Les finances publiques locales 2021 : l’état des lieux de la Cour des comptes
En juin dernier, la Cour des comptes avait dressé un état des lieux de la situation financière des collectivités territoriales, au 31 décembre 2020, après une année marquée par la crise sanitaire et ses conséquences économiques et sociales. En novembre 2021, elle s’est intéressée à la situation et aux perspectives des finances publiques locales, en 2021. Elle en profite pour dresser un bilan relativement critique de la récente réforme de la fiscalité locale.
L’impact de la réforme de la fiscalité locale
En 2020, la crise sanitaire a entraîné une dégradation de la situation financière des collectivités territoriales, justifiant la mise en place, par l’État, de mesures ciblées, principalement destinées à compenser leurs pertes de recettes. En 2021, la poursuite de la crise sanitaire a conduit les administrations publiques à prolonger les mesures de soutien à l’économie tout en favorisant la reprise économique, à travers la mise en œuvre du plan de relance. « Les collectivités locales devraient toutefois bénéficier d’une situation financière favorable, grâce à des recettes moins affectées qu’en 2020 et aux mesures exceptionnelles de soutien de l’État à destination des collectivités les plus fragilisées ou en faveur de l’investissement local », souligne la Cour des comptes. L’année 2021 correspond également à la mise en œuvre de la réforme de la fiscalité locale, consécutive à la suppression de la taxe d’habitation. Suite à la crise sanitaire, cette réforme a été complétée par un volet relance portant sur les impôts de production. En conséquence, tous les niveaux de collectivités ont vu leur panier fiscal profondément modifié, « sans que les objectifs ayant guidé ces réformes ne soient toujours atteints. Le remplacement de la taxe d’habitation (pour les établissement publics de coopération intercommunale (EPCI)) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (pour les départements), dont l’assiette est territorialisée, par une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), sans assiette locale, renforce la perte de lien fiscal avec le territoire », précise la Cour des comptes. « Le même constat peut être formulé pour les régions, chefs de file en matière de développement économique, qui ne disposent plus de ressources directement rattachées à l’activité économique locale », ajoutent les sages de la rue Cambon. En dépit du principe de neutralité financière retenu et de clauses de garanties relatives aux produits de TVA, la réforme de la fiscalité locale réduit la capacité à moduler les taux de fiscalité des groupements de communes et des départements, souligne ce rapport. En conséquence, insistent les sages de la rue Cambon, « ces derniers ne disposent plus de pouvoir de taux et deviennent plus exposés à une dégradation de la conjoncture, qui se traduirait par une contraction de la quasi-totalité de leurs recettes fiscales et une hausse de leurs dépenses sociales ». S’agissant des communes, le dispositif de « coefficient correcteur » mis en place pour assurer la neutralité de la réforme entraîne des transferts de fiscalité entre territoires. « L’exposition accrue du panier fiscal des collectivités à la conjoncture économique invite à poursuivre les réflexions engagées à l’occasion de la crise sanitaire pour renforcer la résilience des finances locales et la solidarité entre collectivités », conclut la Cour des comptes.
Des perspectives d’évolution favorables
En dépit de la poursuite de la crise sanitaire, la Cour des comptes considère cependant que « la situation financière des collectivités locales devrait s’améliorer en 2021, avec une stabilité des transferts financiers de l’État à périmètre constant, de nouvelles mesures exceptionnelles de soutien ou le prolongement de mesures existantes et des perspectives favorables en matière de fiscalité locale et économique ». L’analyse des comptes provisoires des collectivités tend à confirmer cette tendance et suggère un rebond de l’investissement local, en 2021. L’Insee anticipe une reprise de l’activité économique dont bénéficieraient les collectivités, notamment à travers un panier de recettes désormais plus sensibles à la conjoncture, en dépit des incertitudes concernant l’évolution de la situation sanitaire. La stratégie de relance nationale s’inscrit dans le cadre du plan France Relance. Ainsi, ce plan prévoit l’affectation de 10,5 milliards d’euros en faveur des collectivités locales : 2,5 milliards d’euros de soutien à l’investissement à travers différentes dotations, 3,7 milliards d’euros de mesures sectorielles et 4,2 milliards d’euros dédiés à la compensation des pertes de recettes consécutives à la crise sanitaire. « La valorisation du plan de relance intègre donc des dépenses de natures très diverses, dont l’objet peut sembler éloigné d’une stricte démarche de relance. Par ailleurs, l’effectivité des montants apportés dépendra de la réalisation des projets locaux soutenus », soulignent les sages de la rue Cambon. Précisons que le soutien de l’État à la relance s’accompagne désormais d’une nouvelle démarche de contractualisation avec les collectivités locales, à travers deux outils principaux : les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), de périmètre intercommunal, et les accords de relance départementaux et régionaux. Les CRTE ont vocation à remplacer progressivement les dispositifs de contractualisation existants, de droit commun ou thématiques, portés par l’État et ses opérateurs. L’effectivité de cette démarche de rationalisation dépendra avant tout des conditions de sa mise en œuvre et en particulier de l’articulation des CRTE avec les autres contrats existants.
De nouvelles exigences en matière de comptabilité
Dans ce contexte de forte évolution des finances locales, la démarche de renforcement de la qualité comptable se poursuit. L’exigence constitutionnelle de fiabilité des comptes des administrations publiques est indispensable à la transparence et à la qualité de leur gestion. Deux démarches actuellement en cours, qui vont rapprocher le secteur public local des règles applicables à l’ensemble du secteur public, doivent y contribuer. En premier lieu, la Cour des comptes conduit, en lien avec les chambres régionales des comptes, l’expérimentation de la certification des comptes de 25 entités volontaires. En second lieu, le rapprochement avec les règles de gestion de l’ensemble du secteur public se traduit par l’expérimentation du compte financier unique (CFU), qui a vocation à se substituer, à l’horizon 2024, au compte de gestion produit par le comptable. La loi de programmation des finances publiques 2018-2022 du 22 janvier 2018 a mis en place un objectif triennal d’évolution des dépenses publiques locales, décliné de manière contrainte, sous la forme de contrats dit « de Cahors », pour les 321 collectivités et groupements les plus importants budgétairement et au compte administratif produit par l’ordonnateur. « Cette unification constituera un progrès en termes de restitution des comptes, même si une version consolidée apparaît souhaitable », précise la Cour des comptes. La mise en œuvre de ce projet ne doit pas « conduire à sélectionner les informations actuelles les plus pertinentes dans l’un ou l’autre des documents » mais doit s’inscrire plus nettement dans « une démarche de fiabilisation des comptes locaux en veillant à la qualité de l’information délivrée, en cohérence avec le travail en cours pour préparer le recueil des normes », avertissent les sages de la rue Cambon.
Focus sur l’investissement du bloc communal
La Cour des comptes s’est également penchée sur la mise en œuvre des projets d’investissement des collectivités du bloc communal, au cours du dernier mandat, ainsi que sur l’organisation de leur maîtrise d’ouvrage, notamment au regard des enjeux de performance auxquels sont confrontés les communes et les EPCI en matière de gestion patrimoniale. Cet investissement a un poids prépondérant. En effet, le bloc communal est le premier investisseur public (37 % des acquisitions nettes d’actifs non-financiers), devant l’État et ses opérateurs (33 %). Les dépenses annuelles d’investissement des communes et de leurs groupements sont passées de 36,8 milliards d’euros en 2014 à 43,2 milliards d’euros, en 2019. Cette même année, elles représentent 67 % de l’ensemble des investissements des collectivités territoriales et de leurs groupements à fiscalité propre. La répartition de ces dépenses montre une progression régulière mais mesurée de la part des EPCI. Elle révèle, en outre, la persistance de divergences territoriales. La reconfiguration de la carte intercommunale consécutive à la loi NOTRe ne paraît pas avoir réduit ces disparités mais a modifié l’équilibre entre strates de population. Ce sont désormais les agglomérations intermédiaires, dont la population est comprise entre 20 000 et 50 000 habitants, qui investissent proportionnellement le moins. Ainsi, le dynamisme des dépenses d’investissement est porté par les agglomérations de plus de 300 000 habitants mais également par les communes de moins de 20 000 habitants. Le rôle de premier investisseur public du bloc communal contraste avec la faiblesse de l’information financière disponible sur le contenu de ses choix d’investissement. « Les bilans des collectivités donnent une image déformée de l’état de l’actif immobilisé, en raison notamment des règles spécifiques liées aux subventions d’équipement et aux amortissements ainsi que des difficultés du rapprochement entre inventaires physiques et inventaires comptables. Cette information financière est pourtant essentielle pour piloter et vérifier la mise en œuvre effective des stratégies territoriales », conclut la Cour des comptes.
Référence : AJU003k9