Verbalisation : une appli au secours des petites communes
C’est une gageure pour les petites communes peu dotées d’agents de police municipale : établir des procès-verbaux qui ne soient pas contestés au tribunal. Heureusement, une appli sur smartphone va bientôt changer les choses…
Dépôts d’ordure sauvage, baignades interdites, stationnement illégal, feu rouge grillé, échafaudages dangereux, tapages, refus de priorité, dégradations, insultes à agents municipaux, incivilités, chaque année, des milliers de procès-verbaux sont rédigés par des agents municipaux… ou à défaut d’agent disponible par des conseillers municipaux non formés à l’exercice périlleux de l’écriture juridique. Or un procès-verbal mal rédigé est facilement contestable devant un tribunal administratif… qui a d’autres urgences à gérer que des vices de forme de cette envergure. Résultat : une municipalité qui ne parvient pas à démontrer son autorité, le tribunal perd son temps et le destinataire de la contravention n’apprend pas – ou peu – de ses erreurs !
Désormais, les autorités locales des villages et petites villes, où les incivilités ne peuvent pas être poursuivies par manque d’agents de police municipale, pourront s’équiper d’un nouvel outil disponible sur smartphone : Verbaliz. Moyennant un abonnement de 399 euros par mois, cet outil permet de transformer un simple constat (une voiture mal garée, par exemple) en un procès-verbal prêt à envoyer et certifié conforme.
De commissaire de police à avocat… et concepteur d’appli
À l’origine de cette idée révolutionnaire, un drôle de personnage : Olivier Bonnefond, ancien commissaire de police pendant 30 ans en région parisienne. Il siégeait au tribunal de police de Colombes et d’Asnières avant d’arriver à Versailles où son équipe traitait plus de 180 000 dossiers par an. « Les failles du système, les trous dans la raquette, je connais bien », souligne l’ancien officier du ministère public, devenu avocat spécialisé dans le droit routier au sein du cabinet Minerve Avocats (situé à Carrières-sur-Seine, 78).
Bien avant Verbaliz, l’homme a créé la plateforme Assistance PV, pour permettre aux automobilistes de contester leurs contraventions. Il traite entre 200 à 300 dossiers par an. « Je suis dans le partage des eaux », se justifie-t-il. « Au fil des années où j’ai défendu les automobilistes, j’ai constaté qu’il y avait beaucoup de couacs liés à la rédaction des PV, de personnes qui se retrouvent avec des amendes majorées car elles n’ont pas reçu la première contravention… Résultat, les tribunaux sont submergés de dossiers et n’ont pas les moyens d’écouter les gens (les amendes routières ont généré 2 milliards d’euros en 2023, NDLR). Je pense qu’il faut à tout prix éviter le tribunal voilà pourquoi je pratique beaucoup la négociation, un espace où les administrations peuvent être conciliantes, humaines, à l’écoute. En évitant le contentieux, on gagne du temps et on épargne une administration débordée ». Fort de cette expérience auprès des contrevenants aux règles du Code de la route, il décide d’approcher les communes, toujours dans l’objectif de libérer la charge sur les tribunaux de police ou administratifs. Sa cible ? Les agents municipaux et élus en mal de rédiger correctement des procès-verbaux, incontestables devant la justice. « Au fil des années, j’ai bien vu que les élus avaient un besoin capital de rédiger des PV sur des infractions de l’ordre des respects de feux rouges ou des stops, du tapage, des dépôts de déchets ou des stationnements gênants, or ils ne sont pour beaucoup pas formés au juridique. Beaucoup d’infractions passaient à l’as car elles ne tenaient pas la route : or il y va de la crédibilité de l’autorité du maire ! »
Avec Michaël Bechecloux, conseiller municipal délégué à la sécurité à Élancourt et développeur web, il invente donc Verbaliz. « Le mode de fonctionnement de l’application est le suivant, explique l’avocat : imaginons une commune, une veille de kermesse, qui ne peut pas installer les barnums car une voiture s’est garée devant les grilles. Elle ne peut pas contacter la fourrière car pas de procès-verbal. Elle n’a pas le temps de contacter les forces de police, et pas l’argent pour financer l’enlèvement du véhicule à ses frais… L’élu active Verbaliz sur son téléphone, fait le constat, nous vérifions techniquement la procédure, l’envoyons vers la bonne autorité (infraction de classe 1,2,3,4, tribunal de police, 5e classe c’est tribunal judiciaire, c’est un délit cela est donc du correctionnel) et la fourrière arrive, la kermesse aura lieu le lendemain ». L’application pourra permettre aux élus de verbaliser des choses relativement techniques, comme les infractions aux règles de l’urbanisme, ou le dépôt sauvage de déchets jusqu’à présent hors de portée de stylo pour les équipes municipales : dans les boîtiers des policiers municipaux, 5 000 motifs de verbalisation et 2 000 codes sont proposés. L’ANTAI a mis également en place un outil pour rendre ces points moins subtils, mais selon Olivier Bonnefond, cela reste réservé à des non-béotiens.
Lors de la 28e édition du Salon de l’Association des maires d’Île-de-France, qui s’est tenue à Paris Expo, porte de Versailles, en mai dernier, le stand de Verbaliz a fait des émules. « Une vingtaine de maires nous ont demandé des devis. Verbaliz est proposé sur abonnement de 399 euros par mois (la commission est de 39 euros par PV). On peut inscrire autant d’agents que l’on veut (mairie, adjoints, policiers municipaux). Des petites communes nous ont rappelé que 5 000 euros par an, c’est une somme importante et nous réfléchissons à un tarif à l’acte ». Olivier Bonnefond espère par ailleurs que cet outil permettra aux communes de tirer profit de la multiplication des procès-verbaux dressés sur leur commune.
La phase test, lancée dans plusieurs communes
Dans plusieurs communes, la phase test a été lancée. Les concepteurs ont choisi d’axer leur approche sur la question de la crédibilité de l’élu local qui depuis les dernières municipales, ne cesse de dégringoler. « Beaucoup de maires ne se représenteront pas aux prochaines élections et de nombreux cas d’élus agressés par des administrés m’ont beaucoup marqué », souligne l’avocat qui se souvient du meurtre en 2019, de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes dans le Var, qui était intervenu sur un site de dépôt sauvage de gravats de chantier. « Je leur dis qu’ils ne doivent pas se présenter sur les lieux du tapage, je leur donne des conseils pour verbaliser les locataires, les propriétaires, je leur donne également des conseils pour travailler sur une situation en particulier, par exemple avec des communes de bords de Marne, touchés par les dépôts de déchets après les pique-niques du week-end susceptibles de générer des PV de 3e classe et 5e classe (si voiture il y a) »!
« Sanctionner réclame une connaissance approfondie de la loi », souligne de son côté le développeur Michaël Bechecloux, qui dans ses attributions d’élu s’occupe de la prévention à la délinquance et de la police municipale depuis trois ans à Élancourt (Yvelines). « Depuis trois ans, au sein de l’entreprise Strooper, basée à Boulogne-Billancourt, je m’intéresse à ce qui se fait sur la sécurité intégrée dans les solutions pour la police municipale et les forces de l’ordre. J’ai travaillé sur les caméras piétons pour les policiers, par exemple. Avec Olivier Bonnefond, nous nous sommes rencontrés quand il était encore officier au ministère et nous avons eu l’idée de développer cette application. Les villes où la police municipale n’est pas présente, celles où les agents respectent les horaires administratifs et où les élus doivent prendre le relais sont particulièrement intéressées », précise-t-il.
Plusieurs communes sont en phase test, n’émettent donc pas encore de PV, mais dans le courant de l’année, les premières procédures devraient voir le jour un peu partout sur le territoire…
Référence : AJU014p3