Droit de l’environnement et réparation du préjudice, un casse-tête légal pour une faible effectivité
La France est un pays qui, aujourd’hui, prend en considération la cause environnementale, et tente de trouver des solutions pour promouvoir une politique juridique en faveur de l’environnement. Alors que la théorie est bienvenue, la pratique, quant à elle, peine à suivre. L’existence d’un véritable préjudice lié aux atteintes environnementales se retrouve confronté à la mise en œuvre d’une responsabilité trop floue et divisée. Entre politique pénale répressive, responsabilité administrative et civile, le justiciable se retrouve confronté aux difficultés procédurales qui, in fine, reviennent à rendre inefficace toute judiciarisation d’un droit pour l’environnement. De ce fait, ce droit doit être repensé en exploitant tout son potentiel.
Depuis les années 2000, le droit français se préoccupe de l’environnement, notamment en dotant son économie légale d’un code spécifique pour un domaine qui, à bien des égards, est difficile à cadrer. Par l’européanisation juridique, la Charte de l’environnement a intégré le bloc de constitutionnalité français, dont l’objectif est de fondamentaliser le droit de l’environnement en y inscrivant des principes, comme le principe de précaution1, qui permet de prévenir des dommages provoqués par une réalisation quand bien même incertaine. L’unique bémol est que seule l’autorité publique doit le prévenir, selon la substance du texte. En réalité, chaque citoyenne et citoyen, du fait de sa personnalité juridique et en tant que sujet de droit, doit avoir à cœur de préserver l’environnement, en se rappelant que son comportement peut causer un préjudice à la planète.
Le constat étant fait, la réalité juridique est bien différente et, en l’espèce, ne permet pas aux citoyens d’être de véritables acteurs juridiques en matière environnementale.
I – L’échec de la politique pénale en matière environnementale réduisant la réparation du préjudice
C’est un constat partagé par la Cour de cassation qui, dans le rapport intitulé Le traitement pénal du contentieux de l’environnement, vient poser la question d’une « dépénalisation de fait du droit de l’environnement »2. Cette réalité se démontre à travers les différentes analyses provenant des ministères. Ainsi, entre 2016 et 2021, on observe une augmentation de 7 % de la délinquance environnementale, soit un total de 31 400 plaintes recueillies par les gendarmes et les policiers, dont la majorité porte sur les atteintes contre les animaux (34 %) et les ressources naturelles (45 %).3 Mais ce phénomène n’est pas nouveau, puisque les statistiques datant de 2021 démontrent qu’entre 2017 et 2019, sur 92 % des auteurs d’infractions poursuivables, 62 % ont fait l’objet de poursuites alternatives4.
La politique pénale française en matière d’infraction environnementale est-elle suffisante ? Cela peut aisément être remis en cause. Les alternatives aux poursuites, comme la procédure du « plaider coupable » ou la convention d’intérêt judiciaire public en matière environnementale – qui a été validée dans les années 2020 –, ont pour intérêt de réparer un préjudice causé mais de manière beaucoup moins importante. Cette dite convention a longtemps été critiquée et considérée comme incompatible avec la matière environnementale. En effet, comment peut-on admettre qu’une entreprise jugée pour une pollution excessive, provoquant des désordres aux justiciables, puisse rester sur le marché public en lui infligeant une amende qu’elle pourra nécessairement payer et en l’obligeant, comme le prévoit le texte en substance, à « régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements »5 ? Les citoyens à qui on demande de « faire des efforts au quotidien » se verront inéluctablement pénalisés par une politique trop souple. Surtout, c’est la banalisation du principe de « pollueur-payeur » qui s’appliquerait en matière pénale.
Bien au contraire, il faut être lucide : la multiplication des procédures, pénales, administratives ou civiles donne l’image d’une mauvaise administration de la justice qui, inexorablement, empêche une coercition certaine et la réparation du préjudice efficace. À contre-courant, en matière environnementale, une réponse pénale forte est la seule solution pour endiguer l’augmentation des délits environnementaux et réparer les préjudices matériels causés par des comportements incivils.
II – La mise en œuvre d’une action individuelle en matière civile, une possibilité inexploitée
Pour réparer un préjudice, encore faut-il intenter une action. En principe, tout individu, selon les principes d’information et de participation prônés par le Code de l’environnement6, devrait pouvoir effectivement agir pour préserver ses droits en matière environnementale. Ainsi, le trouble anormal du voisinage ou un trouble anormal au droit de propriété en matière civile pourrait être caractérisé du fait de la destruction de l’environnement ou de la pollution tant sonore que visuelle selon les règles d’urbanismes établies par la mairie selon les zones constructibles, et ce même si le particulier n’attaque pas la validité du permis de construire devant le juge administratif. Le Code civil prévoit, pour réparer un préjudice environnemental, une responsabilité délictuelle on ne peut plus classique7, puisqu’« est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement »8. Cette action nécessite néanmoins un intérêt et une qualité à agir, l’article 1248 du Code civil prévoyant une liste limitative, qui reprend celle du Code de l’environnement. L’action doit être collective, de groupe. Une association – a minima – peut agir, pas un individu seul.
Ainsi, un particulier seul ne peut pas agir, quand bien même il constate une infraction. Il devra alors se référer à une association, dont l’objet social est précisément déterminé, pour pouvoir intenter une action. Mais l’environnement n’est-il pas un res communis, l’individu agissant au nom d’un intérêt supérieur ? Bien sûr que si. Quel argument justifie l’absence de recours individuel ? Un risque de recours dilatoire ? Toute personne n’a pas intérêt à agir, la motivation est de mise.
Une proposition de loi n° 639 est en débat au Sénat, après avoir été adoptée à l’Assemblée nationale. Elle vise à « régler » cette difficulté en étendant l’intérêt à agir aux particuliers qui peuvent donner mandat à une association– dont l’objet social sera également étendu – pour les représenter. Cette décision semblerait de prime abord bienvenue, car elle étend la voie contentieuse. Toutefois, elle laisse plusieurs questions en suspens, notamment la possibilité qu’a l’individu de mandater une association sans agir lui-même. Si l’association refuse d’accepter le mandat (qui est un contrat), en se fondant sur l’assurance que l’action est vouée à l’échec, alors comment l’individu peut-il agir ? En se rattachant postérieurement au jugement et en adressant la demande au défendeur. Ce qui est étonnant, c’est l’autorité de la chose jugée rattachée au jugement. En effet, la proposition de loi prévoit que le juge peut « fixer un délai » pour que toute personne puisse agir contre le perdant. Mais l’autorité de la chose jugée applique une identité de partie. Ainsi, de manière fictive, la loi permettrait d’étendre à un individu qui se prétend lésé et répondant à des critères spécifiques la réparation d’un préjudice personnel alors que le jugement est rendu et définitif. Cela vient bouleverser les règles des effets du jugement et de prévisibilité juridique pour le défendeur, qui peut voir sa responsabilité augmenter et atteindre un montant qui le rendrait insolvable et, in fine, ne permettrait pas de réparer les préjudices du dommage causé.
Cette proposition de loi semble donc bienvenue mais apparaît critiquable. L’action individuelle doit être permise en amont et non postérieurement.
III – Une responsabilité civile ou administrative ?
Qui plus est, cette action obligatoirement de groupe est admise en matière civile et administrative, les titulaires pouvant « choisir » la plus adaptée pour réparer un préjudice, en vertu de l’article L. 142-3-1 du Code de l’environnement. La réparation du préjudice sera néanmoins différente, la motivation sera différente puisque le recours administratif doit viser une autorité publique alors que le recours civil vise « quiconque ».
Ce texte, écrit dans son plus large esprit, démontre la difficulté où se trouve le droit français à fonder un véritable droit processuel environnemental. De plus, le recours se fonde sur un excès de pouvoir de l’Administration qui aurait dû ne pas s’engager dans un acte qu’elle sait pertinemment susceptible de provoquer une atteinte à l’environnement. Cela sanctionnerait l’État et l’autorité publique, et affaiblirait ses prérogatives pour tenter de préserver l’environnement. Est-ce un recours en plein contentieux ? Une fois encore, la difficulté tiendra de la position du juge administratif et de son office selon le recours formé.
In fine, cette action individuelle doit être élargie pour étendre les possibilités de réparation d’un préjudice. Ce casse-tête légal ne devrait pas laisser la porte ouverte à la prescription de l’obligation financière en matière environnementale pour réparer les préjudices9. Ce droit à l’oubli ne peut être : la Terre, elle, n’oublie pas, et les conséquences de nos actions se répercutent maintenant et dans un avenir lointain.
Notes de bas de pages
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1.
Charte de l’environnement, art. 5.
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2.
Groupe de travail présidé par F. Molins, rapport, Le traitement pénal du contentieux de l’environnement, p. 8.
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3.
Interstats, « Les atteintes à l’environnement enregistrées par la police et la gendarmerie entre 2016 et 2021 », mai 2022, n° 46.
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4.
Infostat, « Le traitement du contentieux de l’environnement par la justice pénale entre 2015 et 2019 », 2021, n° 182.
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5.
CPP, art. 41-1-3, 2°.
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6.
C. envir., art. L. 110-1.
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7.
En vertu des articles 1246 et suivants du Code civil.
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8.
C. civ., art. 1247.
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9.
C. envir., art. L. 152-1.
Référence : AJU009y5