Airbnb : une politique de la ville de plus en plus contraignante

Publié le 25/09/2023
Airbnb : une politique de la ville de plus en plus contraignante
Alexander Demyanenko/AdobeStock

Pour lutter contre le déploiement exponentiel de l’industrie de la location de tourisme et protéger le droit au logement des Parisiens, la ville de Paris a opté pour une politique exigeante qui donne de bons résultats.

La bataille de la ville de Paris contre le géant de la location de courte durée installé en Californie serait-elle en passe d’être gagnée ? En tout cas, la mairie se réjouit des bons résultats juridiques et financiers de la politique mise en place pour limiter l’essor des meublés de tourisme.

Une croissance exponentielle

L’enjeu était de taille. À son arrivée sur le marché français en 2010, Airbnb a bouleversé l’économie des meublés de tourisme. La France est devenue le deuxième marché de la start-up californienne, derrière les États-Unis. Entre 2011 et 2016, d’après les chiffres de la ville, le parc locatif traditionnel de Paris a perdu au moins 20 000 logements, dont la majorité a été transformée en locations touristiques meublées, louées à la nuit ou à la semaine durant toute l’année. Dans plusieurs arrondissements, notamment au centre et à l’ouest de Paris, les meublés de tourisme représentent jusqu’à 20 % de l’offre locative globale. Et Airbnb se taille la part du lion sur ce marché. Selon les chiffres de l’Observatoire des meublés touristiques à Paris, la très grande majorité (90 %) des 43 000 annonces de location saisonnières est proposée par l’intermédiaire d’Airbnb. Environ 80 % de ces annonces concernent des résidences principales, que leurs propriétaires parisiens peuvent louer dans la limite de 120 jours par an. Les prix constatés sont proches de ceux du secteur hôtelier, soit un niveau compris entre le double et le triple du prix des locations traditionnelles, d’après les observations de la ville. De fait, ce phénomène provoque à la fois une diminution de l’offre locative privée traditionnelle et une hausse du coût des logements, tant à la location qu’à l’achat.

Un impact sur le marché immobilier parisien

Le constat est évident : certains des loueurs Airbnb sont quasiment devenus des professionnels de la location. « À Paris, 30 % des annonces sur le site d’Airbnb sont le fait de loueurs proposant au moins deux logements différents. La part des annonces correspondant à ces multi loueurs a progressé de manière continue : 21 % en 2020, 25 % en 2021, 27 % en 2022 et 30 % en 2023. La part des annonces correspondant à de très gros loueurs, ayant 10 logements ou plus, a doublé en trois ans, passant de 8 % à 15 % du total des annonces proposées sur le site d’Airbnb à Paris entre février 2020 et février 2023 ». (S. Jankel, E. de Kerret, « Meublés touristiques à Paris : impact et mesures de régulation mises en place par la Ville », Le Moniteur, juillet 2023; https://www.lemoniteur.fr/article/meubles-touristiques-a-paris-impact-et-mesures-de-regulation-mises-en-place-par-la-ville.2283832). Les chercheurs ont démontré qu’au regard de la densité d’annonces proposées sur Airbnb l’impact de l’offre de locations meublées touristiques avait eu un effet sur le niveau des loyers privés à Paris, en contribuant à leur renchérissement, au contraire de ce qui peut être observé dans d’autres métropoles françaises. (K. Ayouba, M.-L. Breuillé, C. Grivault, J. Le Gallo, « Does Airbnb Disrupt the Private Rental Market ? An Empirical Analysis for French Cities », CESAER (UMR1041), AgroSup Dijon, INRA, université de Bourgogne-Franche-Comté, 2019).

Une réponse réglementaire adaptée

Pour lutter contre cette situation et préserver l’accès au logement des Parisiens, la ville de Paris a renforcé sa réglementation. Très vite, elle a confié la collecte de la taxe de séjour aux plateformes d’intermédiation locative, ce qui lui a notamment permis de mieux appréhender l’ampleur du phénomène sur le territoire parisien. La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, dite ALUR et la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014, de finances pour 2015, lui ont donné le cadre juridique nécessaire à cette collecte. À compter du 1er décembre 2017, dans le cadre de la modification du Code du tourisme par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, une procédure d’enregistrement par téléservice a été mise en place pour tout bien faisant l’objet d’une location temporaire facturée à la nuit ou à la semaine. Le numéro d’enregistrement ainsi obtenu doit figurer sur les annonces publiées par les plateformes d’intermédiation locatives. Celles-ci doivent en outre bloquer l’annonce dès lors que les 120 nuitées annuelles de location seront atteintes pour les résidences principales.

Une réglementation contraignante

La réglementation distingue, d’une part, les résidences principales que leurs propriétaires peuvent louer dans la limite de 120 jours par an en location saisonnière sans avoir à effectuer de démarche particulière, à l’exception d’une déclaration en mairie et de l’obtention d’un numéro d’enregistrement pour certaines zones comme pour la ville de Paris et d’autre part, les résidences secondaires qui sont soumises aux règles de l’hébergement de tourisme et ne sont plus considérées comme des logements. Celles-ci doivent, outre la procédure d’enregistrement précitée, faire l’objet d’une autorisation préalable de la mairie avec une demande de changement d’usage. Cette autorisation de changement d’usage se fait avec compensation, en application des articles L. 631-7 et suivants du Code de la construction et de l’habitation et de l’article 3 du règlement municipal relatif au changement d’usage. La compensation consiste à transformer des surfaces commerciales en logements, pour compenser la perte de surfaces d’habitation du local transformé. Le demandeur la propose sur son propre patrimoine ou sur le patrimoine d’un tiers qui lui cède cette possibilité à titre onéreux ou gratuit. Cette compensation a pour but la préservation de l’équilibre entre l’habitat et les activités économiques. Ces règles de compensation ont été progressivement durcies. Très vite il a été exigé que le local proposé en compensation soit situé dans le même arrondissement que le logement destiné à être transformé puis, en 2017, dans le même quartier administratif puis, en 2021 et dans certaines zones, une mesure de compensation renforcée a été mise en place : le local proposé en compensation doit avoir une surface deux à trois fois supérieure au logement destiné à être transformé en meublé de tourisme. La ville envisage en outre d’interdire la création de nouveaux meublés de tourisme dans certaines zones comme Montmartre, les Champs-Élysées ou encore le canal Saint-Martin. Pour échapper à ces règles contraignantes, certains propriétaires ont imaginé mettre en location saisonnière des commerces transformés en logement. La mairie de Paris a rapidement trouvé la parade, grâce à la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 Engagement et proximité et son décret d’application de 2021, en soumettant également dès janvier 2022 ces mises en location à une autorisation préalable délivrée par la maire de Paris, en application du règlement municipal approuvé par le Conseil de Paris dans sa séance des 15 au 17 décembre 2021 en application de l’article L. 324-1-1 du Code du tourisme. 80 % de ces demandes de changement de catégorie, en forte augmentation ont été refusées.

Des sanctions dissuasives

Sans autorisation préalable de changement d’usage, le propriétaire s’expose à une amende de 50 000 € par logement et une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par mètre carré jusqu’à régularisation. Des poursuites sont engagées régulièrement par la ville de Paris auprès du tribunal judiciaire de Paris. Des sanctions pénales sont possibles en cas de fausse déclaration, dissimulation ou tentative de dissimulation des locaux soumis à déclaration (article L. 651-3 du Code de la construction et de l’habitation) : emprisonnement d’un an et amende de 80 000 € (avec intervention de la brigade de répression de la délinquance astucieuse de la préfecture de police). Pour faire respecter cette réglementation, la ville dispose d’une trentaine d’agents, au sein du bureau de la protection des locaux d’habitation, qui assurent le contrôle des meublés de tourisme sur internet et sur le terrain avec, le cas échéant, des opérations géographiquement ciblées dans des zones touristiques. En 2022, près de 2,2 millions d’euros d’amendes ont été prononcés. Les contrôles de la ville portent également sur le respect de la réglementation applicable aux résidences principales. En cas de défaut d’enregistrement du meublé de tourisme sur le téléservice de la ville de Paris, une amende d’un maximum de 5 000 euros peut s’appliquer. En cas de dépassement du plafond de 120 jours de location par an pour une résidence principale, l’amende maximale peut aller jusqu’à 10 000 euros. Et, en cas de défaut de transmission du relevé annuel de location du meublé de tourisme, l’amende peut atteindre la même somme. En 2022, près de 200 00 euros d’amendes ont été appliqués pour faire respecter ces différentes règles. La ville maintient également sa pression sur les plateformes, lesquelles se sont vu infliger des amendes historiques en 2021 : 8 millions quatre-vingt mille euros pour Airbnb (TJ Paris, 1er juill. 2021, ville de Paris c/ Airbnb, n° 19/54288) et 1 234 000 euros pour Booking (TJ Paris, 18 oct. 2021, ville de Paris c/ Booking.com BV, n° 21/52480).

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