer13 du 6 avril 2007, le Conseil d’État avait voulu clarifier les effets des deux actes qui interviennent en vue de mettre un terme à la relation contractuelle entre les parties. La réception est définie comme « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin à ses rapports contractuels avec les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage ». En revanche, elle demeure sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, notamment en cas de retards ou de travaux supplémentaires. La détermination de ces droits et obligations n’intervient définitivement que lors de l’établissement du solde du décompte général et définitif du marché lequel a pour effet d’interdire toute réclamation au maître de l’ouvrage.

Si ces règles sont claires en apparence, leur application est susceptible de poser un certain nombre de difficultés notamment, comme c’est le cas en l’espèce, lorsque le marché litigieux est un marché à bon de commande. En effet, ces marchés sont caractérisés par un paiement échelonné des prestations au fur et à mesure de leur accomplissement. La question se posait dès lors de déterminer si la règle selon laquelle le décompte général définitif ne peut être établi qu’à la fin de l’exécution du contrat s’applique pour ce type de marchés.

Une première approche possible consiste à considérer que dans le cadre d’un marché à bons de commande, chaque commande donne lieu – sauf stipulations contraires – à un paiement définitif distinct. Il en résulte que les réclamations doivent se faire à l’occasion de la présentation de la facture finale relative à chaque commande14.

Une seconde approche, qui aboutit à une solution contraire, est toutefois possible. Elle se fonde sur les dispositions du CCAG travaux issu de l’arrêté du 8 septembre 200915. Selon l’article 13.11 : « avant la fin de chaque mois, l’entrepreneur remet au maître d’œuvre un projet de décompte établissant le montant total, arrêté à la fin du mois précédent, des sommes auxquelles il peut prétendre du fait de l’exécution du marché depuis le début de celle-ci ». Il résulte toutefois de l’article 13.18 que « les éléments figurant dans les décomptes mensuels n’ont pas un caractère définitif et ne lient pas les parties contractantes ». Si l’on se fonde sur ces dispositions, seul le décompte général final est susceptible de revêtir un caractère irrévocable. Cette interprétation est confortée par l’article 92 du Code des marchés publics dont il résulte que « les marchés de travaux ne donnent pas lieu à des règlements partiels définitifs », ce qui implique que le règlement définitif de l’ensemble des commandes se fait au terme du marché. Cette solution résulte également d’une jurisprudence constante selon laquelle « l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché de travaux publics est compris dans un compte dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties. »16

C’est toutefois une troisième approche qui est retenue dans les cas où c’est un marché à bons de commande qui est en cause. La cour administrative d’appel de Nancy reprend ici le considérant de principe de l’arrêt du Conseil d’État du 3 octobre 2012 Société Eiffage selon lequel « chaque commande d’un marché de travaux à bons de commande donne lieu à des prestations propres pouvant faire l’objet d’une réception et d’un règlement dès leur réalisation »17. Ainsi, « le contrat peut prévoir que chaque commande de travaux donnera lieu à un règlement définitif qui ne saurait donc être regardé comme un règlement partiel définitif interdit ».

Il est donc possible, en application de ces principes, que les prestations et les paiements auxquels donne lieu un marché à bon de commande puissent être séparés et donner lieu à un paiement définitif. Toutefois, cette possibilité n’est ouverte que si elle fait l’objet d’une stipulation contractuelle.

Or, en l’espèce, le CCAP précisait que « les projets de décomptes seront présentés par commande. Les sommes dues au titulaire seront payées dans un délai global de 45 jours à compter de la réception des factures ou des demandes de paiement équivalentes ». Il mentionnait également que « les travaux relatifs à chaque bon de commande feront l’objet d’une réception partielle ». Pour la cour, ces seules stipulations ne pouvaient suffire à établir que les parties avaient entendu prévoir que chaque commande effectuée dans le cadre du marché à bons de commande en litige donnerait lieu à un règlement définitif. Les factures émises à l’issue de chaque commande correspondaient donc à des demandes de paiement d’acomptes tels que ceux-ci sont mentionnés à l’article 13.1 du CCAG travaux, lesquels peuvent être remis en cause lors de l’établissement du décompte général. Il appartenait donc aux parties, à la suite de la résiliation du marché, de procéder au règlement des comptes afférents à l’ensemble du marché.

En l’espèce, l’office public de l’habitat de Mulhouse avait notifié le décompte général à la société CCR Schmitt par ordre de service le 21 mai 2012. Selon l’article 45-3 du CCAG travaux « dans le cas où l’entrepreneur n’a pas renvoyé au maître d’œuvre le décompte général signé dans le délai de 30 jours ou de 45 jours, fixé au 44 du présent article, ou encore, dans le cas où, l’ayant renvoyé dans ce délai, il n’a pas motivé son refus ou n’a pas exposé en détail les motifs de ses réserves en précisant le montant de ses réclamations, ce décompte général est réputé être accepté par lu ». L’entreprise n’ayant pas transmis de mémoire de réclamation dans ces délais, le décompte général est réputé avoir été accepté par la société CCR Schmitt qui ne peut plus le contester devant le juge du contrat.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 18 déc. 2002, n° 233618 : RFDA 2003, p. 280, concl. Fombeur P. ; AJDA 2003, p. 487, chron. Donnat F. et Casas D. ; JCP A 2003, 5, note Moreau J. ; LPA 23 juin 2003, p. 19, note Combeau P. ; Dr. adm. 2003, comm. 73 et repère 3.
  • 2.
    CE, 18 juin 1993, n° 137317, Institut français d’opinion publique : Lebon, p. 17 ; Dr. adm. 1993, comm. 404 ; Rev. adm. 1993, p. 322, note Scanvic F. ; Quot. jur. 3 mars 1984, obs. Malignier B.
  • 3.
    CE, 26 sept. 2005, n° 270234 : Lebon, p. 395 ; Gaz. Pal. 11 avr. 2006, p. 43.
  • 4.
    CE, 21 mars 2016, nos 368082, 368083, 368084 et 390023 : AJDA 2016, p. 717, note Dutheillet de Lamothe L. et Ondinet G.
  • 5.
    CE, 5 oct. 1983, n° 36402 : Lebon, p. 395.
  • 6.
    CE, 23 juill. 2004, n° 371460.
  • 7.
    CE, 6 mars 2009, n° 306084 : Lebon, p. 79 ; Gaz. Pal. 18 août 2009, p. 27 ; AJDA 2009, p. 817, chron. Liéber S.-J. et Botteghi D. ; Dr. adm. 2009, comm. 64, note Melleray F. ; RFDA 2009, p. 215, concl. Salins C. ; RFDA 2009, p. 439, note Eveillard G.
  • 8.
    CE, 6 nov. 2002, n° 223041.
  • 9.
    CE, 26 oct. 2001, n° 197018 : Lebon, p. 497 ; Gaz. Pal. 11. juill. 2002, p. 18 ; RFDA 2002, p. 77, concl. Seners F. et note Delvolvé P. ; Dr. adm. 2001, comm. 253, obs. Michallet X. ; Dr. adm. 2001, p. 3, obs. Auby J.-B. ; BJDU 5/2001, p. 353 ; AJDA 2001, p. 1034, chron. Guyomar M. et Collin G.
  • 10.
    CE, 8 févr. 1985, n° 42940, Syndicat intercommunal de la Marana : Lebon, p. 28 ; AJDA 1985, p. 293, obs. Moreau J.
  • 11.
    CAA Paris, 2 avr. 2013, n° 11PA02384.
  • 12.
    Sur cette question v. Devillers P., « Le décompte général et définitif dans les marchés de travaux », Contrats-Marchés publ. 2014, étude 9.
  • 13.
    CE, 6 avr. 2007, n° 264490 : Lebon, p. 163 ; Gaz. Pal. 20 oct. 2007, p. 31 ; BJCP 2007, p. 215, concl. Boulouis N. ; AJDA 2007, p. 1011, chron. Lenica F. et Boucher J. ; RFDA 2007, p. 712, concl. Boulouis N., note Moderne F.
  • 14.
    V. sur ce point Devillers P., art. préc., n° 31.
  • 15.
    JO, 1er oct. 2009.
  • 16.
    CE, 22 juill. 1977, n° 00128, Sté des entreprises Truchetet et Tansini.
  • 17.
    CE, 3 oct. 2012, n° 348476 : Contrats-Marchés pub. 2012, comm. 307, note Zimmer W.
X